Citroën, les intérimaires

15 février 2000
04m 26s
Réf. 00397

Notice

Résumé :

Une majorité de candidats à l'embauche chez Citroën la Janais sont d'anciens intérimaires de l'entreprise. Ils sont pour la plupart jeunes et diplômés. Selon les anciens de l'usine, ces jeunes vivent cependant mal leur statut d'ouvrier.

Date de diffusion :
15 février 2000
Source :
FR3 (Collection: 12-13 Ouest )

Éclairage

Ce film, qui fait partie d'une sélection multiple d'extraits concernant le groupe PSA-Citroën, est à remettre dans un double contexte :

- un contexte exogène à l'entreprise : les conflits nés de l'emploi intérimaire se multiplient depuis l'application des 35 heures mises en place par le gouvernement Jospin. Il semblerait que le patronat ait alors cherché à utiliser au maximum la flexibilité permise par l'intérim. En 2000, en France, 1,78 million de personnes, dont 45 % de moins de 25 ans, ont effectué au moins une mission d'intérim. Ces pratiques utilisées chez Citroën, et qui se répandent dans beaucoup d'autres entreprises, ont fait l'objet et l'inquiétude de la population.

- un contexte endogène à PSA : cette entreprise, qui n'embauchait plus depuis plusieurs années, relance son activité en 2000 grâce à la fabrication de la C5. Citroën envisage alors d'embaucher 2000 personnes afin de produire 1800 véhicules par jour. Mais cela ne devait être qu'un début puisque le site de la Janais devait fabriquer ensuite des Peugeot. Cette "révolution" née de la fusion Citroën-Peugeot qui se produit quand est votée la loi des 35 heures a impliqué une augmentation du nombre de travailleurs qui se fera en partie sous forme d'intérim. C'est un véritable changement dans cette entreprise où, jusque dans les années 80, on se faisait embaucher de père en fils.

La main d'oeuvre intérimaire est moins docile et ne peut pas être attachée à l'entreprise comme l'étaient les premiers ouvriers ruraux. Des conflits éclatent chez Citroën : en 2000, huit intérimaires n'ont pas accepté une diminution de leurs salaires liée à la flexibilité et ont décidé de porter l'affaire devant le tribunal des Prud'hommes avec l'aide de la CGT. Ils demandent aux sociétés d'intérim le paiement des journées de "chômage technique". Le tribunal leur donnera partiellement raison. Ce recours aux intérimaires n'a fait que croître : en 2003, l'effectif des précaires ne représentait que 5% du personnel, en 2009 il dépasse les 20%.

