M. Frémin, syndicaliste chez Citroën

11 avril 1967
11m 08s
Réf. 00377

Notice

Résumé :

M. Frémin est ajusteur chez Citroën. Délégué syndical à la CGT et catholique pratiquant, il a été licencié suite à une altercation avec son supérieur. Depuis, il se bat pour être réintégré, et poursuit son action syndicale auprès des travailleurs.

Type de média :
Date de diffusion :
11 avril 1967
Source :
ORTF (Collection: Zoom )

Éclairage

La loi L. Ollivier de 1864 et la loi Waldeck-Rousseau, votée en 1884, constituent une première étape vers la liberté syndicale en France. La première, en supprimant le délit de coalition, et la seconde, en autorisant la création de syndicats professionnels et ouvriers mettent fin à la loi Le Chapelier, promulguée en 1791, qui interdisait les organisations ouvrières et en particulier les corporations de métiers. Il faut cependant attendre 1946 et la rédaction d'une nouvelle constitution pour que la liberté dans le choix d'un syndicat, le droit de grève (y compris pour les fonctionnaires) et le droit à l'action syndicale soient reconnus.

Ces droits syndicaux ne sont pas toujours vus d'un très bon oeil par le patronat. Ainsi, en 1966, dans l'usine Citroën de Rennes, un salarié est licencié après avoir eu une altercation avec un contremaître. Yannick Frémin, militant à la CGT (Confédération Générale du Travail) et délégué syndical, avait demandé le droit d'exercer son mandat pendant son temps de travail mais ses supérieurs avaient refusé. Suite à son licenciement, d'importantes manifestations ont lieu. Mais Yannick Frémin ne sera pas réintégré dans l'entreprise. Ce reportage nous plonge alors dans le quotidien de ce militant syndical. Celui-ci revient sur son licenciement et sur son engagement syndical. Il se fait aussi le témoin des évolutions économiques et sociales qui ont lieu dans les années 1960 dans la commune de Rennes. La physionomie de la ville évolue, de nouveaux quartiers apparaissent pour accueillir les ouvriers de Citroën, les ménages s'équipent en électroménager et l'accès à la voiture se démocratise.

Pour en savoir plus :

La CGT, créée en septembre 1895 à Limoges, fait partie des cinq confédérations de syndicats de salariés français considérées comme représentatives par l'Etat. La grève générale, l'autonomie syndicale et le syndicalisme de métier constituent ses trois principales orientations lors de sa création. Fondée sur un principe unitaire, l'histoire de ce syndicat est cependant jalonnée par une série de dissensions et de divergences profondes.

Dans les années 1910, la question du rapport à l'Etat va cristalliser les premiers clivages. Au lendemain de la Grande Guerre, les divisions persistent. La CFTC (Confédération Française des Travailleurs Chrétiens) et la CGTU (Confédération Générale du Travail Unitaire) voient alors le jour respectivement en 1919 et 1921. Pendant l'Entre-deux-guerres, face à la crise économique et sociale, l'unité est de nouveau à l'ordre du jour. La CGT et la CGTU manifestent ensemble et leur réunification devient effective en 1936 lors du Congrès de Toulouse. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les clivages ressurgissent. En 1944, naît la CGC (Confédération Générale des Cadres), en 1945 la FEN (Fédération de l'Education Nationale) et en 1947 CGT-FO (Force Ouvrière). Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, les tendances à la division s'accentuent malgré quelques tentatives d'unification.

Depuis les années 1980-1990, on parle de crise du syndicalisme en France, notamment à cause d'une baisse importante du nombre de militants. La CGT, dont Bernard Thibault est actuellement le secrétaire général, demeure l'une des grandes forces syndicales en France. En 2008, c'est elle qui a obtenu le plus de suffrages lors des élections prud'hommales.

Bibliographie :

Michel Dreyfus, Histoire de la CGT. Cent ans de syndicalisme en France, Bruxelles, Complexe, 1995.

