Réseaux bretons : la Charte régionale

09 novembre 1999
04m 47s
Réf. 00715

Notice

Résumé :

Retour en archives sur le combat pour la reconnaissance de la langue bretonne. Récemment, la charte européenne des langues minoritaires a remis ce thème sur le devant de la scène politique. En partie signée par le gouvernement français, elle a été rejetée par le Conseil constitutionnel. Josselin de Rohan, Kofi Yamgnane et Yves Le Serre s'expriment sur le sujet.

Date de diffusion :
09 novembre 1999
Source :

Éclairage

Le projet de création d'un lycée d'enseignement bilingue à Carhaix qui se concrétise en 1999 est le résultat d'un processus amorcé dans les années 1970 en faveur de l'enseignement scolaire de la langue bretonne.

À partir de la IIIème République, l'enseignement obligatoire en français restreint la pratique du breton dans un cercle familial non officiel. Jusqu'à la fin des années 60, la langue bretonne demeure largement dépréciée et perçue comme la langue d'une population rurale peu instruite. Le changement de statut du breton s'opère au cours des années 70, par la reconnaissance de sa valeur. Cette mutation majeure coïncide par ailleurs avec le recul de la pratique et la baisse du nombre de locuteurs. De cette prise de conscience émerge la volonté de mettre à disposition un enseignement en breton, sur le modèle des classes Ikasto lak en langue basque.

Lors du discours de Ploërmel le 9 février 1977 de Valéry Giscard d'Estaing, alors président de la République, une charte culturelle est octroyée aux Bretons, en réaction à la demande de reconnaissance de leur identité culturelle. La charte répond à leur volonté de faire vivre la culture bretonne, notamment par le biais de l'enseignement. Une première école apparaît en septembre 1977 à Lampaul-Ploudalmézeau, rassemblant cinq élèves de maternelle autour de l'instituteur Denez Abernot, autour de la méthode par « immersion ». C'est tout un réseau d'établissements scolaires associatifs gratuits et laïques, en contrat avec l'Etat, baptisé Diwan, qui se met en place d'années en années. Des classes sont aussi créées dans l'enseignement catholique. Il est peu à peu possible de prolonger son enseignement en breton de la maternelle à la terminale, dans des établissements publics, privés laïcs en contrat avec l'état (Diwan), ou privé catholique.

Vingt ans plus tard, alors que 2000 élèves sont scolarisés dans des écoles Diwan et que les établissements sont de plus en plus nombreux, le problème de leur statut se maintient car l'on n'a toujours pas trouvé d'accord. Les établissements Diwan, confrontés au refus de prise en charge par l'Etat (qui estime l'enseignement en breton par immersion en décalage par rapport aux principes républicains), font face à des problèmes de financements et à l'incertitude constante quant à leur statut. En Mai 2001 Jack Lang signa un accord historique intégrant Diwan à l'enseignement public mais il sera rejeté par le Conseil d'Etat. Actuellement, la direction de Diwan souhaite que ces écoles - qui ont le plus souvent un statut d'établissements privés sous contrat et qui sont fortement soutenues par la Région - entrent dans un cadre semi-public.

Aujourd'hui, le breton est reconnu comme un trait culturel majeur de la Bretagne, support de traditions et d'identité qui ne doit pas disparaître. Ainsi, c'est en 1998 que la France signe la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, qui est instaurée par le Conseil de l'Europe depuis 1992, s'engageant à protéger et promouvoir les langues régionales.

