L'île de Houat

04 novembre 1960
11m 08s
Réf. 00407

Notice

Résumé :

L'île morbihannaise de Houat, isolée du continent de 20 kilomètres, est en marge de la modernisation. Privés d'eau potable et d'électricité, les Houatais qui sont traditionnellement pêcheurs mènent une vie rude et pauvre, avec peu de distractions.

Type de média :
Date de diffusion :
04 novembre 1960
Source :

Éclairage

L'île d'Houat est une île de la côte morbihannaise, qui s'étend sur 5 km de long, et sur 1,5 km au plus large. Elle est proche de la presqu'île de Quiberon et de l'île d'Hoedic, et fait face au Golfe du Morbihan. Elle fait partie de l'association des îles du Ponant, créée en 1972 dans le but de promouvoir et de protéger les quinze îles françaises de la Manche et de l'Atlantique qui ont une population permanente, un statut de collectivité locale et qui ne sont pas rattachées au continent par un lien fixe. Houat est une commune depuis 1891, et a une municipalité depuis la fin du système des recteurs (système dans lequel le curé faisait office de maire), après la Seconde Guerre mondiale. Au moment du reportage, en 1960, le recteur désigne le curé, qui a cependant encore une grande importance dans une communauté très attachée aux traditions.

L'île d'Houat vit essentiellement de la pêche aux crustacés (homards notamment) et aux poissons dits "nobles" (bars, dorades...). C'est d'ailleurs grâce à cette spécialisation qu'elle échappe au déclin de la pêche dans les années 1950, ainsi que par le renouvellement complet de sa flottille et de son port, après la tempête de janvier 1951 (le port de Saint-Gildas est construit, plus grand et plus près du village, et une flottille plus puissante est acquise, ce qui permet le redémarrage de la pêche dans des conditions modernes). En 1957, il y a 64 pêcheurs pour 20 bateaux, et ce nombre ne cesse d'augmenter : en 1967, il y a 81 pêcheurs pour 29 bateaux, et en 1986, 83 pêcheurs pour 45 bateaux. Aujourd'hui encore, huit hommes sur dix sont pêcheurs, même s'il n'y a plus que 31 bateaux. Le dynamisme de la pêche houataise permet un dynamisme démographique, qui fait de l'île l'une des rares exceptions au déclin démographique de la France rurale et insulaire dans les années 1950-1960 : l'émigration est faible, car les trois quarts des garçons restent sur Houat afin de devenir pêcheurs (les filles ont, quant à elles, tendance à émigrer, à partir du milieu des années 1960).

L'élevage du porc et de bovins, ainsi que le jardinage, constituent également une activité importante, qui permet aux habitants de n'être pas trop dépendants du continent, car les approvisionnements sont fortement liés aux conditions météorologiques. Cette activité va cependant décliner très rapidement à partir des années 1960, jusqu'à disparaître complètement.

Le tourisme sur Houat commence quant à lui au début du XXe siècle. Le premier hôtel est construit en 1913 et accueille surtout la haute bourgeoisie du continent, friande de homard. Les premiers bateaux de plaisance et d'excursions arrivent dans les années 1920, ce qui conduit d'ailleurs l'industriel Bolloré à offrir 110 000 francs au recteur en 1927 pour acheter 47 hectares de terrain au-dessus des deux plages principales, afin de protéger le site. Cette somme permet la construction d'une éolienne et l'adduction d'eau dans le village. Mais il faut attendre les années 1950 pour voir un nombre croissant de touristes débarquer l'été, attirés par le paysage sauvage et le calme qu'offre l'île.

Au début des années 1960, l'île d'Houat, bien que dynamique sur le plan économique et démographique, semble comme "oubliée par le progrès". Alors que sa voisine Belle-Île est équipée des installations modernes, Houat manque encore de presque tout, comme le montre le reportage. Toutefois, avec le dynamisme de la pêche et le développement rapide du tourisme, l'île s'intègre peu à peu à l'économie de marché, et se modifie progressivement : les maisons deviennent peu à peu plus grandes et plus confortables, et sont parfois louées l'été aux estivants. L'arrivée de ces derniers est cependant longtemps perçue par les Houatais de manière négative, car un grand décalage sépare la communauté insulaire, restée traditionnelle, des visiteurs venus du continent, habitués au confort et dont le mode de vie est très différent. Le nombre croissant de visiteurs pose également le problème de l'approvisionnement en eau potable l'été, question cruciale pendant de nombreuses années. La quantité d'eau potable disponible sur l'île est en effet très limitée, et elle se voit encore restreinte l'été en raison de la sous-pluviosité et de l'afflux des touristes, ce qui contraint fortement les habitants. Ce problème perdure longtemps, puisqu'une usine de déssalinisation expérimentale est installée au début des années 1970 mais ne fonctionne que quelques années. Une solution est trouvée en 1989, avec la découverte de nappes aquifères profondes.