Jennifer Gassine

Transcription

Journaliste
Un délégué syndical, qui s'appelle monsieur Frémin a eu... alors qu'il était dans l'exercice de son métier, a eu des mots avec un de ses supérieurs. Il voulait, pendant les heures de travail, exercer son mandant de syndicaliste. Il y a eu un énervement de part et d'autre. Son supérieur hiérarchique lui a dit : "Votre demande n'a pas été formulée assez tôt". Bref, le ton a monté, Frémin a été giflé, il a porté plainte et son supérieur hiérarchique dans le même temps s'est estimé insulté. Bref, la direction de Citroën a licencié Frémin. Et nous sommes donc allés à Rennes vous faire un peu le portrait de ce syndicaliste d'un genre très combatif, vous allez le voir.
(Silence)
Ouvriers
Liberté syndicale, liberté syndicale... Au poteau ! Au poteau ! Liberté syndicale, liberté syndicale !
Journaliste
Frémin allez-y, Frémin allez-y !
Monsieur Frémin
Moi j'ai habité... Ca fait un an que je suis là. Ils sont en train de faire un Grand Boulevard et ils feront un passage sous-terrain. Alors ça c'est formidable : il va y avoir une sacré réalisation. D'ailleurs, remarquez le modernisme, là, il est commandé si je puis dire. La population de Rennes, depuis quelques années, a augmenté au moins du tiers, ce qui explique, en définitive, vous voyez tous les grands immeubles que vous voyez là, vous avez six immeubles là qui font dix-sept étages. Et il est certain que l'usine Citroën, entre autres, du fait du nombre d'ouvriers importants, puisqu'il y en a 8000, qui sont des ruraux pour la plupart mais qui s'installent quand même à Rennes, il a donc fallu construire.
(Silence)
Journaliste
Est-ce que vous espérez trouver du travail bientôt ?
Monsieur Frémin
Vous voyez, pour l'instant, l'essentiel, c'est que je sois réintégré. On mène justement la lutte pour que je sois réintégré. J'ai déjà eu des demandes... enfin il y a des camarades qui m'ont fait, déjà, des demandes mais on mène la bagarre et on pense que rapidement je serai réintégré.
Journaliste
Et si vous n'êtes pas réintégré ?
Monsieur Frémin
Si je ne suis pas réintégré alors, vous savez, vous le pensez probablement, ce sera très difficile de trouver du travail, et vraisemblablement, il faudra quitter la région.
Journaliste
Il faudra ?
Monsieur Frémin
Quitter la région.
Journaliste
Pourquoi ?
Monsieur Frémin
Parce que lorsqu'on est délégué du personnel et des usines Citroën notamment, les patrons ne sont pas très pressés de nous prendre.
Journaliste
Mais est-ce qu'il y a beaucoup d'industries dans la région d'abord ?
Monsieur Frémin
Non, d'ailleurs vous avez raison. Au point de vue industrie, il est évident que c'est l'usine Citroën qui est la plus importante dans ma profession - puisque je suis ajusteur -, il y a quelques entreprises, de petites entreprises mais il y a très très peu de débouchés. D'ailleurs, on assiste à une immigration de la jeunesse notamment, parce qu'il n'y a rien alors il faut partir, il faut aller ailleurs et on quitte la province pour aller sur Paris.
Journaliste
Et vous avez acheté beaucoup de choses depuis que vous êtes marié ?
Monsieur Frémin
Euh oui ! Enfin, nous avons acheté un frigidaire, une voiture qu'on a remplacée, on avait une Dauphine avant, on a acheté une 4L, et c'est à peu près tout, disons, comme gros achat.
Journaliste
Et vous avez payé tout ça déjà ?
Monsieur Frémin
Bien sûr, oui ! Ma femme qui s'occupe du budget, on a payé le frigidaire, mais enfin la voiture...
Madame Frémin
La voiture, il nous reste 250 000 francs à payer, qu'on paye par traite.
Journaliste
Et alors, puisque vous n'êtes plus chez Citroën et que vous recherchez du travail, est-ce que ça vous inquiète cette traite à payer ?
Madame Frémin
Un peu, c'est normal parce qu'après avoir envisagé l'avenir avec du budget, pour l'instant je suis obligée d'envisager avec un budget. L'argent que j'avais prévu de mon traitement, pour payer la voiture, je suis obligée de le prendre sur mon traitement à moi, quoi.
Journaliste
Et malgré cette traite à payer, le bébé qui va venir, vous avez continué à mener une action syndicale ?
Monsieur Frémin
Oui. J'en ai parlé avec ma femme, elle était d'accord, on a accepté ces risques. Et je me suis engagé totalement dans l'action syndicale au service des travailleurs.
Journaliste
Et vous ?
Madame Frémin
Moi j'étais d'accord aussi, j'étais d'accord que mon mari soit militant jusqu'au bout. Ce n'est pas la peine de prendre un engagement et qu'il ne le fasse pas. On pensait au risque mais, moi, je ne pensais pas que ça aurait été dès maintenant, quoi.