Pauline Jehannin - CERHIO – Université de Rennes 2

Pauline Jehannin

Transcription

(Bruits)
Journaliste
Rennes 1975, une des premières manifestations qui revendiquent plus d'enseignement en breton ; c'est le mouvement de l'après mai 68, le régionalisme reprend de la vigueur et dénonce publiquement les excès du parisianisme. En février 1977, Valéry Giscard d'Estaing se rend à Ploërmel pour signer la Charte Culturelle de Bretagne, un texte qui prévoit entre autres d'encourager financièrement l'enseignement du breton.
Valéry Giscard d'Estaing
Ainsi sera confirmé le fait qu'il n'y a aucune contradiction entre la volonté de vivre la culture bretonne et la conscience d'être pleinement français.
Journaliste
En cette année 77, les discours politiques se traduisent dans les faits ; en septembre, dans le nord du Finistère s'ouvre la première école Diwan.
(Bruits)
Journaliste
Mais les régionalistes jugent les efforts de l'Etat insuffisants et en mai 79, le Front culturel progressiste breton alerte l'opinion.
Per Honoré
Or, malheureusement au bout d'un an, on se rend compte que là il y a une grande tromperie, car on nous a fait de belles promesses mais les moyens sont loin d'avoir suivi.
Journaliste
20 ans plus tard, 2000 élèves sont scolarisés dans les écoles Diwan, et pourtant le problème de leur statut n'est toujours pas tranché, c'est pourquoi l'an dernier, le projet du lycée Diwan à Carhaix a suscité une telle mobilisation. Le Conseil Régional de Bretagne avait décidé de le subventionner, le tribunal administratif, représentant de l'Etat, avait estimé que c'était illégal, alors est-ce à l'Etat, à la Région ou aux parents d'élève de financier l'enseignement régional, c'est toute la question qui se pose aujourd'hui.
Josselin (de) Rohan
En réalité ce qu'il faut, c'est que celui qui veut enseigner, voir son enfant enseigné en breton, a la capacité de le faire, qu'il puisse avoir un cursus, c'est pour ça qu'on nous soutenons Diwan d'ailleurs.
Kofi Yamgnane
Je serai pour que, le jour où l'Etat prend intégralement ses responsabilités, que ces écoles associatives disparaissent, elles sont nées pour disparaître. Et ce sera ça leur vrai succès, c'est d'avoir amené l'Etat en tant que tel à prendre en compte ce qu'elles ont imaginé.
Journaliste
En mai dernier, Kofi Yamgnane propose à l'Assemblée Nationale un projet de loi pour que la France adopte la Charte Européenne des Langues Régionales.
Lionel Jospin
Au président de la République, sur proposition du premier ministre.
Journaliste
Le Premier Ministre Lionel Jospin est pour, le Président de la République Jacques Chirac saisit le Conseil Constitutionnel qui estime le projet contraire à la Constitution. Les débats parlementaires s'animent et ne correspondent plus du tout aux traditionnelles frontières politiques, en fait à droite comme à gauche, il y a des deux côtés des régionalistes et des républicains opposés à la charte.
Josselin (de) Rohan
Elle n'est pas adaptée parce qu'elle prévoit des dispositions qui sont excessives et coûteuses et qui, en définitive, risquent d'indisposer la partie non bretonnante de la population bretonne, en raison des contraintes qu'elle ferait peser sur ceux qui ne sont pas des locuteurs bretons.
Kofi Yamgnane
Je suis extrêmement sensible à tout ce qui est expression de naissance, expression d'origine et pour moi, le combat pour le breton, ou pour le basque, ou pour le corse, ou pour l'occitan, c'est-à-dire tout ce qui peut être l'expression régionale profonde identitaire, je suis complètement sensible à ce problème, et pour moi ce n'est pas un combat factice.
Journaliste
En France métropolitaine, les basques et les corses ont été les premiers à créer des écoles. Les occitans sont plus de 2 millions à pratiquer leur langue. A l'Est du pays, 60% des gens savent parler alsacien.
(Bruits)
Journaliste
Alors quel avenir aujourd'hui pour les langues régionales ?
Yves Le Serre
Ce sera un breton extrêmement différent de celui de nos grands-parents, parce que simplement le contexte, la langue, c'est une éponge, elle reflète le, elle absorbe le contexte dans lequel on la plonge et la langue, elle absorbera... Ce nouveau breton absorbera le contexte d'une langue urbaine intellectuelle et restreinte socialement, je crois.
(Bruits)
Journaliste
Même sans parler breton et depuis longtemps, Kofi Yamgnane fut un de plus fervents militants des langues régionales. Mais aujourd'hui, tout le monde politique est convaincu qu'il n'y aura jamais de majorité pour que la Charte Européenne des Langues Régionales soit définitivement adoptée par la France.
(Musique)