La modernité n'entre donc que tardivement à Houat, et elle en est d'autant plus brutale. En effet, le 4 novembre 1963, l'électricité arrive, et bouleverse en dix ans un mode de vie très traditionnel. À partir de ce moment, les mentalités et les conditions de vie évoluent très rapidement, avec l'acquisition d'appareils électroménagers, de la télévision, du téléphone, et la création du tout-à-l'égout, des routes bitumées, du ramassage des ordures, d'un foyer où se déroulent séances de cinéma, spectacles et bals, d'un collège, d'un dispensaire, d'un second hôtel... L'arrivée de nombreux résidents secondaires fait augmenter les mariages mixtes, et les liens avec le continent sont renforcés par la mise en service en 1967 de l'Enez Houad, qui peut transporter 180 passagers et assurer cinq courriers par semaine, par tous les temps. Le progrès tant demandé par les Houatais en 1960 est donc extrêmement rapide, et modifie considérablement la communauté insulaire.

Cependant, si des années 1960 aux années 1990, l'île d'Houat fait preuve de dynamisme et d'une grande capacité d'adaptation, sa vitalité est aujourd'hui menacée par le déclin de la petite pêche artisanale depuis 1992. De nombreux jeunes houatais travaillent sur le continent, ne trouvant pas de ressources suffisantes à la pêche, et le tourisme, qui suscitait tant de mécontentement, est désormais l'un des moyens principaux pour les Houatais de travailler sur leur île.

Bibliographie :

Catherine Gaston-Mathé, Houat-La mémoire de l'île, Éditions nature et Bretagne, 1995.

René Scouarnec, Histoires de Houat, Éditions Verdi, 2008.

