La Grève du lait

07 juillet 1982
04m 01s
Réf. 00267

Notice

Résumé :

Dix après la Grève du lait, M. Jacobin, agriculteur et leader syndical, revient sur ce conflit qui a bousculé le monde agricole. Il a eu pour principales conséquences l'émergence de nouveaux syndicats et l'accentuation des disparités économiques.

Date de diffusion :
07 juillet 1982
Source :
FR3 (Collection: Rennes soir )

Éclairage

Alors qu'en 1984 les éleveurs laitiers se battent contre la politique des quotas mis en place dans le cadre de la PAC, le syndicaliste présent lors du tournage revient sur la grève du lait de 1972 et réfléchit à l'impact de la modernisation sur les structures syndicales et socio-économiques de la Bretagne.

Les statuts des agriculteurs se sont nettement différenciés depuis le début des années 60. Une petite partie de la paysannerie a construit des entreprises capitalistes. Le syndicaliste interrogé évoque Alexis Gourvennec, comme représentant de ce modèle, qui fut propriétaire d'un des plus gros élevages porcins et qui a beaucoup œuvré pour structurer les marchés agricoles. D'autres agriculteurs plus modestes mais déjà bien établis en foncier ont sorti leur épingle du jeu en évitant la trop forte spécialisation et ont agrandi leurs exploitations. Ces deux groupes sont souvent adhérents ou proches de la FNSEA (foi dans le productivisme et dans la libre entreprise, co-gestion avec l'Etat).

Mais ce dynamisme passe par la concentration : 2/3 des exploitations vont disparaître entre 1970 et 2000 et d'autres, "les modernisés-endettés", voient leurs situation empirer au milieu des années 70 lorsque les marchés deviennent excédentaires et que les conditions de crédit se durcissent. Ce sont ces laissés pour compte de l'agriculture intensive qui, lors de la grève du lait en 1972, remettent en cause l'unanimisme syndical, encore très fort jusqu'aux premières ruptures perceptibles lors du 12ème congrès du CNJA (Centre national des jeunes agriculteurs) du 5 et 6 juillet 1970.

Si la branche libérale domine toujours dans les Côtes-d'Armor et en Ille-et-Vilaine, les modernistes (Bernard Lambert) qui dénoncent les pratiques capitalistes l'emportent dans le Finistère et le Morbihan. Ces contestataires de la FNSEA seront les plus mobilisés en 1972 et exigeront la définition du prix de revient du lait de façon à garantir la rémunération du travail. La lutte sera particulièrement vive dans le Morbihan et le Finistère, où des milliers d'hommes et de femmes s'engagent dans l'action. Ils s'associeront en 1973 pour former "le comité de Redon" qui se montrera très anti-libéral et qui participera activement en 1977 et 1978 à la lutte contre les Montants compensatoires monétaires (MCM).

C'est également au début des années 70 que les CDJA d'opposition créeront la revue Paysans en lutte très marquée par l'extrême gauche et proche des mouvements ouvriers. Cette mouvance quittera ensuite la FNSEA pour former en 1974 l'association nationale des "paysans-travailleurs". Ces jeunes syndicalistes dénoncent l'échec de la politique fondée sur la productivité et la compétition qui mène à l'exploitation et la paupérisation d'une majorité. Dans l'esprit des années 70, ils proposent une union avec le milieu ouvrier, divergeant en cela du MODEF (Mouvement de défense des exploitants familiaux) qui dénonce également le capitalisme mais avec des méthodes moins radicales.

L'arrivée de la gauche en 1981 fera évoluer à nouveau ce paysage syndical : sous l'impulsion de Bernard Lambert, la Confédération nationale des travailleurs paysans est crée (CNTSP) alors que les CDJA et FDSEA sécessionnistes (comme le comité de Redon) se regroupent autour de Guy Le Fur pour créer "l'interpaysanne" qui deviendra plus tard la fédération nationale des syndicats paysans (FNSP). En 1987, la FNSP et la CNSTP fusionneront pour former la Confédération paysanne.

