Les loisirs des jeunes à Lanester

14 août 1965
14m 19s
Réf. 00373

Notice

Résumé :

Les jeunes de la banlieue industrielle de Lanester ont créé un lieu de rencontre, le Club des jeunes. Durant leur temps libre, ils s'y retrouvent et participent à des ateliers de théâtre, de cinéma, à des groupes de musique.

Type de média :
Date de diffusion :
14 août 1965
Source :
Lieux :

Éclairage

Lanester, située au conaluent du Scorff et du Blavet à cinq kilomètres de Lorient, est née en 1909 à partir du démembrement de la commune limitrophe de Caudan. Lanester - dont le nom Lann er Ster en breton signifie La Lande - possède une forte tradition ouvrière à la différence de sa voisine plus rurale. Les ouvriers travaillant à l'arsenal de Lorient s'y sont installés en grand nombre avec leur famille.

A Lanester, la population juvénile est particulièrement nombreuse. Les moins de vingt ans représentent encore aujourd'hui environ 27% de la population. En 1965, date de diffusion du reportage, les jeunes sont au nombre de 2000. Au début des années 1960, certains d'entre eux décident de créer un club. Celui-ci constitue un lieu privilégié de rencontre et de partage comme nous le prouvent les commentaires entendus dans le reportage. Les jeunes Lanestériens peuvent, avec des gens de leur âge, jouer la comédie, chanter, s'improviser metteur en scène, etc.

Cette initiative illustre la naissance et le développement, en France pendant les années 1950-1960, de nouvelles formes de sociabilité juvénile plus spontanées mais aussi plus laïcisées. Pendant cette période, de nombreuses associations sportives, des auberges de jeunesse ou encore des centres aérés voient le jour. Ces nouvelles formes de sociabilité répondent aux nouvelles aspirations de la jeunesse. Même s'ils restent marqués par les séquelles de la Seconde Guerre mondiale - le reportage montre la permanence dans le paysage des baraques construites après guerre - ces jeunes souhaitent avant tout plus de liberté. En confrontant les témoignages des jeunes et des moins jeunes, ce reportage illustre les espoirs de cette jeunesse mais aussi les réactions de la population locale qui ne comprend pas toujours ce type d'initiative.

Bibliographie :

Yann Lukas, Lanester, histoire d'une ville, Quimper, Editions Palantines, 1999.

