La décentralisation selon Jean Ollivro

26 mars 2007
06m 21s
Réf. 00440

Notice

Résumé :

Géographe et universitaire, Jean Ollivro évoque la question de la décentralisation. Malgré des réformes, Jean Ollivro estime que le système est lourd et doit être simplifié, notamment en créant des régions puissantes et en les limitant au nombre de quatorze.

Date de diffusion :
26 mars 2007
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Éclairage

Invité de l'émission "Ça vous regarde" dans le cadre des élections présidentielles de 2007, Jean Ollivro, spécialiste de l'aménagement du territoire et du développement régional, vient aborder un des thèmes qui est au cœur de ses recherches : la décentralisation. Géographe et professeur à l'Université de Rennes 2 et à l'Institut d'Etudes Politiques de Rennes, Jean Ollivro né à Guingamp en 1962 est aussi le fils de l'ancien député et maire de Guingamp Édouard Ollivro. Spécialiste et auteur de plusieurs livres sur l'aménagement du territoire, la mobilité et la Bretagne, il a d'ailleurs introduit le nouveau concept de "Classe mobile", afin d'exprimer la ségrégation sociale causée par les différences d'accès aux moyens de transport. De cette façon la mobilité serait choisie par certains, alors qu'elle serait subie pour d'autres. Jean Ollivro est partisan d'une réorganisation du système français beaucoup trop marqué par le centralisme parisien selon lui. Il défend aussi une Bretagne unifiée et une réorganisation territoriale et administrative de l'Ouest en quatre régions fortes au lieu de six actuellement. Cette réorganisation pourrait d'ailleurs passer par la fusion des deux régions de Normandie ou encore un éventuel rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne. C'est d'ailleurs le schéma qu'il propose dans cette interview avec une redéfinition des régions françaises afin de réduire le centralisme parisien, et constituer des régions capables de s'imposer au niveau européen à l'instar des grandes régions européennes comme la Bavière, la Catalogne ou la Lombardie. Dans son livre La machine France, publié en 2006 et évoqué dans cet extrait, Jean Ollivro considère que le diagnostic d'une France "en crise" s'explique en particulier par le déséquilibre causé par l'idéologie centraliste, et qu'une solution, afin d'y remédier, serait probablement une réorganisation territoriale.

Très impliqué au niveau régional car président de l'association Bretagne Prospective, créée en 2000 pour réfléchir aux enjeux du développement local et régional en Bretagne, sa reconnaissance régionale peut se mesurer par la décoration de l'Ordre de l'Hermine. Reçue en 2005, elle récompense les personnalités qui se distinguent par leur rôle dans le rayonnement de la culture bretonne.