Martine Cocaud

Transcription

Candidat
Ca dépend à l'heure que tu commences. Je crois que ça doit être... l'après-midi, ça doit être 13 heures et quelques jusqu'à 20 heures et quelques.
(Bruits)
Journaliste
Echange d'informations dans l'antichambre du service recrutement.
Yannick Louesdon
Monsieur [incompris] ? Bonjour.
Journaliste
Chez Citroën, les candidats à l'embauche connaissent déjà les horaires sur le bout des doigts.
Yannick Louesdon
Installez-vous, mettez-vous à l'aise.
(Silence)
Yannick Louesdon
Alors déjà, qu'avez-vous comme diplômes ?
Candidat
J'ai un CAP tapissier décorateur d'ameublement. Et sinon, un certificat professionnel de plaquiste. J'ai effectué du convoyage en bout de ligne, des voitures neuves sur le parc.
Yannick Louesdon
Donc de juin 98 à novembre 98, ça a été votre première mission ?
Candidat
Ma première mission à Citroën, en tant qu'intérimaire. Par la suite, après, il n'y avait plus de besoin de personnel donc je suis retourné à mon intérim. Et là, je suis revenu à Citroën, au ferrage depuis le mois de septembre.
Yannick Louesdon
C'est-à-dire là, vous êtes en ferrage ?
Candidat
En ferrage, oui, en ligne de caisse de Xara.
Yannick Louesdon
De 09-99, Ok. Si je vous propose VS-DS-DL, vous me dites ?
Candidat
Moi, je suis partant.
Yannick Louesdon
Rien ne vous gêne pour faire ces horaires ?
Candidat
Rien ne me gêne pour faire les horaires.
Yannick Louesdon
Disponible pour...
Journaliste
Une grande majorité des futurs opérateurs a déjà fait de l'intérim. La mauvaise conjoncture des années 90 n'explique pas tout.
Yannick Louesdon
A partir du moment où la personne qui l'a présenté, enfin, pas qui l'a présenté mais quand on va lui présenter le dossier va dire : « En fin de compte, cette personne, je la reconnais à travers le travail qu'elle a effectué », donc on sera peut-être plusieurs à prendre la décision. Peut-être un, peut-être deux, peut-être trois.
Journaliste
Cette personne, c'est qui ? Son agent de maîtrise ?
Yannick Louesdon
Ça peut être son agent de maîtrise, ça peut être son gestionnaire.
René Mathieu
On est noté quand on est intérimaire. On est noté. On est noté par le chef d'équipe. On a une fiche avec une note, avec une appréciation. On va retenir, s'il y a recrutement en CDI, on va prendre ceux qui, pour eux, sont les meilleurs des intérimaires.
Yannick Louesdon
Donc le délai peut aller jusqu'à 2 mois.
Candidat
Jusqu'à 2 mois ?
Yannick Louesdon
Jusqu'à 2 mois.
Candidat
Ok. J'attendrai 2 mois.
René Mathieu
On a l'espoir de devenir permanent, donc, on ne dit rien. On se tait. On accepte tout. Et puis on est plus productif.
Journaliste
Ces jeunes, diplômés et sélectionnés répondent mieux aux nouvelles exigences du métier. Aujourd'hui, il faut pouvoir changer de poste en fonction des besoins. A La Janais, Citroën organise presque 200 000 heures de formation chaque année.
Employée
Voilà, c'est beaucoup mieux. Donc il faut que tu accompagnes bien ton pistolet jusqu'aux extrémités, c'est-à-dire tu démarres bien là tout en gardant la même vitesse et que tu l'accompagnes bien jusqu'au bout.
Journaliste
Intérimaire depuis 2 mois au masticage, Patrice découvre la peinture. Son bac pro de travaux paysagers lui semble bien loin.
Patrice Boudais
Il fallait des volontaires parce que le bâtiment va fermer. Et c'est mieux que de mastiquer et poncer toute la journée. Ça, il n'y a pas de problème. Par la suite, si la formation marche bien, embauché.
Employée
Tu penses bien à accompagner jusqu'au bout.
Journaliste
Est-ce que vous avez le sentiment d'être un ouvrier ?
Patrice Boudais
Ici ? Oui. De toute façon, je crois qu'on ne peut qu'avoir ce... Enfin, moi, personnellement, je ne peux qu'avoir que ce sentiment-là. Enfin, je le sens comme ça de toute façon. Même si certaines personnes peuvent être assez aimables, on ressent quand même à certains niveaux qu'on est en bas, quoi.
Journaliste
En bas, pour résumer ouvrier, les jeunes les plus scolarisés vivent souvent l'usine comme un échec, un malaise évident pour ceux qu'ils remplacent, ces anciens encore à la chaîne ou partis à la faveur des plans de pré-retraite, et qui se retrouvent, l'après-midi au PMU de Chartres de Bretagne.
Claude Fraslin
Les petits jeunes, ils vont avoir du mal, je crois. Et puis ils ont des études plus que nous, quoi.
Journaliste
Pourquoi vous dites qu'ils vont avoir du mal plus que vous ?
Claude Fraslin
Maintenant, si.
Louis Morlais
Ils vont s'y faire.
Ouvrier
Si c'est pour entrer directement sur la chaîne, les jeunes...
Claude Fraslin
Je me trompe peut-être.
Louis Morlais
Un petit jeune, maintenant, qui a 20 ans, il va dire : « Je n'en ai rien à foutre de Citroën ». Il va partir. Nous, ce n'est pas pareil. Ce n'est pas pareil.
Journaliste
Et vous, vous avez fait 26 ans. Ça s'est passé comment ? Vous vouliez rester là ? Comment vous avez fait ?
Louis Morlais
Moi, je suis resté. Au début, j'ai dit : « Je ne vais pas rester 2 jours », et puis je suis resté. L'engrenage.