Le remorqueur Abeille-Flandre

20 janvier 1990
11m 03s
Réf. 00302

Notice

Résumé :

Un dispositif de surveillance de la Mer d'Iroise existe depuis 10 ans. Le remorqueur L'Abeille Flandre intervient dès que le vent souffle à 5 Beaufort. Ces interventions ont permis de sauver des vies et de protéger le littoral des pollutions.

Type de média :
Date de diffusion :
20 janvier 1990
Source :
FR3 (Collection: Bretagne hebdo )
Lieux :

Éclairage

L'Abeille Flandre n'est pas le premier nom de ce remorqueur de haute mer dont la mission principale est le sauvetage de navires en détresse. D'abord nommé Neptun Suecia, il est mis à l'eau en Norvège en 1978 pour un armateur suédois qui le destine à l'exploitation pétrolière offshore. Mais ce marché est en crise et le navire est désarmé rapidement. Il est alors acquis par la compagnie Abeilles International qui cherche des remorqueurs pour la surveillance des côtes françaises. C'est à cette date qu'il change de nom. Cependant le navire est affrété depuis le 14 décembre 1979 par la marine nationale.

Basé à Brest, sa mission est d'assurer des opérations d'assistance dans les zones maritimes à fort trafic, en l'occurrence le rail d'Ouessant. Long de 63,27 mètres, large de 14,43 mètres, il a un tirant d'eau de 7,30 mètres, il peut atteindre une vitesse de 17 nœuds, il dispose d'une force de traction de 160 tonnes et appareille systématiquement dès que le vent dépasse les vingt cinq nœuds. Entre 1979 et 2005 le navire a effectué 825 opérations dont 211 missions de secours à des navires en difficulté, permettant ainsi d'éviter de nombreuses pollutions pétrolières et chimiques. Cependant les interventions de l'Abeille Flandre n'ont pu empêcher les catastrophes du pétrolier Erika en décembre 1999 et du chimiquier italien Ievoli Sun en Octobre 2000 alors que dans les deux cas ces navires avaient été pris en remorque par l'Abeille Flandre. En avril 2005 il quitte Brest, remplacé par l'Abeille Bourbon, aux capacités de tractage supérieures, pour rejoindre Toulon où il remplace le Mérou.

Hervé Hamon a consacré un livre en forme d'hommage à ce navire, L'Abeille d'Ouessant (Seuil 1999), de même que Jean Bulot qui lui consacre de nombreuses pages dans son livre Capitaine Tempête (éditions des Equateurs, 2006), lui qui a été capitaine du remorqueur de 1979 à 1994.