Syndicaliste
Nous sommes solidaires de Frémin comme nous sommes solidaires des 58 militants syndicalistes qui viennent d'être arrêtés en Espagne et qui attendent en prison le bon vouloir du tribunal d'ordre public devant lequel ils devront répondre du délit de propagande illégale ou d'association clandestine. Attention camarades !
Journaliste
Chaque dimanche, Frémin va à la messe. Catholique pratiquant, il est aussi militant ouvrier. Il n'y voit pas de contradiction.
(Silence)
Journaliste
Vous militez à CGT. En principe vous devriez être dans un syndicat chrétien ?
Monsieur Frémin
Pourquoi vous me posez une question, je devrais être dans un syndicat chrétien ? Non, il n'y a pas de raison. Je crois qu'à partir du moment où on ressent la condition ouvrière, à partir du moment où on se sent écrasé, on va fatalement dans un syndicat qui nous semble le mieux défendre les intérêts du travailleur. Et moi j'ai pensé que c'était la CGT.
Journaliste
Est-ce que ça ne vous pose pas des problèmes ?
Monsieur Frémin
Ça m'a posé des problèmes. Il est vrai qu'il n'y a pas que des militants catholiques. Et, au début, j'étais un peu paumé, il faut dire la chose, mais très rapidement, on n'a pas fait de différence. D'abord, à la CGT, il n'y a aucune différence d'idéologie, dans la mesure où on défend la classe ouvrière, où vraiment on est engagé à fond, ça ne pose pas de problème.
Journaliste
Oui, mais du côté de votre curé, du côté de l'Eglise est-ce que... Ca en pose pourtant ?
Monsieur Frémin
C'est vrai, c'est vrai que ça en pose et en tant que chrétien, eh bien je ne suis pas toujours d'accord avec certains curés. Il y a des remarques qui sont faites, c'est vrai, mais il faut aussi, pour un militant chrétien, un militant ouvrier, il faut poser des questions à l'Eglise, il faut la forcer à voir les choses en face, à regarder les choses en face, et, en définitive, eh bien, à modifier certains points de vue.
Journaliste
Et votre évêque a tout de même pris position en votre faveur, en faveur du mouvement syndical ?
(Silence)
Monsieur Frémin
Oui, bien sûr, vous faites... C'est vrai que l'évêque, il a pris position. Disons qu'il a fait une déclaration et, pour certains, courageuse, ce qui a été bien accueilli dans les milieux ouvriers. L'évêque, il a parlé dans la mesure où il y a des ouvriers qui sont capables de lui dire : "Eh bien voilà ce qui, à l'heure actuelle, pose des problèmes à l'Eglise dans le milieu ouvrier, notamment les travailleurs. Vous nous dites qu'il faut nous aimer les uns les autres alors qu'en définitive, on s'aperçoit que dans l'entreprise, on nous écrase, on nous impose des conditions de travail inhumaines, on nous empêche de nous organiser". Alors il faut dire quelque chose là-dessus, il n'y a pas de problème. A mon sens, à l'heure actuelle, il y a un groupe de gens qui possèdent des choses. Et puis ils ne veulent rien lâcher aux petits, ils ne veulent rien lâcher aux ouvriers. On nous empêche... on nous dit toujours : "Vous pouvez construire, vous pouvez avoir votre appartement", etc., mais en définitive, il faut travailler, il faut économiser et puis on s'aperçoit que c'est à 55 ans qu'on jouit de son appartement par exemple dans l'exemple que je vous donne. La propriété, pour moi, c'est un grand mot mais je m'aperçois qu'en définitive c'est... Il y a une propriété privée et puis c'est tout, quoi.
Journaliste
Oui, mais en ce moment, on parle d'intéresser les ouvriers ?
Monsieur Frémin
Comment voulez-vous que ces patrons qui, aujourd'hui, ne respectent pas les libertés syndicales, que ces mêmes patrons, demain, puissent associer activement les travailleurs au capital de l'entreprise ? Ce n'est pas possible. Pour nous c'est... Et puis d'autre part, c'est un amendement. Quelles sont les propositions concrètes que l'on fait à la classe ouvrière, aux organisations syndicales ? Lorsqu'on aura, si on avait des propositions concrètes, alors on y réfléchit, on en discute. Mais vraisemblablement dans la position actuelle, pour nous, c'est vraiment... ce n'est pas acceptable.
(Silence)
Journaliste
Pour les dirigeants de Citroën, l'affaire est simple. Frémin a insulté son supérieur hiérarchique. Il a fait, ainsi, une faute contre la discipline intérieure de l'entreprise. Il n'est pas question, nous a-t-on dit à la direction à Paris, de le réintégrer.