Mathurin Méheut

28 octobre 1982
13m 33s
Réf. 00228

Notice

Résumé :

Dessinateur, peintre, illustrateur, décorateur, Mathurin Méheut a consacré sa vie à son œuvre. Ses proches reviennent sur sa carrière. De la Bretagne au Japon, il a su capter les atmosphères et témoigner de la vie quotidienne de ses contemporains.

Type de média :
Date de diffusion :
28 octobre 1982
Source :
FR3 (Collection: Terroir 22 )
Personnalité(s) :

Éclairage

Mathurin Méheut est né à Lamballe en 1882 dans une famille d'artisans. Malgré la réticence familiale, il entre à l'école des Beaux-Arts de Rennes en 1897 puis poursuit ses études à Paris. Au début du siècle, les artistes, tributaires des salons et des critiques pour une reconnaissance, sont souvent contraints de rester dans la capitale. La province a des structures d'enseignement fragiles et peu stimulantes. C'est à Paris que Mathurin Méheut conduit sa carrière de peintre, d'illustrateur et de décorateur, tout en puisant son inspiration dans son pays natal, la Bretagne. Conscient de la disparition imminente d'une identité culturelle bretonne, il parcourt inlassablement le pays et croque les Bretons, les saisissant avec justesse. D'un trait affirmé, concis, ses dessins témoignent des vieux métiers, de la pêche, des costumes, des broderies. Des observations précises sont à l'origine de ses illustrations et lui valent des commandes d'éditeurs (une cinquantaine de livres).

Peintre, il a découvert les Fauves, les Nabis et donc le travail de l'exaltation de la couleur. Coloriste, il utilise la caséine, matière mate au séchage rapide qu'il applique d'un geste vif par larges touches. C'est en 1914 qu'il voyage au Japon grâce à une "Bourse autour du monde" donnée par la Fondation Albert-Kahn. Il y découvre une nouvelle sensibilité artistique qui inaluence alors son expression. Toutefois sa pratique reste autonome et il n'adhère à aucun grand mouvement de l'époque.

Décorateur, il peint des tapisseries mais aussi des décors pour le paquebot Normandie. Il a aussi réalisé des projets pour des faïences qui ont été réalisées à la faïencerie Henriot de Quimper et à Sèvres.

