La tradition, tout fout l'camp

08 décembre 1977
09m 16s
Réf. 00420

Notice

Résumé :

Dans une ferme de Teillay en Ille et Vilaine, c'est la saignée du cochon. Après l'avoir nourri durant une année, le cochon est tué et cuisiné. Bien que cette tradition soit perpétuée, la fête qui entourait cette journée n'a plus lieu.

Type de média :
Date de diffusion :
08 décembre 1977
Source :
FR3 (Collection: Terroir 22 )

Éclairage

Ce film tourné en Ille-et-Vilaine en 1977 témoigne d'un moment de rupture :

- Entre d'une part la tradition, symbolisée par la préparation de cochonnailles à la ferme. Trois hommes au fort accent gallo s'activent autour du cochon, l'un d'entre eux - boucher aux gestes assurés - rappelle que son père et ses frères avaient déjà les mêmes pratiques.

- Et d'autre part la modernité. Les hommes évoquent la disparition de la fête automnale qui accompagnait, il y au moins une génération, la tuerie du cochon à la ferme. Ils mentionnent également la présence de nouveaux objets, le congélateur par exemple qui remet en question des façons de faire traditionnelles : la viande salée puis déposée dans le charnier, les charcuteries de ferme sont en voie de disparition.

A la fin des années 70, de nombreuses exploitations bretonnes ont déjà transformé leur modèle de production en s'orientant vers l'agriculture intensive : les élevages industriels de porcs et de poulets se multiplient. Les modes de vie des ruraux se sont aussi rapprochés de celui des villes grâce à une mobilité plus aisée, à l'équipement de maisons rénovées, etc. Ce film ne reflète donc pas l'ensemble des fermes bretonnes mais s'attache plutôt à nous montrer un monde que l'on pensait alors en voie de disparition. Or, si l'accent gallo a disparu, si l'abattage à la ferme ne se pratique plus pour des raisons d'hygiène, à la fin du XXe siècle des traditions anciennes semblent renaître au prix d'une mise au goût du jour. La remise en cause du modèle productiviste amène des fermiers à renouer avec les productions fermières faisant de la formule "du producteur au consommateur", citée par l'un des protagonistes au début du film, un nouveau modèle économique.