M. Pensec, Houat...hier et aujourd'hui...à l'heure de l'électricité, Imprimerie Presse du Morbihan, 1974.

Marine Guida

Transcription

(Musique)
Journaliste
Voyez comme la ville change en deux mois. Ce monsieur, cette dame, à peu de choses près, c'est vous. C'était vous cet été, si vous goûtez, du moins, ces plaisirs qu'on découvre à l'envers de la civilisation : l'absence de voiture, de journaux, de confort. Ils font partie du paradis pour le Robinson que vous devenez peut-être pendant un mois, quand il fait beau. Le paradis, ou tout au moins un échantillon, certains d'entre vous l'ont découvert au large du Morbihan, en face de Quiberon, à 18 kilomètres en mer, l'île de Houat. En débarquant au milieu des pêcheurs, aussi Bretons qu'on peut l'imaginer, vous avez appris qu'on vit, ici, de crustacées et de sardines, qu'il y a du courrier tous les 2 jours, quand le temps le permet, courrier destiné à l'unique village de 400 habitants qui se trouve un peu plus haut sur la falaise. Une vie biblique. Pas de médecin, pas de gendarme mais un recteur responsable de tous les problèmes de l'île puisque les hommes passent leur journée en mer et qu'il est seul.
(Musique)
Journaliste
Mêlé aux habitants, vous êtes allé à la messe, le dimanche, même si vous n'êtes pas croyant, pour ne pas vous faire remarquer, pour participer vraiment à la vie du pays ou simplement pour goûter enfin sur place d'authentiques chants bretons.
(Musique)
Journaliste
L'après-midi dominical, vous l'avez passée à partager les plaisirs simples des Houatais. Au bout du mois, quand le temps a fraîchi, vous êtes parti bruni et enchanté. Eux sont restés. Pour eux, l'île, ça continue. Ecoutez-les.
Curé
Ces gens qui nous visitent ne comprennent pas que Houat reste avant tout un port pêcheur, un port de travail. Et c'est pourquoi lorsque l'estivant se plait à visiter le presbytère pour saluer le recteur, il nous voit souvent faire la moue, bougonner. « Mais enfin pourquoi ? Pourquoi ne sommes-nous pas acceptés ici plus facilement ? ». Tout simplement pourquoi ? Parce que notre port ne nous appartient plus. Nos pêcheurs n'ont plus de place dans le port. Ils ne peuvent plus évoluer aisément. Et surtout, et surtout, depuis quelques années et parce que le camping se développe, il n'y a plus suffisamment d'eau potable même pour la population, car sachez qu'à partir de la fin de juin, la fontaine principale est cadenassée et l'on distribue l'eau de 8 heures à 9 heures. Et pour moi, cet été, c'était un crève-coeur de voir des mamans de 6 ou 7 enfants n'avoir pas d'eau pour la journée. Eh bien, voyez-vous, si nous avions moins de monde, peut-être la population serait moins privée. Et à l'heure de voir arriver toute cette foule, désormais - à qui il faut beaucoup d'eau potable -, eh bien, ça nous indispose un peu et même beaucoup. Surtout beaucoup de ces gens, beaucoup, beaucoup de ces gens nous prennent un peu pour un peuple à civiliser, nous prennent un peu pour des kanaks. Ils ne s'imaginent pas qu'ici, l'on vit simplement, fièrement, dignement. Le peuple de Houat a une âme et une belle âme. Or trop souvent, ces gens sont une insulte pour la fierté et la dignité de notre âme.
Journaliste
Voilà. Houat est le seul pays au monde à ne pas souhaiter la venue des touristes. Sans doute parce qu'il n'a rien à attendre d'eux. Les bonnes soeurs tiennent la mercerie bonneterie, le commerce le plus important du pays avec le boulanger. Un seul hôtel, pas de cinéma, pas d'excursion organisée, ne parlons pas de casino. Alors mettez-vous à leur place. Le touriste, l'estivant à Houat, à quoi sert-il ? Tenez, le voilà votre village. Le soir qui vient et peut-être aussi l'approche de l'hiver le rendent plus sévère que vous ne l'avez connu sous le soleil. Vous êtes passé avec l'été. Leur vie continue. Paradoxalement, les plus heureux sont peut-être les vieux parce qu'ils ont senti la vie s'améliorer un peu depuis leur jeunesse. Eux, ils ne pensent pas à se plaindre. Et même voyez, ils sont d'accord avec vous. Par rapport à l'ancien temps, aujourd'hui, c'est vraiment le paradis.
Habitant
Dans mon temps, je préférais aller en mer, gagner 20 sous que d'aller en classe parce que ça ne me rapportait rien en classe. Vraiment, la misère était tellement extrême qu'il était préférable d'avoir 20 sous pour aller chercher 2 sous de beurre ou bien un kilo de sucre. C'est tout naturel. En ce temps-là, déjà, c'était tout naturel. Evidemment, maintenant, la vie a bien changé, bien sûr. Et la misère était vraiment... nous tiraillait dans l'île comme dans bien d'autres pays, dans toute la Bretagne, même toutes les côtes en France. La vie a bien changé, évidemment. C'était la misère. C'était la misère qui régnait, et on ne mangeait pas à sa faim souvent. On ne mangeait pas à sa faim : pain sec trempé dans l'eau ou bien... trempé dans l'eau avec un peu de sucre dessus. Et c'est tout ce qu'on pouvait manger. Et puis des pommes de terre cuites à l'eau. Du [incompris], de la [incompris] salée, si vous voulez, ou du lard salé. Comme les Terre-neuvas, toujours du salé. On empêchait le scorbut parce qu'on mangeait beaucoup de patates !
