Souvenirs du procès contre Amoco

17 février 1993
10m 48s
Réf. 00865

Notice

Résumé :

Après la marée noire, les côtes du Finistère et des Côtes-d'Armor vont, dès l'été 78, retrouver leur aspect normal. Mais le préjudice est énorme pour les professionnels de la pêche et du tourisme. Alors va commencer l'incroyable feuilleton juridique avec la législation américaine. Les maires des 92 communes sinistrées ont tous fait le voyage en Amérique. Tous se souviennent de leur marche dans les rues de Chicago devant des badauds médusés. L'entêtement breton a eu gain de cause après 14 ans de procédure : 1 milliard 45 millions versés à l'Etat français. En direct de la mairie de Ploudalmézeau, Alphonse Arzel, sénateur maire de Ploudalmézeau et Paul Burel correspondant à Ouest France de Brest à l'époque du naufrage, racontent cette épopée.

Type de média :
Date de diffusion :
17 février 1993
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Éclairage

Les marées noires font malheureusement partie de l'actualité bretonne puisque dans la seconde moitié du XXe siècle, de nombreux pétroliers sont venus souiller les côtes bretonnes : le Torrey Canyon en 1967, l'Amoco Cadiz en 1978, ou plus récemment l'Erika en décembre 1999, dont le chanteur Gilles Servat a fait une chanson.

L'émission de 1992 revient sur le combat qui a permis, après le naufrage de l'Amoco Cadix (1978), de faire reconnaitre la responsabilité des pollueurs, afin qu'ils soient jugés. Ce procès mémorable qui s'est passé aux USA a eu un retentissement national en France mais n'a eu que très peu d'échos auprès de l'opinion publique américaine. On retrouve uniquement 5 lignes dans le grand quotidien le Sun-Time qui évoquent la manifestation de Bretons venus exprimer leur colère dans les rues de Chicago en 1982. Toutefois le 18 avril 1984, le tribunal de Chicago attribue la responsabilité principale de l'accident à la société Amoco corp, et une responsabilité partielle aux chantiers navals qui ont construit le super tanker. La socité Amoco Corps est condamnée à payer plus de 1200 millions à l'Etat français et au syndicat mixte regroupant les communes bretonnes. Ce procès a révolutionné le droit maritime international et a favorisé la mise en place de mesures de précautions en mer (le rail d'Ouessant).

