Anjela Duval et la terre

28 décembre 1971
04m 27s
Réf. 00749

Notice

Résumé :

Extrait du film de André Voisin. Assise dans l'herbe, un chien sur ses genoux, la poétesse Anjela Duval raconte sa terre, à laquelle elle est profondément attachée.

Type de média :
Date de diffusion :
28 décembre 1971
Source :
ORTF (Collection: Les conteurs )
Personnalité(s) :

Éclairage

Angela Duval est née en 1905 au Vieux-Marché près de Plouaret dans les Côtes-d'Armor. Elle s'occupera de la petite ferme familiale toute sa vie. Elle est d'une part connue pour ses poèmes, chansons et textes rédigés en langue bretonne (son œuvre complète a été publiée en 2000 sous le titre Oberenne Glok) mais aussi pour son militantisme face à la mise à mal de l'identité bretonne. Elle s'insurgera contre la vente de terres, l'abandon du breton, etc. Dans son article publié dans Ar-Men (n°56), Roger Laouénan rappelle que sa devise fut « Stourm a ran war bep tachen » traduit par « Je résiste sur tous les fronts ». Gilles Servat lui dédiera d'ailleurs une chanson intitulée Traon an Dour, nom du hameau où elle a toujours vécu.

Dans cet extrait Angela Duval ne raconte pas les légende bretonnes, sujet habituel de l'émission « Les Conteurs » d'André Voisin, mais elle dit son attachement à la terre agricole. Interrogée sur le nom de ses parcelles, elle file la métaphore, voyant en elles des enfants qu'elle nomme et qu'elle individualise car elle en connaît l'histoire. Ces propos nous font mieux comprendre sa révolte exprimée dans ses poèmes quand le foncier est vendu aux étrangers à la Bretagne... ceux qui ne connaissent des terres que leurs numéros sur le cadastre.

Ses propos rappelle aussi une tradition qui se perd : celle de nommer les parcelles en fonction de leurs qualités. La microtoponymie en a gardé beaucoup de traces. Par exemple, la terre était souvent qualifiée par la culture qui lui convenait le mieux. Angela cite d'ailleurs la terre à landes, parcelle probablement non cultivable autrefois. La taille des parcelles était souvent suivie de qualificatifs : petit (bihan) ou grand (bras) etc.. mais la proximité d'un réseau hydographique pouvait également suggérer le nom des terres.

Pour aller plus loin :

Voir les travaux d'Albert Deshayes publiés dans le bulletin Foen-Izella, association de recherches sur l'histoire locale du pays de Fouesnant (numéros de 1992).

Martine Cocaud

Transcription

(Musique)
Anjela Duval
Une ferme, c'était tout un poème.
André Voisin
Oui, par exemple ?
Anjela Duval
Par exemple [breton] qui est là devant nous, [breton] ça veut dire les beaux autels [breton] ou bien la ville des autels parce qu'il y avait une chapelle là, la chapelle Saint-Magloire. Et Saint-Magloire quand la chapelle est tombée, a été recueilli par Monsieur [Vandeville] dans ce bijou de moulin là, il y trône encore, un vieux saint de bois. [breton] c'est déjà tout le titre d'un poème si vous voulez, eh bien tous les champs c'était comme chacun c'était comme un vers du poème.
André Voisin
Oui, comme un jardin.
Anjela Duval
Oui, ils avaient tous des noms mais, maintenant puisqu'on a abattu des talus il y a 3, 4, 5 champs dans le même champ, allez chercher leurs noms maintenant parmi tout ça.
André Voisin
Ce sont des enfants perdus un peu ?
Anjela Duval
Oui, ma foi ils avaient des jolis noms aussi.
André Voisin
Et le village de Trégrom là-haut, c'est comme une... comment vous ?
Anjela Duval
C'est comme une poussinière, comme une poule et ses poussins, comme si l'église était la poule et les maisons, il n'y a pas de grandes maisons, elles sont toutes à peu près de la même taille ou presque comme les poussins autour de leur mère.
André Voisin
Vos champs ils avaient tous un nom ?
Anjela Duval
Ils ont tous un nom.
André Voisin
Ils ont tous un nom, par exemple...
Anjela Duval
Celui-là celui-là il s'appelle [breton].
André Voisin
Ça veut dire quoi ?
Anjela Duval
Et bien, poule c'est une mare si vous voulez un bas fond comme ça poule poulanco, ce doit être une construction de poule, [breton] c'est abîme, comme si c'était un abîme quoi, poule poulanco.
André Voisin
Un ravin.
Anjela Duval
Une mare dans l'abîme.
André Voisin
La mare dans l'abîme.
Anjela Duval
Oui poulanco celui qui est plus bas, c'est [poulanco bin] parce qu'il est plus petit celui-ci c'est [breton] c'est la petite lande là.
André Voisin
La petite lande. Alors vous connaissez tous vos champs et vous les connaissez toujours ?
Anjela Duval
Ah mais, certainement je ne suis pas comme les gens qui viennent là maintenant au moulin, qui achètent des terres comme ça quand ils trouvent, ils appellent le 715 ou le 730 ou le 301 ou par leur nom de cadastre, c'est bête ça.
André Voisin
Et justement nommer quelque chose c'était le connaître non ?
Anjela Duval
Oui, certainement, c'était comme un personnage, quand vous avez dit le nom vous voyez tout de suite la figure de la personne, alors je dis [breton] je sais que c'est un champ de blé parce qu'il y a plein de blé dedans cette année quoi.
André Voisin
Eh oui. C'est comme appeler des enfants ou les nommer.
Anjela Duval
Oui, comme [Drill] parce que c'était un champ qui avait été coupé en deux quand on avait fait le partage des terres là à l'époque de Napoléon, quand autrefois on dit ce n'est pas tellement la terre c'était à l'aîné que la terre appartenait. Mais après chacun avait son lot alors quand le père n'avait pas beaucoup de champs, il fallait qu'il partage ses champs en deux quelque fois, alors ces champs là n'ont pas de talus ces champs là ont un treillage, une haie comme ça entre eux, alors les 2 parcelles s'appellent [breton] parce que une haie c'est une drill. Il y a deux champs côte à côte là qui s'appellent tous les deux [breton] parce qu'il y a une haie entre les deux.
André Voisin
Vous aimez la terre vous pourquoi au fond profondément ?
Anjela Duval
Je ne pourrais pas le dire, je suis née là, j'ai toujours vécu là, ça fait partie de moi-même, mais oui j'ai mes racines là quand même, oui celui qui n'a pas terre n'a pas de racine.
André Voisin
C'est votre devise ça un peu ?
Anjela Duval
Oui, certainement puis c'est la terre de mes ancêtres, mon père a peiné dessus et moi je peinais depuis aussi.
André Voisin
Mais ça ne vous fait rien justement de peiner vous êtes... ?
Anjela Duval
Ah, non, je m'en voudrais de ne pas faire par exemple, ah non, il ne faut pas lésiner sur sa peine à propos de la terre, parce que la terre elle rend à mesure qu'on lui donne.
André Voisin
Elle rend elle... ?
Anjela Duval
Vous voyez bien que ce n'est pas de la très bonne terre, elle est toute en pente difficile à travailler. Mais enfin elle m'a permis de subsister quand même tout le temps, c'est la seule chose pour laquelle il vaille la peine de vivre et de mourir, je crois toujours.