Chaffoteaux et Maury

15 février 1989
04m 34s
Réf. 00393

Notice

Résumé :

Chaffoteaux et Maury, 1ère entreprise des Côtes du Nord, emploie 1400 salariés. Suite à de mauvaises opérations financières, l'entreprise est en difficulté. Un plan de restructuration touchant environ 150 salariés va être annoncé par la direction.

Date de diffusion :
15 février 1989
Source :
FR3 (Collection: Gros plan )

Éclairage

Après avoir connu une longue période faste de croissance économique, l'entreprise briochine Chaffoteaux et Maury entre dans une période de crise. En 1989, suite au rachat de la société par un groupe italien, plusieurs suppressions de postes sont prévues. Un conflit social important naît suite à cette annonce. Les syndicats - très bien implantés dans l'entreprise - font pression sur le patronat et organisent des débrayages quotidiens. De leur côté, les dirigeants, à la tête d'une des plus grosse entreprise des Côtes du Nord, font appel à une entreprise extérieure pour préparer la reconversion des employés qui seront licenciés.

Pour en savoir plus :

En 1914, face à la guerre, les frères Chaffoteaux décident de quitter les Ardennes et de s'installer dans les Côtes du Nord. Ils fondent leur entreprise dans le port du Légué à Saint-Brieuc. En 1922, après avoir produit des obus, ils s'orientent vers la production de chaudières. L'entreprise briochine acquiert rapidement une renommée nationale notamment grâce à l'invention en 1925 du premier chauffe-eau à gaz. Quatre ans plus tard, les frères Chaffoteaux rachètent l'entreprise normande Maury spécialisée dans la production et la vente de chauffe-bains. La mise au point dans les années 1960 des chaudières murales conforte le prestige de l'entreprise et assure son expansion économique. En 1969, l'entreprise s'agrandit et s'installe sur un nouveau site situé à moins de cinq kilomètres du précédent dans la commune de Ploufragan. Elle emploie alors plus de 2000 personnes et participe pleinement au dynamisme industriel du département. Dans les années 1980, l'entreprise jusque-là florissante est confrontée à une série de crises qui sont le résultat de diversifications hasardeuses et de son rachat successif par différents groupes. En 1984-1985, Chaffoteaux et Maury est racheté par Gimmo, un groupe d'investisseurs du Maghreb et en 1989, c'est au tour du groupe italien Elfi de jeter son dévolu sur la société briochine. Ces différents rachats sont à l'origine de nombreuses hémorragies (licenciements, départs volontaires, préretraites). En 1991, l'entreprise ne compte plus que 920 employés. En 1997, l'entreprise est de nouveau rachetée par un groupe allemand qui la revend trois ans plus tard au groupe italien MTS, devenu en 2009 Ariston Thermo Group. Les licenciements et les départs volontaires se poursuivent pendant les années 1990 et 2000. En juillet 2008, il ne reste plus que 400 salariés à Ploufragan. La délocalisation en février 2009 d'une partie de l'usine vers un site d'assemblage en Italie marque le point culminant de la lente agonie de cette entreprise. Les effectifs de l'entreprise tournent aujourd'hui autour de 250 salariés.

Bibliographie :