Martine Cocaud

Transcription

Journaliste
En mai et juin 1972, le monde agricole en Bretagne va connaître le premier mouvement de masse parti de la base assimilable aux luttes ouvrières. Sous-jacent depuis trois ans au moins, il éclatera parce qu'à la consommation le prix du lait est en hausse alors qu'à la production il est en baisse dans le cadre de péréquation hiver été. Cette bagarre, où pour la première fois également les femmes prendront une part active, va entraîner des évolutions dans le milieu paysan breton. Dix ans après, on assiste encore à une dualité dans l'attitude de certains agriculteurs. Parfois c'est le travailleur qui prend le pas sur le capitaliste, parfois c'est l'inverse. Mais la remise en cause du productivisme par les petits qui travaillent sur la ferme en famille en est une suite logique.
Jean-Charles Jacobin
Les bases essentielles de la grève du lait, c'était d'arriver à obtenir une rémunération du travail sur la base du prix de revient. C'est quelque chose qui était nouveau en agriculture. C'était la première fois qu'on parlait de rémunération du travail en agriculture. Cette revendication, au bout de dix ans, a fait énormément de chemin. D'une part, la notion de quantum qu'on mettait en avant de façon très timide il y a dix ans, mais qui était déjà posée au moment de la grève du lait, cette revendication du quantum aujourd'hui elle est reconnue par tout le monde, pas exactement par tout le monde parce que les gros producteurs actuellement n'ont pas intérêt au quantum, mais que ce soit au niveau des pouvoirs publics, que ce soit au niveau d'un grand nombre de paysans, on est obligé de prendre en considération aujourd'hui que si on veut pouvoir résoudre le problème du salaire des paysans, le problème de la rémunération du travail, le problème de l'agriculture globalement, on ne peut pas ne pas prendre en compte cette notion de quantum. Je pense que si on n'avait pas commencé par mettre en avant le prix de revient, revendiquer la suppression des primes de quantité, on n'aurait pas pu, aujourd'hui, arriver à cette revendication-là.
Journaliste
Le syndicalisme officiel des années soixante-dix qui se veut un syndicalisme de chefs d'entreprise s'est totalement désolidarisé du mouvement dans certains des départements bretons. Soutenus donc par les seuls CDJA et FDSEA du Finistère et du Morbihan, les producteurs vont créer des sections syndicales ; ils seront ainsi en complet désaccord avec la ligne de pensée parisienne.
Jean-Charles Jacobin
Ce qu'on peut dire aujourd'hui, c'est que le courant paysan travailleur qui était présent pendant la grève du lait mais encore pas très organisé, s'est organisé à la suite de la grève du lait pour donner actuellement le syndicat des travailleurs paysans au niveau national en se regroupant avec d'autres, qu'une partie des dissidents de la FNSEA, leur dissidence s'est encore confirmée et on voit apparaître aujourd'hui une rupture et la création de la FNSP (Fédération des syndicats de paysans) je crois, bon, ça c'est au niveau syndical.
Journaliste
Et au niveau économique ?
Jean-Charles Jacobin
Au niveau économique, on peut le voir à deux niveaux, d'une part au niveau des paysans eux-mêmes, c'est que si déjà, il y a dix ans, l'analyse qu'on faisait des couches de paysans nous montrait que tous les paysans n'ont pas les mêmes intérêts et qu'il y a des différences importantes, ce qui s'est passé depuis dix ans n'a fait que confirmer cette analyse, et que la différence entre les agriculteurs n'a fait que s'accroître pour prendre des proportions extrêmement grandes aujourd'hui. Et ça nous amène à un autre point d'ailleurs, sur le domaine syndical, c'est que compte tenu de cette situation de l'agriculture aujourd'hui, on ne peut pas considérer comme honnête une action syndicale de type unitaire. On ne peut pas demander à des paysans du type Gourvennec, qui sont de vrais chefs d'entreprise avec quinze ou vingt salariés, et quinze cent truies, et des petits producteurs de porcs, on ne peut pas leur demander d'aller se battre en même temps pour une augmentation du prix du porc, parce qu'ils n'ont pas les mêmes intérêts. Ce qui nous amène donc au niveau syndical à poser la question du syndicalisme unitaire, qui n'a plus sa place aujourd'hui en agriculture.