L'usine de confection Transocéan à Brest

05 juillet 1967
06m 53s
Réf. 00443

Notice

Résumé :

L'usine Transocéan s'est implantée dans la zone de Kergonan à Brest. Spécialiste du tricot en courtel, cette usine a un fort besoin en main d'œuvre féminine.

Date de diffusion :
05 juillet 1967
Source :
Lieux :

Éclairage

Brest, chef-lieu du département du Finistère, est un important port situé à l'extrémité ouest de la Bretagne. Depuis 1631 - date à laquelle Richelieu crée le port et les arsenaux sur les rives de la rivière Penfeld - la ville s'est orientée vers les activités militaires et commerciales. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, alors que la ville a été en partie détruite par les bombardements, elle puise sa prospérité dans les activités liées à la reconstruction et dans l'industrie d'armement déjà bien implantée. La guerre d'Algérie et le lancement de la force nucléaire stratégique à l'Ile longue soutiennent l'activité économique de la ville bretonne dans ce domaine. Brest tire également profit de son port pour développer ses activités commerciales en devenant un port d'éclatement charbonnier puis un port d'échanges de produits agroalimentaires.

Mais pour asseoir son expansion économique, Brest bénéficie surtout des politiques de décentralisation industrielle mises en œuvre par le gouvernement, de son classement en zone critique en 1956, et de la politique de son maire Georges Lombard, à la tête de la municipalité de 1959 à 1973, et membre particulièrement actif du CELIB (Centre d'étude et de liaisons des intérêts bretons). Celui-ci est à l'origine de la création en 1969 de l'université de Bretagne occidentale. En 1971, date à laquelle elle acquiert son autonomie par rapport à Rennes, elle compte près de 6000 étudiants.

Au niveau économique, de nombreuses industries vont s'implanter dans cette ville. Deux secteurs sont particulièrement dynamiques : l'électronique (implantation par exemple de la société ERICSSON en 1970) et la confection de vêtements. Entre 1961 et 1963, trois industries parisiennes - dont TRANSOCEAN dont il est question dans ce reportage - s'établissent à Brest. En quatre mois, une usine de 6 500 m2 sort de terre. Près de 500 employés - en grande majorité des femmes - s'affairent devant les machines à coudre pour faire sortir de l'usine entre 600 000 et 800 000 pièces de vêtements par an. Pour répondre aux besoins de main d'œuvre engendrés par l'arrivée de cette usine et pour satisfaire les dirigeants qui évoquent quant à eux des problèmes de formation de la main d'œuvre féminine, les pouvoirs locaux ont créé des centres de formation professionnelle. Mais ces besoins ont été largement surestimés. L'usine n'a jamais employé plus de 500 personnes alors qu'à l'origine TRANSOCEAN prévoyait d'embaucher près de 1000 personnes. En 1976 l'usine ferme ses portes, témoignant des limites de la décentralisation industrielle. A partir des années 1980, Brest s'est engagée sur la voie d'une reconversion et un redéploiement de ses activités économiques vers les services, la recherche et les nouvelles technologies.

Bibliographie :

Michel Philipponneau, Le modèle industriel breton. 1950-2000, Rennes, PUR, 1993.

