Souvenirs de bistrot à Paimpol

06 août 1991
06m 49s
Réf. 00862

Notice

Résumé :

A Paimpol, la "Cité des Islandais" où la pêche à la morue et le départ des hommes, chaque hiver, pour six mois, ont rythmé la vie entre 1852 et 1935, rencontre avec Jean-Paul Cadic. Il a grandit dans le bistrot que tenait sa mère, le café des caboteurs et nous raconte, ses souvenirs des conversations des marins et anciens capitaines.

Type de média :
Date de diffusion :
06 août 1991
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Éclairage

Ce témoignage bref mais réjouissant concerne divers marins qui rivalisent pour imposer leurs histoires. La diversité est de mise puisqu'on retrouve les marins embarqués sur les longs courriers, sur les hauturiers mais aussi les membres de la marine nationale. Un homme témoigne également des cafés, lieu idéal de discussion dans les ports. L'interviewé parle avec amusement de la « compréhension mutuelle » des marins, qui se comprennent sans beaucoup se parler. Il met en évidence la rudesse de la vie qui durcit les corps et les âmes de ces marins.

Raphaël Chotard – CERHIO – UHB Rennes 2

Raphaël Chotard

Transcription

Journaliste
Jean-Paul [Cadig], alors vous, vous êtes aussi Paimpolais. Ce port, vous le connaissez très très bien, puisque vous êtes né ici, vous êtes né dans une petite maison que nous pouvons voir.
Jean-Paul Cadig
Pas loin d’ici, en effet, sur les quais.
Journaliste
On peut la voir. Alors elle a changé puisqu’aujourd’hui, c’est un bar, un restaurant qui s’appelle l’Escale. De votre temps, vous y êtes né vous, vos parents tenaient un bistrot.
Jean-Paul Cadig
Oui, en effet, j’ai eu le bonheur de naître dans ce bistrot comme vous dites, ce café.
Journaliste
Un café des caboteurs.
Jean-Paul Cadig
Oui, et d’y vivre mes premières années, quand on voyait les dernières années s’effilocher d’une époque révolue, si vous voulez. Je dois préciser que ce café, et donc toute l’ambiance qui y régnait était absolument imprégnée de ce qui restait comme réminiscence très actuelle ; encore quand même du phénomène ou du fait d’Islande, du fait du long cours, du fait de la pêche, etc, c’est certain. On pouvait d’ailleurs classer la nombreuse clientèle de ces marins en trois catégories si l’on peut dire, et qu’ils nous pardonnent si cela ne leur convient pas exactement. Il y avait évidemment les longs courriers, si vous voulez. Il y avait ceux qui pratiquaient la pêche, la pêche côtière ou roturière, dont faisaient partie forcément et fatalement les Islandais ou en tout cas les anciens Islandais. Et puis alors, quelques représentants plus rares, je dois dire, mais enfin du monde de la Royale, de la marine nationale.
Journaliste
Est-ce qu’il y avait beaucoup d’histoires qui se racontaient ?
Jean-Paul Cadig
Oh certainement, ils rivalisaient d’exploits remémorés.
Journaliste
Ils idéalisaient ?
Jean-Paul Cadig
Forcément, forcément c’étaient des vieux marins, pas tous vieux, mais enfin, ceux qui s’attardaient le plus longtemps à faire revivre leur épopée respective. C’était sûr, il y avait des histoires pas toujours vraisemblables, mais toujours, comment dire... toujours appréciées, quoi.
Journaliste
Vous avez des souvenirs précis ?
Jean-Paul Cadig
Vous savez, oui, mais il ne fallait pas compter sur la, comment dirai-je, la volubilité et la loquacité de ces marins là. Ils parlaient peu en fait, et peu de choses suffisaient parfois pour évoquer entre eux quelque chose qu'ils étaient susceptible chacun d’eux de connaître. J’ai en mémoire l’histoire, souvent évoquée aussi de deux vieux capitaines dans [l’encours], qui étaient déjà depuis certainement pas mal de temps en retraite ; et qui avaient leurs habitudes comme on dit dans ce fameux bistrot de ma mère là; et qui s’installaient toujours tranquillement à peu près à la même place derrière l’espèce de paravent fixe qui séparait l’entrée proprement dite, si on veut, de la grande salle. Alors, ils s’asseyaient là, ils observaient pendant pas mal de temps ce qui se passait autour d’eux. Et puis, quand ma foi, ils n'étaient pas accrochés par une conversation précise ou en tout cas qui ne les concernait ou qui ne les interpellait pas. Ils entamaient leur propre dialogue. Comme ils connaissaient chacun d’eux, les histoires de l’autre, ça se réduisait très souvent à une conversation assez impressionnante. Forcément, l’un d’eux commençait, je ne saurais pas vous dire lequel.
Journaliste
Quel capitaine ?
Jean-Paul Cadig
Lequel commençait…, mais enfin, cela commençait à peu près comme ceci. Alors, l’autre en l’occurrence qui avait une voix un peu plus perchée, oui, eh oui. Et comme il fallait conclure ou en tout cas en terminer avec les vocations sous-jacentes là, oui ! Et on passait à un autre sujet. C’était impressionnant, et ça m’avait fortement impressionné.
Journaliste
D’autant que je crois que c’était d’autres personnages physiquement.
Jean-Paul Cadig
Ah physiquement, oui, bon, l’un d’eux, je peux le nommer.
Journaliste
Le capitaine [Libouban] et le capitaine [Cornali].
Jean-Paul Cadig
Voilà, vous les connaissez, c’était le capitaine [Libouban] et le capitaine [Cornali] qui jouissaient de cette compréhension mutuelle tout à fait étonnante.
Journaliste
Comment étaient-ils physiquement ?
Jean-Paul Cadig
Ah physiquement, alors Monsieur [Libouban] était fort, il se tenait droit sur son torse, bien... comment dire, bien garni. Et lui l'autre, monsieur [Cornali] ou le capitaine [Cornali], plus fluet, plus voûté, peut-être un peu plus âgé. Mais enfin, tous les deux parlaient de la même chose et des mêmes événements, des mêmes campagnes, des mêmes voyages, des mêmes ports. On supposait tout ça, en tout cas, ils étaient parfaitement au courant de ce qu’ils disaient.
Journaliste
Il y a eu d’autres souvenirs précis dans ce bistrot ?
Jean-Paul Cadig
Bien sûr, bien sûr, oui, oui, oui. Vous savez, c’était un bistrot tout à fait spécial, je ne dis pas qu’il n’en existait pas d’autres qui avaient leurs propres caractéristiques si vous voulez. Mais il se trouvait que celui-là était tout à fait spécialement orienté, de par sa situation géographique, puisqu’il était hissé au bord des quais ; orienté vers la mer, et non seulement vers la mer mais ouvert aux gens de mer aussi, qui se classaient comme je viens de vous le dire ou comme je viens de le suggérer en à peu trois catégories. Le bistrot était tellement orienté vers la mer qu’elle y venait parfois. Deux fois par an quelque fois aux périodes de grandes marées d’équinoxe, la mer se permettait de venir toucher les pieds de ces vieux marins là.
Journaliste
Et votre mère était la patronne.
Jean-Paul Cadig
Ma mère était la patronne incontestée, parce qu’il y avait – comme on peut l’imaginer – des frictions, des tensions qui s’exprimaient parfois de manières assez brutales, assez violentes. Mais la plupart du temps, un seul mot de sa part suffisait pour remettre de l’ordre dans toute la maisonnée, oui, oui.
(Musique)