Frédéric Martin

Transcription

(Musique)
Laïd Berritane
Assurément, la décentralisation ne figure pas en tête de gondole de la campagne présidentielle de 2007, et pourtant jamais le pays n'a été aussi fracturé, divisé et inégal. Si la république décentralisée est inscrite pour la première fois dans la constitution depuis 2003, elle reste pour le moins inachevée. Tout le monde s'accorde à dire qu'il faut clarifier la situation présidentielle 2007. La décentralisation oubliée, c'est la question de Ca vous regarde ce soir, avec notre invité Jean Ollivro, Professeur de géographie à l'université à Rennes II. Bonsoir Jean Ollivro.
Jean Ollivro
Bonsoir.
Laïd Berritane
Et vous êtes également auteur du livre La machine France aux éditions du Temps. Pourquoi la question de la décentralisation, Jean Ollivro, ne fait pas recette, alors qu'elle devrait, qu'elle touche tout un chacun ?
Jean Ollivro
Mais, je crois qu'enfin la France reste le pays sans doute le plus centralisé au niveau fonctionnel de la terre. Et c'est difficile d'aller à l'encontre des structures en place donc, les candidats ont un petit peur aussi d'aborder ce sujet. Bon, ils ne veulent pas aller à l'encontre des intérêts constitués et malgré tout, ça progresse. Et on voit que depuis une semaine, deux semaines justement ces questions intéressent tant les français parce que ça les touche de manière directe, tout ce qui concerne les collectivités territoriales que le sujet arrive sur la place et on en parle, notamment Voynet, Bayrou, Ségolène royal, ils parlent de 6e République donc de nouvelles avancées sur la décentralisation.
Laïd Berritane
Alors, justement, avant de pousser un peu plus la réflexion plus avant, Jean-Hervé Guilcher nous retrace les grands étapes de cette décentralisation.
Jean-Hervé Guilcher
Oui, malgré un projet avorté en 1969, qui a valu d'ailleurs au général de Gaule son départ, le point fondateur de la décentralisation, ce sont les lois Defferre qui se sont échelonnées entre 82 et 86. Elles transforment les conseils généraux et les conseils régionaux en collectivités à part entière, libérées de la tutelle du préfet. Les conseils régionaux, jusqu'ici composés des parlementaires de la région, seront désormais élus au suffrage universel direct, et éliront leur président. Le préfet lui ne sera plus responsable exécutif des départements et des régions, il sera juste chargé à posteriori des contrôles budgétaires et de la légalité. Dans le mêmes temps, l'Etat transfère des compétences à ces collectivités en leur garantissant des ressources financières par des dotations et des transferts de recettes fiscales. Les régions héritent du développement économique, de la formation continue ou encore de l'apprentissage. Les départements se voient confier l'action sociale, la gestion de certains ports et les transports scolaires. Viendront s'y ajouter la gestion et l'entretien des collèges et des lycées. Il faudra attendre la réforme constitutionnelle du gouvernement Raffarin en mars 2003 pour qu'un nouveau stade soit franchi dans la décentralisation. L'article 1 de la Constitution consacre désormais une République indivisible dont l'organisation est décentralisée. Les lois qui suivront entérinent le record possible au référendum local ou à l'expérimentation pour les collectivités, les compétences sont renforcées, les départements deviennent par exemple entièrement responsables du RMI et du RMA. Ils héritent aussi des routes nationales, les régions, elles ont, entre temps, pris la responsabilité des transports ferroviaires en 2002, elles deviennent incontournables pour les aides économiques, la formation continue et l'apprentissage.
Laïd Berritane
Merci Jean-Hervé Guilcher pour ces, pour toutes ces précisions. Jean Ollivro, justement 25 ans après les lois Defferre, on va continuer dans les chiffres, la France compte aujourd'hui 26 régions, 100 départements, 36000 communes, 18000 regroupements inter-communaux. Aucun échelon n'a été supprimé quand on en a créé un. C'est quoi, c'est un manque de courage politique ?
Jean Ollivro
Ben, il y a plusieurs choses, je crois qu'il y a déjà une inertie des structures en place. C'est-à-dire que la, on a eu les mobilités qui ont beaucoup évolué dans la France et au début on a créé des institutions à l'échelle de la mobilité des gens. Finalement, la commune, c'était le territoire du piétons le département, c'était une journée à cheval pour rejoindre la préfecture, et puis on avait la tradition des provinces et puis tout ce qui était Etat. Et en fait, petit à petit, la mobilité des gens a changé. C'est-à-dire qu'on est arrivé à une vie où aujourd'hui on dit 83% de la vie des gens, c'est un rayon de 20 minutes, et donc le, on a eu des agglomérats qui sont créés, des communes qui étaient trop petites, donc les comités des communes, les pays, en même temps, en une journée, on va d'un point de l'autre de la région, et donc il y a les régions qui sont créées aussi et on a supprimé aucun...
Laïd Berritane
Mais justement, je vous entends, mais à chaque campagne présidentielle, il va falloir reformer, dans quel sens on ne sait pas. Mais les discours.... On voit bien que la campagne justement, elle ne franchit pas le pas de la décentralisation. Ou il n'y a pas d'acte révolutionnaire dans ce type là, dans cette voie là. Mais justement aujourd'hui qu'est ce qu'il faudrait faire, quel est le nouveau visage de la France qu'il faut donner dans les 20 prochaines années ?
Jean Ollivro
Si vous voulez, si on dit que le territoire du politique, et je dirais que le politique, c'est s'adapter à la vie quotidienne de la population aujourd'hui, très clairement, la vie des gens c'est quoi, c'est une mobilité de 20 minutes, 83% de déplacement, en gros c'est le pays et c'est la région, c'est l'Etat qui doit conserver des prérogatives régaliennes et c'est l'Europe.
Laïd Berritane
Je vous entends, je vous entends, vous avez oublié les départements, c'est à dessein ou pas ?
Jean Ollivro
Ben, je crois que les départements en fait correspondent à une structure héritée, il y a, il y a un candidat qui propose la fusion avec les régions pour aller de l'avant, essayer de réformer un système qui est très lourd. Alors, il est complexe c'est normal, mais il devient tellement lourd et je crois que pour des raisons budgétaires, on va être obligés de simplifier.
Laïd Berritane
Aujourd'hui, Jean Ollivro, il y a trop de régions en France si on veut effectivement être, si on veut peser à l'échelle de l'Europe.
Jean Ollivro
Ben, je crois qu'en fait les régions vraiment utiles sont les régions qui ont une forte identité, donc avoir un nom, c'est quelque chose de très important. Par contre, il y a des regroupements aussi à faire pour arriver sans doute à 13, 14 régions fortes, permettant de fonctionner comme l'essentiel des pays européens avec des régions puissantes comme la Bavière, la Catalogne, la Lombardie. Vous savez, j'étais au Pays Basque et je vois comment le Pays Basque a connu vraiment un coup d'accélérateur économique considérable alors qu'ils étaient à la dérive il y a 20 ans, grâce à une davantage d'autonomie et une prise en charge par les citoyens.
Laïd Berritane
Jean Ollivro, on sait que les mots ont un sens, décentralisation, régionalisation, ce n'est pas la même chose.
Jean Ollivro
Non, je crois que pour l'instant il y a beaucoup plus une déconcentration qu'une décentralisation, c'est-à-dire que le centre reste parisien. Et ce qu'on a fait essentiellement dans les dernières périodes, c'est même une décentralisation des ennuis où on a en fait, on a donné des compétences sans affecter les budgets, les budgets afférents quoi.
Laïd Berritane
Donc il reste 40 secondes pour vous, l'acte 4 de la décentralisation, c'est quoi ?
Jean Ollivro
Eh ben, de toute façon, je crois qu'il faut être optimiste et ça va se faire pour des raisons budgétaires avec le vieillissement des populations, les gens vont être de plus en plus obligés de se prendre en charge. Alors, concrètement et donc d'animer des projets pour construire une France arrimée sur plusieurs points forts et non un seul comme aujourd'hui. Donc, on va y arriver je crois.
Laïd Berritane
Merci d'avoir été succinct, et de nous avoir apporté votre éclairage, ce n'est pas facile surtout pour un thème comme celui-ci. Je rappelle le titre de votre livre La Machine France aux éditions du Temps, merci Jean Ollivro, vous êtes donc professeur de géographie à l'université de Rennes II. Demain, nous parlerons de tout autre chose, nous parlerons du bâtiment, puisque le bâtiment recrute. Tout de suite la météo, vos infos. Très bon début de soirée à vous.