Françoise Cocaud

Transcription

(Musique)
Journaliste
Mathurin Méheut naît à Lamballe en 1882 dans une famille d'artisans. Son père est menuisier. Très tôt, le croquis, la peinture l'intéresse. Ne dit-on pas dans sa famille qu'il a su dessiner avant de savoir écrire ? Lorsqu'il annonce à ses parents qu'il veut en faire son métier, c'est l'incompréhension, puis le refus. Mais en compensation, on lui fera apprendre la peinture en bâtiment. A quinze ans, il coupe plus ou moins les ponts avec sa famille. Il s'inscrit aux Beaux-arts à Rennes et à Paris, s'y installe, mange de la vache enragée pendant quelques années. Puis la roue tourne, et dans les années 12-13, on reconnaît son talent, il a juste trente ans.
(Musique)
Maryvonne Méheut
Il était violent mon père, il n'était pas facile à vivre. Il était très sévère. Il était sévère avec moi, il était sévère avec ses élèves. Il était sévère avec les artistes.
Journaliste
Et pourquoi tout ça, parce qu'il était très minutieux ?
Maryvonne Méheut
Il était très minutieux, et puis les vacances pour lui ça n'existait pas, les fêtes n'existaient pas, il n'y avait que son travail, absolument. Vous l'auriez vu travailler, il était comme ancré absolument sur le terrain, tenant son carnet entre ses bras, et puis rien n'existait, le monde entier n'existait pas, seul l'objet de son dessin avait quelque valeur, c'était tout.
Pierre Quiniou
On ne peut pas concevoir Mathurin Méheut autrement qu'un crayon à la main, ce crayon Conté, vous savez, gras, qu'il privilégiait pour son écriture. Et il a fait une oeuvre donc d'illustrateur qui est connue dans le monde entier, une oeuvre de décorateur de décoration murale importante, puisqu'il a décoré plusieurs paquebots, aussi bien pour les Messageries maritimes que pour la Transat. Son registre est très étendu.
(Musique)
Pierre Quiniou
Il a adopté un procédé pictural qui était l'utilisation de la caséïne. C'est-à-dire qu'au lieu de se servir de l'huile qui est un véhicule difficile à manier et qui surtout implique un échelonnement de la création dans le temps, puisqu'on ne peut pas peindre sur des dessous qui ne sont pas bien secs, les repentirs sont désastreux. Tandis que la caséïne permet d'intervenir à tout moment sur la peinture en cours de travail. C'est d'ailleurs la technique qui était très souvent aussi adoptée par les Nabis, et surtout par Vuillard. En plus, elle est mate, elle se refuse si vous voulez cette sorte de luxe de présentation qu'est le vernis, pour atteindre vraiment la réalité plastique des choses par une sorte d'ascèse dans la technique.
Journaliste
Est-ce que c'est un coloriste pour vous ?
Pierre Quiniou
C'est un coloriste, d'ailleurs il baignait, somme toute, il ne faut pas oublier qu'il baigne dans une création qui est celle de son temps, le cubisme est là, le surréalisme est là, et bien entendu, l'art-déco, ce qu'on appelle l'art-déco est là. Donc, il y a une exaltation de la couleur qui commande, les Fauves, bien entendu, ont passés par là, et Mathurin Méheut donc se refuse à l'académisme asséché, et il utilise la couleur pure fréquemment. Sa peinture est extrêmement joyeuse, pleine d'allégresse, et son graphisme est approprié à cette exaltation de la couleur. Il a trouvé le dessin de sa couleur, ce qui n'est pas une chose aisée.
(Musique)
Journaliste
Vous parliez tout à l'heure du Japon, Mathurin Méheux a été très marqué par ce voyage ?
Maryvonne Méheut
Oui, par la facture japonaise justement, par ce côté très simple, par des couleurs très raffinées, et par aussi le raffinement de leur vie. Il était en admiration devant leurs coutumes qu'ils exerçaient encore, si vous voulez, les costumes, les cérémonies intimes, il disait que c'était très impressionnant.
(Musique)
Pierre Quiniou
Il y a effectivement un trait à la fois précis et généreux, opulent, gras. Et cette écriture dynamique qui est d'ailleurs celle aussi des Japonais puisqu'il faut bien dire que nous vivons dans cette sorte d'imprégnation de l'art japonais, et cela depuis les Goncourt,
Intervenant
donc c'est tout à fait dans l'air du temps, si vous voulez. Mais Mathurin Méheut, imprégné par l'art, a un graphisme qui est vraiment le sien.
(Musique)
Yvonne Jean-Haffen
C'est un témoin de son temps, c'est-à-dire que vous retrouvez dans, si vous voulez, surtout pour la Bretagne, si vous voulez retrouver toute la vie bretonne du début du siècle, il n'y aura que chez Méheut que vous la retrouverez.
Pierre Quiniou
Il avait vécu vraiment en contact permanent avec le peuple du travail breton, que ce soient les marins, les paysans, et il en était l'interprète, tout au moins il considérait que son propos était de se faire l'intercesseur le plus fidèle, le plus chaleureux de ce spectacle du monde du travail breton,
Intervenant
et qu'il devait transmettre aux générations futures.
(Musique)
Pierre Quiniou
La notion de bretonnité, il l'avait si vous voulez viscéralement, et il considérait qu'il devait se maintenir en dehors des contingences politiques et culturelles du moment, que son propos à lui consistait à la manifester donc, cette bretonnité, cette identité culturelle bretonne, par le graphisme qui était le sien. J'imagine que s'il avait été écrivain, c'est par l'écriture qu'il aurait certainement témoigné de la même manière.
Journaliste
Politiquement, il était engagé ?
Intervenant(e)
Non. Il ne s'est jamais engagé politiquement dans aucun parti, jamais.
Journaliste
Pourquoi, par individualisme ?
Intervenant(e)
Oui.
Journaliste
Il avait peur d'être utilisé ?
Intervenant(e)
Ce n'est pas qu'il avait peur de faire quelque chose, mais il n'a jamais trouvé dans les partis politiques quelque chose de complet. Il trouvait du mal et du bien dans chacun, alors il aimait mieux rester neutre puis attendre les événements.
Journaliste
Mathurin Méheut meurt en 58, il a traversé donc soixante quinze ans d'histoire, sans prendre une part active aux différents mouvements qui émailleront cette première partie du XXe siècle, à l'exception toutefois des deux guerres. Discret, réservé, solitaire, se tenant éloigné des salons et des chapelles artistiques, c'est ainsi que le dépeignent ses proches.
(Musique)
Maryvonne Méheut
La guerre de 40 l'avait tellement déçu, il voulait absolument un rapprochement franco-allemand, Et il l'a manifesté pendant la guerre de 40 et les voisins l'ont très mal pris, parce qu'il recevait des artistes qui connaissaient sa production, des artistes allemands qui venaient en uniforme rue d' Alleray, et il a dû demander à ses officiers de venir en civil, pour ne pas avoir d'ennuis pour lui ni pour eux-mêmes.
Journaliste
Quels ont été ses rapports avec la religion, on peut penser qu'avec la Bretagne qui est très traditionnaliste ?
Maryvonne Méheut
Il s'entendait bien avec le clergé, mais enfin, des relations un petit peu éloignées si vous voulez. Il adorait les pardons, il adorait les manifestations religieuses, parce que c'était un décorum, comme nous, nous sommes sensibles, si vous voulez au décorum orthodoxe. Bon, pour lui, les bannières qui flottaient dans le vent, les costumes des musiciens etc. Et puis alors, une ferveur, c'était la ferveur des Bretons qui le touchait beaucoup. Il pleurait, j'ai vu mon père la larme à l'oeil à certaines processions, il était très émotif, mais tout ça toujours en retrait. Toujours.
Journaliste
Il n'était pas croyant ?
Maryvonne Méheut
Pas positivement, pas précisément, non.
(Musique)
Yvonne Jean-Haffen
Il est toujours resté en dehors des marchands de tableaux. Ce n'était pas son idée, il voulait garder sa liberté. Et il pensait bien se débrouiller tout seul, et c'est ce qui est arrivé du reste.
Journaliste
Est-ce qu'il a mangé de la vache enragée ?
Maryvonne Méheut
Oui. D'ailleurs il disait que c'était une très bonne chose pour les jeunes. Oui parce que ses parents ne lui donnaient absolument aucun argent. Sitôt qu'il a eu quitté Lamballe, ils lui ont dit tu n'as qu'à travailler, et ils l'ont obligé à apprendre la peinture en bâtiment avec un vieux compagnon, à Lamballe, qui s'appelait [Guernion], qui lui a appris, un métier absolument extraordinaire, il peignaient très bien le faux marbre, le faux bois, les pavés, tout ce que vous voulez. Et par la suite, ça lui a peut-être un peu servi, ces mélanges de matières.
(Musique)
Yvonne Jean-Haffen
Il se destinait plus artisan qu'artiste. Il disait : « moi, je fais des images ».