Michel Philipponneau, Le modèle industriel breton. 1950-2000, Rennes, PUR, 1993

Jennifer Gassine

Transcription

Jeanne Roth
Bonjour. Cette page est essentiellement consacrée à Chaffoteaux et Maury. Trois raisons à cela : c'est la première entreprise privée du département, elle emploie encore 1400 personnes. C'est cette semaine que la maîtrise va convoquer les licenciables pour leur annoncer qu'ils font partie de la charrette. C'est cette semaine aussi que l'antenne de mobilité va commencer à travailler sa mission et de prospecter le marché de l'emploi et de préparer les travailleurs à leur reconversion. Alors, vont s'exprimer les salariés de Chaffoteaux et la CGT. La direction, dans un premier temps, avait accepté de nous recevoir, de répondre à nos questions, et de nous laisser filmer à l'intérieur de l'entreprise, et puis elle est revenue sur cette décision, et nous a interdit les ateliers. C'est vrai que la tension y est vive. 61 personnes attendent encore que le couperet tombe. Pour 93 autres, les dés sont déjà joués. Ils ont accepté de partir volontairement, ils ont accepté une mutation ou fait une demande de mise en préretraite. Roger Pignard a 55 ans aujourd'hui. Il est tôlier. Ca fait 30 ans qu'il travaille chez Chaffoteaux.
Roger Pignard
On est quand même jeunes, on ne va pas se laisser abattre comme ça. Je crois qu'à 55 ans, on n'est pas quand même tout à fait fichu.
Jeanne Roth
Ça vous a fait un choc quand on vous a annoncé que vous faisiez...
Roger Pignard
Non, non. On en parle tellement qu'on est routinier là-dedans maintenant depuis quelques années.
Jeanne Roth
Depuis l'annonce à l'automne dernier de la mise en place d'un plan de restructuration, les salariés ont engagé avec la direction un véritable bras de fer. Débrayages quotidiens, blocages de production, manifestations, interventions auprès des pouvoirs publics, tout l'arsenal de la revendication est utilisé. Les quatre grandes centrales syndicales sont présentes au sein de l'entreprise mais seules trois d'entre elles y ont des élus au CE. La CGC, FO et la CGT qui, aujourd'hui, mène la lutte.
Syndicaliste
On n'a pas tellement le choix : si on ne fait rien c'est un emploi sur deux qui sera supprimé de 1 à 3 ans. Donc notre but n'est pas de bloquer l'usine complètement, mais de faire pression sur la direction. On a dû frapper le patron à la caisse pour qu'il n'y ait pas une productivité normale tant qu'il y aura les projets de licenciement.
Jeanne Roth
Et si la direction décide de fermer l'usine, il se passera quoi ?
Syndicaliste
Ça m'étonnerait que la direction décide de fermer l'usine.
Jeanne Roth
Pourquoi ?
Syndicaliste
Maury s'est endetté avec Chaffoteaux. Il a mis très peu d'argent. Il a eu des opérations financières à la limite de la régularité. S'il devait fermer l'usine, il y aurait dépôt de bilan. Et n'importe quel tribunal de commerce prouverait qu'il y a faillite frauduleuse. Enfin, c'est du moins ce que le ministère de l'industrie nous a dit.
Jeanne Roth
Chaffoteaux, en ce moment, vit son second drame. Créé en 1914, elle connaît, jusqu'en 1974, des jours fastes. En 84, lors de son rachat par le groupe GIMMO, elle est au bord du dépôt de bilan. Elle emploie alors 2000 salariés. C'est la conséquence d'une diversification hasardeuse dans le préfabriqué et le panneau solaire. En 82, 83, Chaffoteaux, qui a monté deux autres unités à Chartres et Boulogne et emploie 4500 personnes, crée une filiale, la TENEC, pour vendre des maisons à structure métallique. Elle obtient du gouvernement algérien un contrat qui porte sur la construction d'un millier de maisons, mais les prix qu'elle a proposés sont si dérisoires, qu'ils ne couvrent pas les frais. Jamais la société ne s'en remettra. Lors de son rachat par le GIMMO, elle a un trou de 500 millions de francs. L'argent injecté par le groupe arabe et les pouvoirs publics français ne suffira pas à rembourser la totalité de la dette malgré l'abandon d'une partie des créances. Aujourd'hui, Chaffoteaux a toujours des frais financiers considérables consécutifs aux emprunts contractés pour couvrir le reste de ce qu'elle devait, et les investissements qu'elle a fait à l'usine de Saint-Brieuc, outil de pointe aujourd'hui. Comme en 85, Chaffoteaux est à la recherche d'un partenaire industriel aujourd'hui. Il y en aurait trois sur les rangs. Dans ce contexte difficile, la direction veut se faire aimer. Elle a donc parié sur le reclassement de tous les licenciés secs. Elle a fait appel, pour cela, à un cabinet parisien spécialisé dans ce type de travail. Elle a également demandé l'aide des patrons Briochins. Et puis elle s'est engagée à soutenir toutes les créations de petites unités industrielles par des volontaires au départ. Cette politique d'incitation au départ, la direction de Chaffoteaux la mène depuis le rachat de l'entreprise pour qu'à l'horizon 91, elle n'emploie plus qu'un millier de personnes. 2 techniciens de l'usine vont saisir l'opportunité. En 87, ils montent un premier dossier. Il est refusé. Ils se remettent alors au travail, en présentent un second en béton. Contre la promesse d'un contrat de travail de 3 ans avec Chaffoteaux, ils s'installent, en mai dernier, à quelques centaines de mètre de l'usine qu'ils quittent. Ils vont fabriquer des isolants haute température destinés à tapisser les chambres de combustion des chaudières et des chauffe-eau. MCI emploiera, à la fin du mois, 6 personnes et sous deux ans, une douzaine. Ils ont une obligation envers Chaffoteaux : embaucher en priorité, les éventuels licenciés.