Jennifer Gassine

Transcription

(Musique)
Narrateur
« Un cargo pleure une ancre d'océan brisé et des nuages sales se sont cassés sur la crête des vagues. Ma vieille terre chauve et ridée frissonne dans son manteau de brume tout au long des falaises et du vent. Au-dessus, un grand ciel gris qui pleure. Bretagne, aux longs cheveux de pluies, ma Bretagne en tempête, cette nuit, des îles ont fait naufrage ».
(Musique)
Journaliste
Lanester, banlieue industrielle de Lorient, Lanester, 20 000 habitants bientôt, 17 000 actuellement, 2000 jeunes de moins de 20 ans, apprentis, vendeuses, marins du commerce, ouvriers. Lanester, des cheminées, des rues, des maisons, des fumées et puis aussi des baraquements, des baraquements comme celui-ci rappellent, négligeant d'une guerre que tous ces jeunes-là n'ont pas connue, mais qui leur impose des devoirs et notamment celui de gagner la paix, de gagner la paix quotidienne qui est aussi la conquête d'un certain bonheur. Et face à ce rappel-là, permanent, au sous-sol d'une carcasse de béton qui est une école, le club des jeunes de Lanester, une adresse qui figure sur le carnet de tous les voyageurs du spectacle de Tino Rossi à Jacques Brel, de Morvan Le Besk aux Surfs, parce que ces voyageurs éternellement sollicités n'ont jamais hésité à consacrer une heure de leur temps à venir discuter ici de leurs problèmes. Ils n'ont jamais eu le sentiment de perdre ce temps car avec les jeunes de Lanester, ils ont senti qu'il y avait une extraordinaire volonté de sympathie et une très grande passion de découvrir, d'aimer et finalement de comprendre. Le Livre d'or du club des jeunes, c'est une anthologie de la signature au stylo feutre amical, une collection d'autographes incroyable et cependant délivrés beaucoup plus par sympathie que par habitude. Et dans les coupures de presse, soigneusement et fièrement collectionnées, rassemblées, figurent d'ailleurs les clichés qui attestent de la réalité et de la fréquence de ces contacts et de ces échanges. Là, un plancher posé sur des rails, des murs tendus de toile à matelas prouvent qu'avec 60 000 anciens francs en poche mais aussi une grande richesse d'énergie, on peut bâtir un autre mur, celui de l'espérance. Celui de la conviction aussi, car cette cafétéria, ce ciné-club, ces magnétophones sont des réalités bien concrètes celles-là. Alors à notre tour, nous avons décidé de faire étape à Lanester et pour mieux comprendre ce qui cimente cette amitié, nous avons passé deux jours, deux nuits avec Yvon, avec Bernard, avec Jocelyne, avec Michel avec tous leurs camarades qui nous ont ouvert fraternellement, librement, les portes de leur petite place. Mais d'abord, selon la formule habituelle, place au théâtre, l'une des activités fondamentales du club des jeunes, expression d'un jeu dont la réalité, la vérité compte plus, en définitive, que la qualité esthétique.
(Musique)
Journaliste
Qu'est-ce que c'est que le théâtre pour vous ?
Inconnu
C'est tout. C'est un moyen d'expression.
Journaliste
Pour vous faire plaisir à vous-même, pour faire plaisir à tous vos camarades ?
Inconnu
Oui, moi je crois nous faire plaisir à nous-mêmes. Je pense que je partage, je veux faire comprendre au public quelque chose.
Journaliste
C'est un moyen de culture personnelle ? Et c'est un moyen de communiquer, peut-être ?
Inconnue
Oui, il y a un moyen d'expression exactement oui.
Journaliste
Ce travail que vous faites, là...
Inconnu
Ça me fait tellement plaisir, moi, spécialement pour moi.
Journaliste
Tant mieux, tant mieux d'ailleurs, il arrive heureusement que son propre plaisir recoupe celui des autres. Et c'est là où je voulais en venir : ce travail n'est pas gratuit, ce spectacle, vous allez le présenter devant quel genre de public ?
Inconnu
C'est-à-dire que nous avons touché les organisations : des clubs de jeunes, des clubs comme nous, et nous voulons nous présenter devant ces jeunes-là. Et je crois qu'il y aura des adultes aussi. Il y a, là, un moyen de communication.