Jennifer Gassine

Transcription

Journaliste
A l'avant-garde de la décentralisation industrielle, une importante société décidait, il y a 4 ans, de s'installer à Brest sur la zone de Kergonan. La raison d'être de Transocéan - c'est son nom - : la confection de tricot diminué, fully fashion comme disent les Anglais, fabriquée en courtelle, cette fibre acrylique aux usages si divers. En Bretagne comme dans toute la France, nombreuses sont les femmes qui portent ces pulls, ces robes, ces ensembles élégants. Savent-elles qu'ils sont fabriqués à Brest ? Les 6500m² couverts de la vaste usine ont été construits en moins de 4 mois. 424 employés, en majorité des femmes, y travaillent actuellement. Une telle implantation ne s'est pas faite sans difficultés. Mais paradoxalement, la direction ne les a pas rencontrées là où elle les attendait. Les problèmes matériels trouvaient bien vite des solutions. Celui de la main-d'oeuvre, lui, restait le problème épineux.
(Musique)
Journaliste
On dit, monsieur, que l'un des problèmes majeurs pour des industriels, qui, comme vous, occupez une main-d'oeuvre féminine importante, est le problème de la formation. Est-ce vrai ?
Monsieur Couf
La formation, monsieur, est capitale dans notre industrie féminine textile comme dans bien d'autres. Elle est capitale, pourquoi ? Parce qu'elle est un intérêt important pour l'entreprise qui voit arriver chez elle une ouvrière qui sait produire en qualité et en quantité. Mais elle est aussi très importante pour l'ouvrière qui reçoit un salaire de qualification et une prime dite de production. Si elle produit en qualité et en quantité, elle gagne bien sa vie. C'est donc un intérêt commun, c'est donc une nécessité.
Journaliste
Est-ce qu'on a fait beaucoup pour la formation précisément ?
Monsieur Couf
Je dois dire en toute honnêteté vraiment que nous devons remercier et les pouvoirs locaux, de l'intérêt qu'ils portent à la formation et de la nécessité qu'ils ont resenti de promouvoir les centres de formation professionnelle pour adultes, et également de promouvoir également une aide aux formations qui sont faites à travers les collèges techniques et les lycées techniques.
Journaliste
Est-ce suffisant à votre avis ?
Monsieur Couf
Je pense que ce n'est pas encore suffisant. Il faudra encore un effort accru de la part des pouvoirs locaux, des pouvoirs nationaux et de tous les enseignements quels qu'ils soient, à quelque stade qu'ils soient.
Journaliste
Vous fabriquez, dans votre usine, quelque chose comme, je crois, 600 à 800 000 pièces de prêt-à-porter par an ?
Monsieur Couf
Notre programme cette année, effectivement, est de 800 000 pièces, plus l'expansion qui est prévue.
Journaliste
Avec les hommes, le débutant conçoit parfaitement que son temps de formation soit nécessaire. La femme, elle, imagine plus facilement pouvoir devenir capitaine sans être matelot. Certaines femmes prétendent que ça a un petit côté un peu péjoratif de venir travailler à l'usine. Qu'en pensez-vous ?
Ouvrière
A mon avis, non. Pour ma part, ce n'est pas le cas.
Journaliste
Vous faites un travail un peu mécanique, disons-le. Mais est-ce que vous vous intéressez vraiment au travail que vous faites ?
Ouvrière
Oh oui ! Oui, par les modèles, tout ça, les différents modèles me plaisent évidemment plus que certains.
Journaliste
Alors il y a des modèles sur lesquels vous travaillez avec plus de charme... plutôt avec plus de production ?
Ouvrière
Oui, parce que je les aime particulièrement.
Journaliste
Est-ce qu'on peut arriver à gagner sa vie à peu près honnêtement dans une usine comme celle-ci ?
Ouvrière
Oui mais c'est très moyen.
Journaliste
Il faut travailler beaucoup pour gagner?
Ouvrière
Travailler beaucoup, oui. Evidemment, maintenant, j'arrive bien mais au début, c'est dur. C'est assez difficile d'y arriver.
Journaliste
Est-ce que vous pensez que les jeunes filles, les jeunes femmes ont suffisamment de formation précisément devant ce travail de l'usine qui les attend ?
Ouvrière
Non. Non quand même.
Journaliste
Vous pensez que les jeunes filles devraient vraiment être formées avant ?
Ouvrière
C'est-à-dire qu'en général, elles sortent de l'école et elles viennent très jeunes ici. Alors évidemment, ça leur permet quand même d'avoir plus d'apprentissage ici.
Journaliste
Est-ce que ça vous semble dur d'être dans une usine, comme ça, du jour au lendemain ?
Ouvrière 2
Oh, non. Pas du tout.
Journaliste
Il y a des petites habitudes de discipline, tout ça ne vous semble pas peser ?
Ouvrière 2
Non.
Monsieur Dabaghian
Nous nous sommes heurtés, d'abord, à l'appréhension des Bretonnes puisque notre usine emploie principalement du personnel féminin, et qui, depuis plusieurs générations, n'a pas pu contracter l'habitude du travail dans l'industrie. D'autre part, qui dit formation dit, en fait, rémunération, parce que la différence entre une ouvrière candidate et une ouvrière déjà spécialisée, consiste en définitive, et à la fin du mois, dans le fait que l'une emporte, dans son portefeuille, une paie supérieure au moins de 50% à l'autre. Compte-tenu des différentes charges impliquées par le travail en usine (repas, déplacement, etc.), il faut donc qu'au départ, cette apprentie concentre un effort jusqu'à sa formation.
Journaliste
Ceci dit, monsieur, en un dernier mot, croyez-vous à l'industrialisation de la Bretagne ?
Monsieur Dabaghian
Eh bien j'y crois d'autant plus que je prépare avec mes collaborateurs une expansion de l'usine, qui va se traduire par la construction de 5000m² de bâtiments nouveaux et la création de 150 emplois nouveaux, mais je serais très heureux si de plus en plus de Bretons y croyaient comme moi et comme mes collaborateurs, et surtout si cet espoir était partagé par de plus en plus de Bretonnes.
(Musique)
Journaliste
Il semble donc que l'industrialisation de la Bretagne ne puisse se faire qu'avec le concours le plus entier des Bretons et des Bretonnes. Il semble aussi que le souci de la formation soit primordial. Pour les Bretonnes, une fois vaincue cette appréhension du travail à l'usine, et quand elles auront pris conscience des apports que leur salaire peuvent apporter à leur bien-être, un nouveau pas sera fait dans la voie de l'industrialisation de la Bretagne.