Journaliste
Pêcheur né à Houat, le cimetière marin sert de décor à ses souvenirs d'enfance.
Habitant
Je suis orphelin depuis l'âge de 14 ans. J'ai perdu mes parents en mer, père et mère, grand-père, grand-oncle, tout. Ils étaient à 5. Ils étaient à 5, une jeune fille de 18 ans, le patron et sa femme. Le patron et sa femme, mon père, ma mère, une jeune fille de 18 ans. Ils sont tous noyés. Tous noyés. Et avant ça, avant ça, mon père avait perdu son père en mer également, et ses 3 oncles. Et ses 3 oncles, oui. C'est bien ça, je dis bien. Il avait perdu son père et ses 3 oncles le même jour. Le bateau a chaviré. Et j'ai eu des gens encore perdus en naviguant à l'entrée de Nantes ou à l'entrée de Bordeaux. On avait tout perdu.
Journaliste
Mais voici qui nous touche de plus près. Cette brèche date de 1951. Il y a 9 ans, une tempête a détruit leur port en une nuit. A côté du cimetière des pêcheurs, Houat découvre, à l'aube, un cimetière de bateaux. Le Saint-Joseph, l'Etoile, le Bac Saint-Pierre, le Cap au large, l'Espérance. Sur ces carcasses, la mer, depuis 9 ans, jette du sable. Naturellement, les journaux, l'opinion, les pouvoirs publics s'émeuvent. Des reportages font connaître en France en même temps que d'un malaise l'existence des Houatais. Le résultat le voici : un nouveau port plus vaste que l'ancien, mieux abrité, mieux conçu. Tout le monde est d'accord. A quelque chose, voyez, malheur est bon. Seulement, le progrès ne peut pas se faire seulement à coup de catastrophe. Et sans catastrophe, on oublie Houat et les Houatais. C'est un cercle. Ils n'ont pas d'électricité, toujours pas. Mais l'absence d'électricité n'est pas un événement pour les journaux. Ça ne constitue pas une nouvelle publiable. Ecoutez ce qu'en pense le maire actuel, monsieur Le Berre, et avant lui, monsieur Le Gurun, l'ancien maire.
(Silence)
Joseph Le Gurun
L'électricité [incompris] c'est toujours la même question quand on arrive à la maison. Toujours la clarté de la vieille chandelle.
Hubert Le Berre
On nous avait promis il y a 5 ans l'électricité et puis depuis, c'est tombé dans l'eau. Le câble est passé sous notre nez, il est parti à Belle-île. Il devrait passer à Houat pour gagner Belle-île. Au total, tout compte fait, le câble est arrivé à Belle-île et puis nous, on reste là.
Journaliste
Et les vieux, eux, qu'est-ce qu'ils en pensent ?
Habitant 2
L'électricité est tout ce qu'il faut pour Houat, bien sûr, comme ailleurs. Mais c'est [incompris]. C'est tout pour les jeunes maintenant, parce que pas pour nous, toujours, on est rendus trop sur l'âge. Et puis avec ça, on est habitué, maintenant, avec nos lampes à pétrole.
Journaliste
Ces jeunes, nous les avons croisés à chaque coin de rue. Une belle race qui pousse drue, pas très liante. Monsieur le maire est très fier d'eux.
Hubert Le Berre
Il faut dire qu'à Houat, il y a beaucoup de jeunes. C'est un peuple qui monte.
Journaliste
Il y a beaucoup de jeunes ? On a l'impression qu'ils ne partent pas.
Hubert Le Berre
Personne ne part, tout le monde reste là. Vous voyez bien qu'ils construisent tous, avec une belle flottille.
Journaliste
Anne-Marie, dites-moi ce que font les jeunes filles de 15 ans ou 16 ans dans l'île ?
Anne-Marie
La plupart, elles restent chez elles, même l'hiver. L'été, elles travaillent à l'hôtel. C'est tout.
Journaliste
Comment elles se distraient ?
Anne-Marie
Il n'y a pas beaucoup de distractions. La lecture aussi.
Journaliste
Vous aimez lire ?
Anne-Marie
Oui.
Journaliste
Qu'est-ce que vous lisez ?
Anne-Marie
Des petites revues.
Journaliste
A quel moment de la journée ?
Anne-Marie
Le soir ou bien dans la journée, quand on a le temps. A la plage aussi, l'été.
Journaliste
Les vrais Robinson, vous voyez, ce sont eux dont l'exil ne prend pas fin à date fixe. Ce qui les isole du monde, de nous, de vous qui êtes, ce soir, devant vos postes, ce ne sont pas les 18 kilomètres qui les séparent de la côte. C'est un bateau qui ne vient pas, un bateau auquel vous pouvez donner le nom que vous voulez : électricité, cinéma, télévision, XXe siècle. Au bord du passé, les Houatais attendent qu'on vienne les chercher. Bien sûr, de cet isolement, on peut dire qu'ils sont en partie responsables, qu'on ne fait pas à la civilisation sa part et qu'il est illogique de prétendre rester entre soi en souhaitant, d'autre part, obtenir ce qu'ont les autres. Mais ne dites pas qu'ils sont bien comme ils sont et qu'on ne meurt pas de passer sa vie sans réfrigérateur. Ces besoins, c'est nous qui leur avons donnés, inculqués. Après tout, si la civilisation est au bord de la mer, à 20 kilomètres, ce n'est pas leur faute. C'est la nôtre.
(Musique)
Journaliste
Tout à l'heure, une nuit comme celle qu'ont filmée nos caméras est tombée sur Houat. La même nuit, un peu plus fraîche. Là-bas, un hiver commence, un autre hiver, le même hiver.