Le prieur de l'abbaye de Boquen

23 octobre 1969
07m 55s
Réf. 00768

Notice

Résumé :

Reportage sur Dom Bernard Besret, ancien prieur de l'abbaye de Boquen, dans les Côtes-d'Armor. Il vient d'être destitué.

Type de média :
Date de diffusion :
23 octobre 1969
Source :
ORTF (Collection: Panorama )
Personnalité(s) :

Éclairage

26 octobre 1969. Bernard Besret, né en 1935, moine prieur de l'abbaye cistercienne de Boquen depuis 1964, célèbre sa dernière messe à Boquen (22). Il vient d'être destitué.

Le concile Vatican II (1962-65) a largement ouvert l'Eglise aux vents du monde mais des questions sont restées en suspens dont celle du célibat des prêtres. C'est dans cette période de questionnements que Dom Bernard Besret, qui a d'ailleurs pris part aux travaux de Vatican II, prend le poste de prieur. Son premier geste est symbolique : il enlève les clés du monastère. Il veut en faire un lieu d'accueil, de réflexion et de dialogue pour tous, qu'ils suivent ou non les règles de l'Eglise. Rapidement, l'abbaye devient un centre spirituel qui accueille de nombreux étudiants en quête d'une spiritualité et d'un mode de vie nouveau. Les offices magnifiés par de superbes psaumes et célébrés en français accueillent une grande foule.

On y vient aussi pour les discussions qui traitent des problèmes du moment : la sexualité, la contraception, la place des prêtres. En juin 1968, Boquen est le lieu d'une université populaire d'été. Les rencontrent se multiplient et le 10 mai 1969, Dom Bernard organise une fête. Lors du discours d'accueil, il dit sa volonté de faire des monastères « des centres de construction du peuple chrétien » et affirme « que le célibat comme l'ascèse et la prière doivent être choisis en fonction de notre aptitude à l'amour [...] chaque fois que sous prétexte de religion nous voulons imposer un carcan à la vie privée, domestique ou professionnelle de l'homme, nous allons à l'opposé de la libération que le Christ est venu apporter ». Suite à cela, il propose que les prêtres puissent bénéficier d'une année sabbatique pour réfléchir à leur engagement face au célibat.

Le lendemain, le discours est reporté en première page de Ouest-France. Les catholiques se divisent, les intégristes allant jusqu'à menacer la vie et les œuvres du prieur. Aussi l'Eglise n'annoncera t-elle le verdict qu'en octobre : Bernard Besret doit quitter Boquen. L'affaire est largement médiatisée et des milliers de jeunes assistent à sa dernière messe.

Le monastère ne survivra pas au départ de Bernard Besret. Après une période de flottement, les moines cisterciens laisseront la place aux petites soeurs de Bethléem. Quant à Bernard Besret, marginalisé par l'Eglise, il s'exprimera deux ou trois fois à la télévision dans les années 70 et 80. Il a poursuivi une carrière scientifique, à la Cité des Sciences notamment, et a continué à nourrir sa réflexion personnelle. Il a publié en 1976, un ouvrage intitulé De commencement en commencement, qui participe des réflexions émises à la fin du reportage et de de sa quête « du fil rouge » qui sous-tend toutes les vies...

Actuellement, il veut monter un Centre de Culture Traditionnelle Chinoise dans un ancien monastère taoïste au Qiyunshan, dans la province du Anhui. Reprenant les principes de Boquen, il souhaite en faire un lieu de rencontre pour les asiatiques et les occidentaux.

En savoir plus :

voir le site de Bernard Besret.