Martine Cocaud

Transcription

Loïc Mathieu
C'était l'heure de l'autre bonne tradition d'automne. Jean s'en allait par devant le vent coquin dire au voisin de prêter la main au lendemain. Le cochon est bon à saigner, la femme l'a nourri tout l'an passé, qu'il nous nourrisse tout l'an à venir.
(Silence)
Agriculteur 1
Les cochons ont été élevés dans le cellier là. Un coup tiens, nom de d'là. Je vais vous raconter une chose hein. Exprès pour vous faire rire, c'est bien égal. Je sais que ça, ça marche hein. Oui, c'est bien égal, oui, c'est bien égal. Alors, mon père, j'arrivais de l'école. Nom de Dieu y'avait 4 cochons roses dans la, dans la, dans le cellier, dans la soue à cochon, qui se posaient là, vous savez bien [incompris]. C'est nous qu'on l'a foutu en bas.
(Bruits)
Agriculteur 1
Du producteur au consommateur.
(Bruits)
Agriculteur 2
Tu ramènes un petit peu d'eau chaude ?
(Bruits)
Loïc Mathieu
Pourquoi vous l'ébouillantez là ?
Agriculteur 2
Hein ?
Loïc Mathieu
Pourquoi vous l'ébouillantez ?
Agriculteur 2
Pour faire partir les poils. Parce que autrement, mettre le feu là dedans, ça grille le dessus, ça brûle la crasse aussi hein. Ce n'est pas propre pareil comme ...
Loïc Mathieu
C'est une tradition du pays ça parce que ...
Agriculteur 2
Oui, oui.
Loïc Mathieu
...dans d'autres pays, on brûle, on brûle.
Agriculteur 2
Oui, oui, dans le Maine et Loire là, à côté déjà, mais toute la Bretagne c'est, c'est l'échaudage, quoi.
Loïc Mathieu
Et c'est meilleur pour vous ?
Agriculteur 2
Ah ben c'est plus propre. C'est tout.
(Bruits)
Loïc Mathieu
On ne sale plus les cochons par ici ?
Agriculteur 2
Si, encore.
Loïc Mathieu
Ça remplace...
Agriculteur 2
Eh ben, il en est mis dans le congélateur, enfin il y a des morceaux qui sont dans le saloir quoi. Il y en a encore des fermiers qui, qui préfèrent les mettre dans le sel comme ça, tout. Ils mettent dans le congélateur une quinzaine de morceaux quoi, des côtes, des rôtis.
Loïc Mathieu
Il font encore le lard ?
Agriculteur 2
Le salé.
Loïc Mathieu
Mais avant, on gardait tout dans le sel ?
Agriculteur 2
Ah avant, oui, il n'y avait pas de congélateur. Le jambon, les pattes, les jarrets, tout le lard quoi.
Loïc Mathieu
C'était aussi bon non ?
Agriculteur 2
Ah oui, sûr. Certainement plus sain que toute cette congélation là. Le foie doit en prendre un coup aussi pour digérer tout ça.
Loïc Mathieu
Et avant ce n'était pas une sorte de petite fête quand on tuait le cochon ?
Agriculteur 2
Eh ben, oui, oui. Moi j'ai déjà pas connu ça, ni Jean non plus sans doute. Mais autrefois, dans les villages, y avait des [incompris] de campagne des fois.
Agriculteur 3
Oui mais pour en manger.
Agriculteur 2
Oui mais je veux dire que, il veut dire que pendant qu'on tuait le cochon, c'était la fête quoi, on emmenait la [incompris], et puis la picherée de cidre quoi.
Agriculteur 3
Ah oui ! Y avait que le cidre qui comptait à ce moment là.
Agriculteur 2
On arrivait à demi-saoûls pour le cochon. Y'avait plusieurs cochons le soir, de tués. Y'en a qu'allaient faire dodo après.
Loïc Mathieu
Tous les automnes, il y avait un cochon de tué par ici ?
Agriculteur 1
Ben, c'est, c'est le moment.
Loïc Mathieu
Ah bon !
Agriculteur 1
Vraiment, oui, oui. C'est meilleur.
Loïc Mathieu
Et tout le monde se réunissait ?
Agriculteur 1
Ah mais ben mais sûrement, pour la fête du boudin.
(Bruits)
Loïc Mathieu
Rien ne se perd si j'ai bien compris ?
Agriculteur 2
Ah pas grand-chose dans le cochon.
Loïc Mathieu
Tout est bon ?
Agriculteur 2
Il n'y en a pas qui ont la vésicule biliaire partie non ? Parce que en v'là une, pour remplacer.
Loïc Mathieu
Et c'est vrai que vous avez déjà trouvé l'appendice ?
Agriculteur 2
Ah oui, je, plusieurs fois oui.
(Bruits)
Loïc Mathieu
C'est une belle opération finalement ce que vous faites là ?
Agriculteur 2
Ah oui, ça réussit à tous les coups, le patient ne revient pas.
(Bruits)
Agriculteur 2
Je sais pas s'il n'y a pas [incompris]. Vous faites un peu de salé quand même ?
Agriculteur 3
Oui, oui, ah oui. Je fais du salé là.
(Bruits)
Agriculteur 2
Vous faites un peu de charcuterie quand même ?
Agricultrice
Oui, oui, oui.
Loïc Mathieu
C'est par amour du métier que vous avez toujours fait ça ?
Agriculteur 2
Oui. Fallait bien faire quelque chose, hein. On ne peut pas tout le temps être à rien faire. Le père le faisait et on était trois frères à le faire, et puis il y en un qui a arrêté, et deux qui ont continué, et non !
Loïc Mathieu
Ce n'est pas un métier de fainéant, j'ai l'impression ?
Agriculteur 2
Il ne faut pas trop dormir non, par moment. Il y a des jours que ça va bien mais... On va le saler, on va le mettre avec l'autre, là-bas.
(Bruits)
Agricultrice
Voilà.
Loïc Mathieu
Il n'y a plus l'entente des gens. 6 fermiers sont partis, n'en ont laissé que deux. Ce n'est plus la fête. Le cochon se meurt d'ennui, les hommes aussi. La femme a pourtant gardé le geste des vieux, la saucisse et le pâté n'ont pas bien changé, le cochon est mort mais sans tradition. L'homme marche son bonhomme de chemin, écrasant ses traditions, bousculant ses bons sentiments, crèvera comme le cochon et le mort tremblera comme une horloge.
(Bruits)
Agriculteur 1
Avec les cochons, j'ai pas fini. Ah oui réellement. Alors mon père ...[incompris].
Loïc Mathieu
Comment qu'il les saignait ton père ?
Agriculteur 1
Hein à la queue comme, à la queue.
(Musique)
Loïc Mathieu
Et tout recommence. Les pommes se font des couleurs, les feuilles se meurent et il y a l'automne qui sort son mouchoir et la vie [incompris], et la vie qui grelotte à perdre ses habitudes.
(Musique)
Agriculteur 1
C'est l'habitude pour pas changer de l'ordinaire. Voilà le Bernard.