Etienne Mathieu

Transcription

Radio
Vent de sud-ouest. 35 à 45 noeuds. 8-9 Beaufort, localement 50 à 60 noeuds, 10-11 Beaufort au sud-ouest de la Bretagne.
(bruits)
Philippe Abalan
Dès que la météo annonce des vents égaux ou supérieurs à 5 Beaufort, le remorqueur de haute mer Abeille-Flandre quitte Brest pour se rendre au large d'Ouessant. Il gagne le rail, un couloir de circulation obligatoire pour les 150 navires qui, chaque jour, entrent ou sortent de la Manche. Il en va ainsi depuis 10 ans, lorsque fut mis en place un dispositif exceptionnel de surveillance de la mer d'Iroise, dispositif dont l'Abeille est un des piliers, et dont l'objectif est d'éviter qu'une catastrophe comme celle de l'Amoco Cadiz ne se reproduise.
(bruits)
Jean-Paul Hellequin
Bon, je rectifie mes menus, selon quand même le temps, pour ne pas faire n'importe quoi, n'importe comment. Voilà mon travail de tous les matins.
Philippe Abalan
Aujourd'hui à midi, qu'est-ce qu'il y a à manger ?
Jean-Paul Hellequin
Aujourd'hui à midi, qu'est-ce qu'il y a à manger ? Je vais le dire. Pourtant, dans la marine marchande, il ne faut pas souvent le dire. Salade de thon, ça, ce n'est pas dangereux. Lapin à la moutarde, ça, par contre, certains disent que c'est dangereux. Des pommes frites, salade. Dessert : une magnifique omelette norvégienne.
(bruits)
Philippe Abalan
Armé par un équipage de 12 hommes, long de 64 mètres, haut comme un immeuble de 10 étages et entièrement automatisé, ce remorqueur de 23 000 chevaux est l'un des cinq plus puissants du monde, un bulldozer de l'océan.
(bruits)
Philippe Abalan
L'Abeille Flandre appartient à une compagnie privée qui le loue à l'Etat français. Et c'est la marine nationale qui gère son activité et ses interventions, la marine qui organise d'ailleurs la totalité du dispositif de sécurité, comprenant aussi des moyens aériens et terrestres. Deux autres remorqueurs de haute mer remplissent des missions équivalentes, l'un à Toulon, l'autre à Cherbourg. Toujours sur le qui-vive comme des chasseurs de prime, les hommes du remorquage ont été souvent comparés à des charognards qui se satisfont volontiers du malheur des autres, une étiquette qui, on s'en doute, énerve ces marins. Ils y voient une méconnaissance totale de leur univers et des règlements qui le régissent. « En réalité, disent-ils, nous ne sommes qu'une dépanneuse qui circule le long de l'autoroute et qui n'intervient qu'en cas d'accident ». Et ils ajoutent : « Si des discussions de marchands de tapis finissent parfois par provoquer des naufrages, c'est le fait du capitaine qui rechigne jusqu'au dernier moment à faire appel à nos services. Nous ne pouvons pas intervenir unilatéralement. Ces bateaux sont dans des eaux internationales, ils y font ce qu'ils veulent ou presque ».
Jean Bulot
Nous, nous ne demandons rien, si vous voulez. Nous proposons nos services sur la base du [laws upon form] et ce sont des arbitres, ensuite, qui décident, mais ce n'est pas nous qui décidons. On ne va pas lui dire : « Ecoutez, donnez-moi 10% de la valeur de votre bateau et puis je ramène votre bateau à bon port ». Ça, c'est complètement faux. Nous n'avons rien à voir là-dedans. Le prix, la rémunération est décidée par des arbitres. Et ça, ça peut durer des années, ça. Mais nous ne refusons jamais de passer une remorque, d'assister un bateau même si le commandant n'a pas accepté le contrat. Et c'est ce qu'il s'est passé avec l'Amoco Cadiz d'ailleurs. Le commandant du remorqueur allemand a passé sa remorque 4 heures avant que le contrat ne soit signé, et il a essayé de tirer l'Amoco Cadiz de ce mauvais pas pendant 4 heures, alors qu'on avait dit le contraire. Ça, c'est faux. C'est pour ça, d'ailleurs, qu'on a cette image de... cette étiquette de chacal collée dans le dos, mais ça, c'est complètement idiot. Ça ne tient pas debout, ça ne tient pas la route, ça.
Philippe Abalan
Est-ce qu'on s'enrichit avec les primes de remorquage ?
Jean Bulot
Les trois-quarts du temps, c'est ce que nous, on appelle dans notre jargon des gamelles, c'est-à-dire des bateaux qui ont très peu... enfin, pas beaucoup de valeur. Donc pas de valeur, la prime est vraiment... la prime est ridicule. Et malgré tout, on prend de gros risques, de gros risques quand même pour ramener ces bateaux-là à bon port avec leur équipage.
Philippe Abalan
Si, cette fois, la tempête n'a provoqué ni détresse ni naufrage, elle n'en a pas moins laissé des traces. L'équipage de l'Abeille estime au moins à une centaine le nombre de ces boîtes désarrimées par chaque tempête. Et il explique que c'est inévitable, car pour des raisons commerciales, les navires marchands conservent leur vitesse quel que soit l'état de la mer. Une pratique inquiétante quand on sait que les conteneurs qui abritent des produits toxiques sont toujours stockés sur le pont. C'est le règlement qui le veut. Dangereux pour l'environnement, les conteneurs le sont aussi pour la navigation.
Pierre Fouquet
Ah la flotte, c'est dangereux surtout pour les petits bateaux de pêche et tout ça, là, sûrement, ça peut leur coûter la peau.
(bruits)
Jean-Paul Hellequin
Si, il faut assumer et puis penser aux collègues qui sont partis de chez eux pendant 45 jours, qui, pour se raccrocher, le seul plaisir, c'est la table, donc il faut assumer et puis il faut cuisiner quoi.
(bruits)
Philippe Abalan
Les conteneurs ne seuls pas les seuls échos de la tempête. Là, c'est un radeau de survie qui dérive. Il est vide de tout occupant et ne porte aucune marque d'identification. Seule une enquête auprès du fabriquant permettra de savoir d'où il provient.
(bruits)
Philippe Abalan
Entre deux rapports de mer, le commandant Jean Bulot a fait le bilan des 10 années de présence de l'Abeille sur le rail d'Ouessant. 340 interventions, 80 assistances, 100 sauvetages de navires de toutes sortes et autant de fûts chimique récupérés, sans oublier 16 exercices de remorquage avec des super-pétroliers qui ont montré qu'il était raisonnable de penser qu'un tel navire garantissait la Bretagne contre toute pollution majeure.
(bruits)
Philippe Abalan
Au bilan matériel s'ajoute un bilan humain. 113 marins ont échappé à une mort certaine. Les Polonais du Sopot sont de ceux-là. Ils ont été récupérés de nuit alors qu'ils nageaient autour de l'épave de leur cargo. Eux, comme Olivier de Kersauson, sauvé in extremis près de Molène avec son trimaran, doivent une fière chandelle au remorqueur.
Jean Bulot
T'iras mettre un cierge à sainte Anne.
Olivier Kersauson (de)
Ou deux.
Jean Bulot
Ou deux. Tu peux mettre trois, quand même, parce que oh eh ! Ce bilan est très positif. Qu'est-ce que vous voulez ? On a évité 100 naufrages, si vous voulez, et on a évité des marées noires, notamment la partie arrière du Tanio qu'on a récupérée à la limite des cailloux, et qui aurait fait une marée noire aussi importante que celle de l'Amoco Cadiz puisque c'est un produit beaucoup plus lourd. Et donc ce bilan très positif prouve d'abord que notre présence est absolument nécessaire voire indispensable pour sauver les vies humaines en mer, et puis surtout pour protéger le littoral de toute pollution et de tout échouement.
Philippe Abalan
Les interventions de l'Abeille pour assistance ou abandon de navire sont en augmentation sensible. Les péripéties récentes du pétrolier iranien Khark 5 en ont rappelé les raisons. Le vieillissement de la flotte marchande mondiale et l'absence de qualification à bord des pavillons de complaisance. Quand on sait que la mer d'Iroise est une des plus sévères qui soit, on comprend que la dépanneuse ne reste jamais très longtemps à quai. Même un peu rassis, il y a du pain sur la plage arrière.
Inconnu
Il paraît que les [poisons] sont content.
Inconnu 2
On a plus de gueule maintenant, une fois qu'on est à quai.
Inconnu
Ca ne bouge plus, là.
Inconnu 2
Bon allez, ça suffit.
(bruits)