Inconnu 2
Montrer ce qui a été fait chez nous aux autres villes c'est-à-dire à Auray, à Locmiquélic, à Pontivy à Port Louis, et les inciter, en somme, à faire comme nous, sans aucune prétention.
Journaliste
Vous n'avez aucun moyen matériel en réalité ?
Inconnu
Si, des projecteurs.
Journaliste
Oui, tout le reste, vous le tirez de vous-même ?
Inconnu
Oui.
Journaliste
Comment est-ce que vos camarades réagissent habituellement ? Ils ont envie de faire ce même travail ?
Inconnu
Certains oui, oui,
Inconnu 2
En fait nous n'en trouvons pas beaucoup qui veulent faire du théâtre. Bon, il faut vraiment aller à la pêche.
Inconnu
Mais ceux qui veulent le sillonnent complètement, à ce moment-là, il y a le feu sacré. Il y a une chose qui est bizarre, c'est qu'il y a beaucoup plus de filles qui veulent faire du théâtre que les garçons.
Journaliste
Eh bien le feu sacré vous me semblez en tout cas l'avoir. Je vous laisse travailler, enchaînez.
Inconnu
Merci.
Inconnu 3
Alors on pourrait reprendre la scène 5 par exemple ?
Journaliste
Je voudrais savoir les uns et les autres qui êtes ici ce soir, pourquoi vous êtes là, qu'est-ce c'est qu'un club pour vous ?
Inconnu 4
Pour rencontrer des amis, pour rencontrer des amis et faire des connaissances et approfondir nos connaissances culturelles et artistiques, un peu de tout quoi. Oui.
Journaliste
Toi tu viens souvent ici ?
Inconnu 5
Oui.
Journaliste
Où habites-tu, tout près ?
Inconnu 5
Oui.
Journaliste
Pourquoi viens-tu là ? Tu es le benjamin toi, quel âge as-tu ?
Inconnu 5
13 ans.
Journaliste
Et qu'est-ce que tu trouves au club ?
Inconnu 5
Ben, le Tremplin.
Journaliste
Le Tremplin ? Raconte-nous, qu'est-ce que c'est le Tremplin ?
Inconnu 5
Ben, il y a différents acteurs qui viennent ici.
Journaliste
Oui, il y a eu des invités d'honneur formidable ici. Il y a eu Jacques Brel, il y a eu Tino Rossi, il y a eu des quantités de garçons. De quoi te rappelles-tu ?
Inconnu 5
De Tino Rossi, de Mario Laurtrey ; je n'ai vu que ceux-là d'ailleurs.
Journaliste
Tu n'as vu que ceux-là ?
Inconnu 5
Oui.
Journaliste
Et vous, vous vous ennuyez dans votre rue, dans votre quartier ?
Narrateur
Assez.
Journaliste
Pourquoi ?
Inconnu 6
Du fait que Lanester étant rattaché à Lorient, est un peu dépeuplé au point de vue jeunes, alors ils viennent ici par exemple se rencontrer ou dans d'autres foyers, et surtout, ici, pour nous c'est très important.
Journaliste
Ce club, vous l'avez construit de vos propres mains ?
Inconnu 7
C'est ça, oui, entièrement. On est parti de zéro.
Inconnu 8
Alors, ce club qui a quand même été construit de zéro sans aucune subvention financière, d'autre part, et ce qu'il faut aussi regretter, c'est l'absence totale d'adultes qui s'intéressent à la question. Les parents nous renvoient bien les jeunes, ils envoient leurs enfants au club mais se désintéressent totalement de ce qui peut se passer au club. Et c'est justement ça qui est très important, je crois. Nous avons organisé évidemment, dans l'année, 76 manifestations dont des manifestations très intéressantes quand même, et qui intéresseraient tout le monde. Mais parce que nous sommes le club de jeunes et que c'est nous qui organisons ces manifestations, les gens ne veulent pas venir. Ils seraient trop contents. Ce serait eux qui organiseraient quelque chose, évidemment, ils seraient très heureux qu'on y aille. Mais du fait que ça ne vient pas d'eux, ils ne viennent pas nous voir.
Journaliste
C'est là, cité Albert Le Bail, en face le club des jeunes que nous avons retrouvé l'un des parents, monsieur Scouezec. Monsieur Mathurin Scouezec je crois, vous avez des enfants, combien en avez-vous ?
Mathurin Scouezec
J'en ai deux.
Journaliste
Un garçon et une fille ?
Mathurin Scouezec
Fille et garçon.
Journaliste
Est-ce qu'ils viennent au club ?