Martine Cocaud – CERHIO – UHB Rennes 2

Martine Cocaud

Transcription

Journaliste
Pour Amoco numéro deux, toujours en direct et toujours en public de la Mairie de Ploudalmézeau, nous l’avons vu hier au cours d’une première émission, les côtes du Finistère et les Côtes d’Armor vont, dès l’été 1978, quelques mois après l’horrible marrée noire retrouver leur aspect normal. Mais le préjudice est énorme, à la fois pour les professionnels de la mer et pour ceux du tourisme. Alors, va commencer l’incroyable feuilleton juridique avec la législation américaine, et les maires des 92 communes sinistrées ont tous fait le voyage en Amérique. L’entêtement breton, tous ou presque. L’entêtement breton eut gain de cause après 14 ans de procédure, 1 milliard 45 millions de francs versés à l’Etat français et 230 millions aux bretons. Mais l’amertume est grande chez certains pêcheurs et chez les ostréiculteurs, médiocrement indemnisés. 5 millions de francs pour 1000 dossiers. Avec nous, pour parler de ce procès, un procès unique, et bien 3 des acteurs principaux de, enfin au moins 2 des acteurs principaux de ce procès, Alphonse Arzel qui est sénateur Maire de Ploudalmézeau. Louis Dautriat qui est journaliste au Télégramme de Brest, et qui a suivi tous ces dossiers. Et Jean-Baptiste Henry qui, à l’époque était chercheur à l’Inra et qui depuis d’ailleurs est devenu le permanent je crois du Syndicat Mixte de Protection de la Nature du Littoral Nord-Ouest de la Bretagne. Alors, Monsieur le Maire, est-ce qu’on peut parler de procès unique dont vous avez été d’ailleurs un des initiateurs, un acteur absolument infatigable, et qui a mis face à face donc, les Maires des communes sinistrées dont certains n’ont jamais pris l’avion, ça c’est pour la petite histoire, et la Standard Oil, qui est la, une des plus grandes compagnies pétrolières dans le monde. Comment s’est passée la rencontre ? Est-ce que c’est vraiment deux mondes qui s’ignoraient parfaitement ?
Alphonse Arzel
Ah, tout à fait, on ne savait pas d’ailleurs quand on lançait cette procédure vers quoi on se dirigeait. Nous ne pensions jamais que ce serait quelque chose d’aussi dur, d’aussi long et on a dû déployer beaucoup d’énergies pour permettre de tenir en haleine tous les acteurs de cette longue procédure. C’est vrai que la première fois où je suis arrivé à New York, puisque nos avocats étaient basés à New York, c’était un mois d’août avec une chaleur torride. On quittait un pays comme le nôtre qui est quand même un climat tempéré et on avait l’impression d’être écrasé, pas simplement par la chaleur mais par la hauteur de tous ces buildings que nous avons découvert en arrivant à New York. Puis, ça a été aussi un choc moins grand quand même avec les discussions que nous avons eu avec les avocats américains, puisqu’on les connaissait, certains d’entre eux mais pas tous. Et moi personnellement, j’ai été très impressionné de voir la façon dont travaillaient ces hommes. J’ai découvert là que on avait à notre disposition quand même des hommes capables, qui semblaient compétents et ça nous a un peu remonté le moral, mais…
Journaliste
Alphonse Arzel, vous avez fait combien de fois le voyage en Amérique ?
Alphonse Arzel
Je crois que 14 fois. Mais je ne suis pas allé à chaque fois à New York, parfois on est allés directement à Chicago, plusieurs fois d’ailleurs. Mais on avait pris l’habitude, quand on se déplaçait finalement de faire les trois villes. New York parce qu’il y avait nos avocats qui avaient leur siège là, Chicago où se déroulait la procédure et puis on faisait le crochet par Washington pour aller saluer l’Ambassadeur.
Journaliste
Alors très rapidement puisque le procès est maintenant terminé,
Alphonse Arzel
Oui,
Journaliste
Et que la page est tournée, est-ce que vous pouvez nous dire combien il coûtait ce procès ?
Alphonse Arzel
Combien il a coûté ? Pour nous, victimes des Côtes Bretonnes, si on y ajoute les intérêts de l’argent emprunté, nous sommes à 135 millions de francs. 13 milliards et demi de centimes, voilà quel est le coût du procès. Nous avons versé 72 millions aux avocats américains. Nous en avons versé plus de 7 millions à notre avocat français, plus les frais et, les frais. Nous avons également payé beaucoup de professeurs de droit qui nous ont apporté leurs concours dans cette affaire, et je disais aussi qu’il y a eu des frais de fonctionnement de notre structure. Et enfin, comme nous n’avions pas d’argent, nous empruntions et nous avons dû payer des intérêts qui à l’époque étaient encore plus élevés que ce que nous payons aujourd’hui. En tout, quand on fait le total, nous arrivons à 135 millions de frais.
Journaliste
Monsieur Arzel, qui a payé cet argent ?
Alphonse Arzel
Nous, la population bretonne, c’est-à-dire les victimes des 92 communes, ainsi que le département du Finistère et surtout le département des Côtes d’Armor. Nous avons apporté cet argent en faisant appel à des prêts que nous remboursions en fixant le prix, un prix par habitant de chaque commune sinistrée.
Journaliste
A peu près 9 francs par an ? Pendant un petit moment, Louis Dautriat…
Alphonse Arzel
Ça a été plus loin que ça, on a été jusqu’à 15 francs par habitant après avoir démarré à 1 franc. Nous sommes arrivés à 15 francs à la fin du procès.
Journaliste
Précisions du journaliste du Télégramme de Brest. Louis Dautriat.
Louis Dautriat
Oui, sur le coût du procès et la facture acquittée, je voudrais dire quand même parce que c’est juste de ne pas les oublier que d’autres collectivités non victimes de la marée noire, les grandes villes de Bretagne, Saint-Brieuc, Brest, Morlaix par exemple, ont aussi cotisé à, au Syndicat Mixte pour apporter leur contribution au financement du procès.
(Musique)
Journaliste
Paul Burel, vous avez fait le voyage à Chicago avec les bretons ?
Paul Burel