Martine Cocaud

Transcription

(Bruits)
Inconnue
C'est une valeur au point de vue religion oui.
Journaliste
Il avait droit à votre estime ?
Inconnue
Oui, le Père Bernard oui.
Inconnu
Il était prieur à Boquen, moi j'étais dans l'enseignement public, nous avions très peu de relation à vrai dire, mais à chaque fois que j'avais l'occasion de le voir, nous nous entendions très bien.
Journaliste
Vous aviez des rapports fréquents avec lui, vous le voyiez souvent, il venait vous voir ?
Inconnue 2
Quand il passait là se promener, il nous disait bonjour, jamais il ne passait une fois sans nous dire bonjour, on allait à la messe les dimanches.
Inconnue 3
Oui il a été probablement trop moderne pour beaucoup de gens quoi, il a été un peu vite, ce qui arrivera probablement d'ici quelques années, il l'a dit peut-être un peu trop vite alors dans le clergé forcément, on ne veut pas évoluer aussi vite, alors je suppose que c'est probablement pour ça mais alors c'est une catastrophe pour la région.
Inconnu 2
Je regrette beaucoup son départ, moi, parce qu'il était dans le vent et puis c'est tout.
Journaliste
Vous le connaissez depuis longtemps non ?
Inconnu 2
Le Père Bernard, je l'ai accosté comme ça mais enfin c'est un type sympa et puis alors plus que sympa, il est en avant justement des gens qui veulent le mettre à la porte quoi.
Journaliste
Oui, Monsieur le Maire alors qu'est-ce que vous pensez du Père Bernard ?
Maire
Ecoutez le Père Bernard est un garçon que j'estime énormément et que j'aime beaucoup et je peux vous dire que cela c'est à titre personnel, mais je peux vous dire également qu'il a la sympathie, l'estime, l'affection de toute la population de Plénée-Jugon. Et il est évident que cette sanction qui vient, disons, subitement le frapper nous est fort pénible et nous attriste profondément.
(Bruits)
Journaliste
A quelle époque a été reconstruite l'église ?
Bernard Besret
Eh bien, les gros travaux ont commencé vers 1953 et à cause de la modicité des moyens mis en oeuvre, elle n'a été achevée qu'en 1965.
Journaliste
Dom Alexis a pu voir son église terminée ?
Bernard Besret
Il était tombé très malade déjà l'année précédente et c'est à ce moment là qu'il m'a rappelé de Rome pour que je devienne son prieur et en 1965, nous avons donc achevé les travaux, je dirais, en catastrophe, à toute vitesse, de façon à ce qu'il puisse voir l'église avant sa mort et il est mort dix semaines après la consécration de l'église.
Journaliste
Vous avez vous-même pratiqué une politique légèrement différente de celle pratiquée par Dom Alexis, vous avez en quelque sorte ouvert l'abbaye sur l'extérieur ?
Bernard Besret
Oui je pense qu'il faut rappeler que déjà du temps du Père Alexis, notre monastère a été beaucoup plus ouvert que la plupart des monastères disons conventionnels. Il n'avait jamais introduit une clôture stricte dans la maison. Cependant, j'ai laissé tomber beaucoup de frontières, permettant de faire de la maison une véritable maison d'accueil et de partage, parce qu'il me semble que dans notre monde urbanisé, des lieux comme celui-ci, et non pas tellement à cause de la beauté de la nature, mais à cause du rythme même de la vie moderne, des lieux de recul sont absolument nécessaires pour que les hommes puissent y trouver une possibilité de réflexion et de respiration, non pas seulement du bon air de la campagne, mais aussi intellectuellement et spirituellement, qu'ils puissent vivre en liberté.
(Bruits)
Journaliste
L'un des visages de Boquen et peut-être le vrai visage de Boquen, c'est la jeunesse. Et pourtant parmi ces jeunes qui vous entourent, peu appartiennent à la communauté, c'est délibéré car depuis un certain temps vous avez refusé d'accueillir ici des novices. Pourquoi ?
Bernard Besret
La raison précise est la suivante : c'est que, pour accepter des novices au sens canonique du terme, c'est-à-dire des jeunes gens qui allaient s'engager à prononcer des voeux d'abord temporaires puis ensuite définitifs, je pense qu'il aurait fallu pouvoir leur présenter un projet de vie qui soit suffisamment défini et qui coïncide avec les déterminations juridiques actuellement en vigueur. Vous savez qu'en dépit du concile Vatican II, le droit canon encore en vigueur aujourd'hui est celui de 1917. Or, les obligations juridiques de ce droit canon ne recouvraient plus adéquatement la réalité de notre vie. Aussi était-il préférable de ne pas prendre de novice au sens canonique du terme, mais au contraire d'accueillir très largement tous les jeunes. On a compris parfois ma position comme un refus de cheminer avec les jeunes, il ne s'agissait pas du tout de cela au contraire, je pense qu'il est important de rester en solidarité. Moi-même j'ai déjà 34 ans, je vais bientôt passer dans une génération d'anciens, il me semble au contraire très important de rester en contact étroit avec les jeunes.
Journaliste
Aujourd'hui compte tenu de la décision qu'on connaît, quelle est votre attitude à l'égard d'eux, est-ce que vous ne vous sentez pas un peu responsable de les avoir entraînés derrière vous dans cette expérience de renouveau évangélique ?
Bernard Besret
Bien sûr, je suis tout à fait responsable et c'est pourquoi il ne peut être question pour moi d'abdiquer mes responsabilités. Alors, mon attitude est actuellement la suivante, je suis absolument décidé à accepter toutes les décisions de l'autorité légitime concernant mes fonctions juridiques de prieur de l'abbaye de Boquen. Je ne suis plus prieur et bien c'est un fait je ne le suis plus. Par contre à l'égard de tous ces jeunes qui sont ici, mais c'est seulement quelques-uns qui ont pu accourir ce matin, eh bien il n'est absolument pas question pour moi d'abdiquer aucune des responsabilités morales que j'ai prises à leur égard. Sous quelle forme et avec quel moyen il sera possible de poursuivre cette oeuvre, ce n'est pas une oeuvre, mais de poursuivre cette rencontre dans l'amour, je ne me suis même pas posé la question encore.
(Musique)