Mathurin Scouezec
Ah oui.
Journaliste
Depuis longtemps ?
Mathurin Scouezec
Ben oui.
Journaliste
Qu'est-ce qui leur plait ?
Mathurin Scouezec
Ils aiment bien aller là où ils veulent, pour rigoler quoi.
Journaliste
Oui ? Et vous, quand le club a été créé, qu'est-ce que vous avez pensé ? Vous vous êtes dit quoi ? Vous les avez pris au sérieux au début ? Franchement ?
Mathurin Scouezec
Je ne savais même pas ce que ça voulait dire.
Journaliste
Vous y êtes allé, vous avez eu la curiosité de les accompagner tous les deux ?
Mathurin Scouezec
Ah oui j'y ai été. J'y ai été deux fois.
Journaliste
Qu'est-ce qui passait le soir où vous êtes allé ?
Mathurin Scouezec
Moi, je ne restais pas le soir, hein, juste pour visiter, l'après-midi quoi.
Journaliste
Vous n'hésitez pas à les envoyer ?
Mathurin Scouezec
Ah non.
Journaliste
Vous avez l'impression que ça les distrait ?
Mathurin Scouezec
Ben oui. C'est une distraction.
Journaliste
Et ça leur permet de rester là, de vivre dans le quartier, sans s'ennuyer et sans courir ?
Mathurin Scouezec
Oui, oui. Ils sont beaucoup mieux là qu'à courir sur les rues.
Journaliste
Combien sont-ils ? Plusieurs centaines je crois ?
Mathurin Scouezec
Moi je ne sais pas. Ca, le nombre, je ne sais pas.
Journaliste
Il vous arrive bien de parler du club avec vos camarades, avec vos amis, avec d'autres parents ?
Mathurin Scouezec
Oui, oui.
Journaliste
Et qu'est-ce qu'on en pense dans la cité d'une façon générale ? On est content ?
Mathurin Scouezec
Il y en a qui n'ont pas encore vu, en bas, là-bas, ils se demandaient qu'est-ce que ça voulait dire.
Journaliste
Et qu'est-ce qui les retient d'aller voir ?
Mathurin Scouezec
Oui, monsieur, ça, c'était comme les anciens. Ils se demandaient qu'est-ce que ça voulait, quoi, ce que ça voulait dire.
Journaliste
Et votre sentiment à vous, c'est que c'est utile ?
Mathurin Scouezec
Oui, oui, c'est utile. C'est très utile, ce truc-là, c'est bien.
Habitante
Je suis la femme du Maire de Lanester. Ce n'est pas la municipalité que je représente, je parle en tant que mère de famille, et ça inclut qu'il faut soutenir et aider parce que ça occupe tous les jeunes évidemment et ils ont un but, quoi, de travailler et de s'instruire.
Journaliste
Qu'est-ce qui vous a amené au club, monsieur ?
Michel
Eh ben, surtout début, c'était pour bâtir le club et puis après j'ai appris à aimer à faire du cinéma.
Journaliste
Pourquoi bâtir ?
Michel
Ben, au début il n'y avait rien, c'était une cave ici, alors on a bâti, on a essayé de faire des locaux, et après j'ai aimé, j'ai appris à aimer à faire du cinéma puis surtout les sciences du ciné-club.
Journaliste
Et Michèle ?
Michèle
Moi, personnellement, ce qui m'attire le plus ici...
Journaliste
Je dis Michèle parce qu'au fond c'est un Michel, Michèle, on s'y perd un peu, c'est quoi ?
Michèle
C'est le théâtre et la prise de vue, enfin surtout le montage. Mais je crois une chose primordiale ici, c'est qu'on vient ici dans un but parce qu'on sait qu'on ne sera pas seul, un jour de cafard par exemple, on est plongé dans une bonne ambiance.
Journaliste
On pousse la porte et on est sûr que la solitude disparaît ?
Michèle
On est sûr d'être bien accueilli, c'est très bien.
Animateur
Voici Nicky, Nicky qui est déjà une ancienne du club de jeunes, puisque, elle a déjà chanté à notre gala de la salle des fêtes et au cours de diverses manifestations, alors Nicky, qu'est-ce que tu nous chantes ce soir ?
Nicky
Christiansen
Animateur
Eh bien, Nicky alors, prends le micro et à toi.
(Musique)
Journaliste
Comme Nicky, ils sont 2000, 2000 qui ont moins de 20 ans. 2000 qui ne s'insurgent pas contre la cité mais qui ont résolu de ne pas la subir. Si le bonheur se mérite à la sueur du front, alors les jeunes de Lanester ne sont pas loin de l'avoir gagné. Ils préfèrent, et c'est leur honneur, préparer le devenir de leur cité. Lanester est un exemple.
(Musique)