Oui, effectivement c’est peut-être ce dont je me souviens le plus, c’est le voyage des élus bretons à Chicago avec une petite escale à New York. Euh, bon avec plein de péripéties, d’épiphénomènes, enfin de… D’abord d’ailleurs, si vous voulez, l’escale à New York et en particulier la visite de l’ONU. Alphonse Arzel, le Président du Syndicat de Défense des Intérêts Bretons dans l’affaire avait programmé une visite à l’ONU pour sa délégation. Et je ne sais pas s’il avait essayé de faire croire ou pas mais toujours est-il que la délégation croyait que c’était une entrevue officielle à l’ONU, ès qualité. Donc, certains avaient déjà sorti leur écharpe tricolore,
Journaliste
Ils se berçaient d’illusions là !
Paul Burel
Ils se berçaient de quelque illusion puisque…
Journaliste
Naïfs ces bretons !
Paul Burel
Oui, en l’occurrence puisque à l’entrée, tous d’un coup, ils se sont rendus compte qu’ils étaient pris entre un car de visiteurs canadiens, un car de visiteurs turcs ou je ne sais quoi, ils étaient pris pour des, pour des touristes. Et en plus, on leur réclamait 3$ par tête de pipe. Alors là, je me souviens de la tête de quelques uns dans la délégation, ils étaient fous furieux. Et Alphonse Arzel qui a du savoir-faire avait quand même négocié, il y a eu des tractations, et finalement, le résultat des courses, c’est que ils n’avaient pas payé 3$, ils avaient payé 1,75$. Et l’homme qui était à l’entrée, qui avait négocié, en rigolant leur avait dit : Je vous fais le tarif étudiant. Alors ça, évidemment on s’en souvient !
Journaliste
Alors, est-ce que les, l’opinion publique américaine avait entendu parler de ce qui s’était passé sur les côtes françaises ?
Paul Burel
Ben apparemment non puisque quand on avait, quand on était arrivés à Chicago, donc début mai 82, euh, en regardant les journaux de Chicago, on se rendait compte quand même qu’il y avait un sacré, un décalage pour ne pas dire un océan entre ce qui se passait à Portsall et ce que recevait l’opinion américaine. En l’occurrence, je me souviens que le Chicago Suntime, le jour même du procès avait 5 ou 10 lignes de compte-rendu à la page 76. Alors c’est vous dire un peu le décalage qu’il y avait ! Et en plus, quand alors, quand les bretons avaient défilé dans les rues de Chicago, puisqu’ils avaient descendu l’avenue Michigan, alors là donc avec l’écharpe tricolore en bandoulière, il y avait d’ailleurs le Secrétaire d’Etat à la Mer d’aujourd’hui, Charles Josselin. On ne peut pas dire que les gens de Chicago voyaient très bien de quoi il en retournait. Le plus souvent d’ailleurs, les bretons étaient pris pour des hollandais qui allaient à la foire internationale du moment. Il y a eu une confusion sur les couleurs et puis…
Journaliste
On les a pris pour des marchands de fromages, c’est ça ?
Paul Burel
Marchands de fromages, ça je ne sais pas. J’irai pas jusque là. Mais c’est…
Journaliste
Et même pas de fromages français, de fromages hollandais !
Paul Burel
Mais c’est extraordinaire ce décalage, cette petite manifestation dans la grande avenue de Michigan, escortés par un seul policier sur une superbe Harley Davidson à trois roues. C’était, il y avait un côté surréaliste, il faut bien le reconnaître !
Journaliste
Et vous pensiez, vous que c’était perdu quand vous aviez vu ça ?
Paul Burel
Non, pas du tout. Non, je… Là, je, dès qu’on a, je me garde, dès la première audience, on s’est rendu compte quand même que bon, même s’il y avait une indifférence totale de l’opinion américaine, il y avait un juge, une justice qui était quand même à la hauteur de l’évènement. Ce qui avait été frappant au début de ce procès en fait, c’est que les bretons étaient très quand même, très intimidés. Le procès se passait à la, au 27ème étage d’une tour, vous imaginez ? Bon, c’est pas Portsall hein, c’est même pas Brest ! Et c’était dans une grande salle boisée avec un seul juge en face d’eux, imperturbable, parlant une langue qu’ils ne comprenaient pas là, pour la plupart. Donc, ils étaient vraiment dans leurs petits souliers. Mais je crois que d’emblée, ce qui avait, ce qui les avait frappé, c’est que ce juge était très pointilleux. Il posait des questions dans tous les coins, mais c’est… Et même les gens se demandaient : Mais pourquoi il pose telle question. Il demandait si, mais au-delà des premiers intervenants, des premiers témoins, c’était, étaient de Radio Conquet, mais : Est-ce que votre fenêtre était ouverte ? Alors le, les gens demandaient : Pourquoi il pose de genre de question, mais c’est fou. Et donc, ils se sont rendus compte qu’il y avait une justice vraiment qui allait, qui était très pointilliste, pointilleuse et qui rentrait vraiment dans le détail qu’on ne connaissait pas en France.
Journaliste
Ça explique le feuilleton juridique qui a dû, qui allait y avoir ?
Paul Burel
Oui, tout à fait, ça explique que le feuilleton ait pu durer aussi longtemps. Parce que la démarche de la justice américaine, effectivement elle prend son temps, elle donne du temps au temps, oui ça…
Journaliste
Et vous diriez aujourd’hui que les bretons aient gagné, malgré la déception, l’amertume de certains ?
Paul Burel
Ah oui, moi je crois que les bretons ont gagné. Pour moi, il n’y a aucun doute là-dessus, je crois qu’ils ont eu raison d’y aller. Euh, et finalement, ils n’ont peut-être pas gagné au sens capitalistique du terme, ils n’ont pas fait fortune avec cette affaire-là mais ce n’était pas le but de la manœuvre dès le départ. Je crois qu’Alphonse Arzel et ses amis avaient bien dit : On veut gagner pour le principe. Et je crois que sur le principe, c’est clair qu’ils ont gagné. Même si aujourd’hui, on se rend compte que bon, il y a encore beaucoup d’efforts à faire, mais s’il n’y avait pas eu ce procès, je crois qu’il est évident que les pétroliers seront encore, pourraient faire encore beaucoup plus de folies et ne pas être sanctionnés.