Manifestation au Chantier Dubigeon à Nantes

07 octobre 1985
02m 38s
Réf. 00106

Notice

Résumé :

La décision de réduire les effectifs des chantiers navals Dubigeon provoque la colère des salariés. Après avoir manifesté violemment dans les rues de Nantes, les salariés se sont rendus à la Direction de l'entreprise où ils ont saccagé les locaux.

Date de diffusion :
07 octobre 1985
Source :

Éclairage

Le chantier Dubigeon, comme une grande partie des chantiers de construction navale ligérien, est né de la prospérité du commerce colonial nantais au XVIIIe siècle. Fondé en 1738 par Julien Le Charpentier, il devient en 1969 une société anonyme qui réunit les trois grands chantiers nantais. A Saint-Nazaire, le processus de concentration est parallèle. Le chantier de Penhoët, créé en 1861, et les Ateliers et Chantiers de la Loire, fondés en 1881, fusionnent en 1955 et prennent le nom de Chantiers de l'Atlantique.

Ces grands centres de production rassemblent des effectifs conséquents de travailleurs : ils sont 10 000 à Saint-Nazaire en 1960 et 7 000 à Nantes. Une classe ouvrière tout à fait atypique prend naissance et de grandes actions collectives contribuent à maintenir ou même conforter cette identité collective : on peut notamment citer les grandes grèves de 1955 ou de 1968.

Dans le domaine de la construction navale civile et militaire, la reconstruction - due aux dégâts occasionnés par la Seconde Guerre mondiale - s'est poursuivie depuis le milieu des années 1950 avec une succession de fusions et de rachats. Mais, depuis le début des années 1970, la construction navale est victime d'un certain malaise. En effet, le premier choc pétrolier de 1975 a d'importantes répercussions pour les entreprises navales comme Dubigeon. L'industrialisation de la région est encore fragile et bien des entreprises régionales, dans les années 1979-1985 sont rachetées ou font l'objet d'une prise de contrôle par des firmes françaises ou étrangères. Avec ce processus transparaît une incapacité à s'agrandir ou à se moderniser faute de capitaux, donc d'une inadaptation des structures aux nouvelles conditions du marché national et international. Quant aux entreprises régionales dynamiques, elles sont obligées de s'associer avec de grandes firmes extérieures afin de maintenir leur expansion, tout en prenant garde de ne pas être absorbées.

Il apparaît clairement que le rôle joué par l'Etat et la concurrence internationale incite à la concentration et à la diminution du nombre des unités. En 1976, Alsthom s'introduit dans les Chantiers de l'Atlantique. Puis en 1983, une fusion donne naissance à Alsthom-Atlantique-Dubigeon-Normandie. Cette restructuration conduit le chantier Dubigeon à se tourner vers les navires de guerre, les car-ferries, les transports frigorifiques ou de produits chimiques et à délaisser la construction de bateaux pour la navigation de plaisance et la pêche. Ces mutations réduisent le poids économique de la construction navale en Pays de la Loire, mais elle n'en reste pas moins déterminante dans les villes dont elle est l'activité principale. Malgré la reprise de la production des paquebots en 1981, les Chantiers de l'Atlantique n'emploient plus guère que 4 600 personnes. Avec le Bougainville, Nantes a vécu, en 1986, son dernier lancement de navire. Toutefois ces efforts n'ont pu contrecarrer la chute : Dubigeon disparaît en 1987. Un lieu de mémoire s'est élevé : les anciens ouvriers de l'entreprise Dubigeon ont effet fondé une association culturelle en 1986 et animent depuis 1991 une Maison des hommes et des techniques à Nantes.

Fabien Lostec

Transcription

Xavier Cosse
Madame, Monsieur, bonsoir, la colère monte, le climat social s'envenime de jour en jour au chantier Dubigeon. Pour manifester leur colère après l'échec de la rencontre tripartite vendredi dernier à Paris, plusieurs centaines de salariés sont descendus dans les rues de Nantes, ce matin, pour exprimer leur exaspération. Pneus brûlés et locaux saccagés à la direction des chantiers, ils seront fermés demain.
Alain Garabiol
Le cri de colère et de désespoir des salariés de Dubigeon, c'est fait entendre. Après avoir fermé les portes de l'entreprise, l'intersyndicale CGT-CFDT, a entraîné les salariés vers la préfecture, sur leur chemin, sur le couvre des 50 otages, ils ont fait brûler des pneus. Si l'on touche à la Navale, Nantes brûle à expliqué un responsable syndical. En fait, cette manifestation témoigne du désarroi du personnel après l'échec de la réunion tripartite de Paris. L'effectif du chantier devrait passer de 1150 à 550 salariés seulement. Pour les syndicats, deux responsables, les patrons et le gouvernement qui a entériné ces décisions.
(Silence)
Xavier Cosse
Est-ce que vous pensez qu'il y a encore un espoir pour vous ?
Alain Nobley
Notre espoir réside essentiellement dans la capacité de mobilisation qu'on va pouvoir développer et nous pensons actuellement que les pouvoirs publics craignent essentiellement un élargissement du conflit, compte tenu de tous les problèmes d'emploi qu'il y a actuellement en Loire-Atlantique. Alors nous, notre objectif va être de travailler à cet élargissement justement. Ils craignent que Dubigeon soit l'étincelle et bien on va essayer de faire en sorte qu'elle le soit. Si vous voulez, on va fouiller un petit peu parce que ces listes là, on voudrait bien les trouver.
Xavier Cosse
Revenus au chantier, plusieurs salariés sont montés dans les bureaux de la direction pour inciter celle-ci à quitter les lieux. Après son départ, le saccage des bureaux de la direction commençait. Fauteuil, matériel de bureaux et dossiers étaient jetés par les fenêtres, peu après, la CFDTdéclarait comprendre cette manifestation de colère des travailleurs dans la mesure où la direction les avait provoqués en venant malgré la fermeture de l'entreprise. Mais elle ajoutait que cette action avait été spontanée. Pour sa part, la direction annonçait que le chantier serait fermé demain pour mettre en oeuvre des mesures permettant la reprise d'une activité normale mercredi. Mais le saccage de ce matin a nettement divisé les syndicats, la CGT se désolidarisant complètement de cette action.
(Silence)
Alain Nobley
Nous condamnons tous ces actes parce que c'est porter un coup néfaste aux travailleurs dans leur... pour la défense de leur outil de travail. La CGT a toujours défendu l'outil de travail et on veut que Dubigeon reste à Nantes avec tout son potentiel économique d'abord et le potentiel humain ensuite.