Les Monts d'Arrée - Patrik Ewen

26 novembre 1991
13m 59s
Réf. 00864

Notice

Résumé :

Promenade dans les Monts d'Arrée ponctuée par des extraits d'une veillée et d'une chanson ("Là bas dans les Monts d'Arrée")de Patrik Ewen, conteur breton : Marie Paule Vettes interviewe Yvon Le Men à propos de cette région, du Mont Saint Michel de Brasparts. Elle se promène ensuite avec Gwen Le Scouëzec qui évoque les deux Monts Saint Michel de la région, la part de mystère de cette région. Enfin, Jean Pierre Gestin, conservateur des musées du parc d'Armorique raconte son installation à Saint Rivoal, petit village des Monts d'Arrée. Il évoque la vivacité d'esprit des habitants.

Type de média :
Date de diffusion :
26 novembre 1991
Source :

Éclairage

La Bretagne a toujours été très prolifique en contes et légendes... Elle a la chance de compter parmi les conteurs de renom Patrick Ewen, amoureux des mystères de la Bretagne et de la poésie. La famille de ce dernier est originaire des Monts d'Arrée, une région assez méconnue en Bretagne mais que Patrick Ewen, passionné par cette contrée, nous amène à découvrir. Le chanteur-musicien-conteur fait partie d'une génération de musiciens bretons qui ont porté haut les couleurs de la Bretagne et qui ont contribué à faire reconnaître son identité. Dans les années 1968, à Brest, il rencontre Gérard Delahaye. Ils tournent ensemble et sortent des disques en s'inspirant des vieilles balades traditionnelles de la Bretagne et de l'Ecosse. Ils sont à l'origine de la création de Névénoé, coopérative de production artistique. Plus tard, en parallèle à ses talents de conteur qu'il mettra en scène pour 3 créations au festival des Tombées de la nuit, Patrick Ewen forme le trio EDF avec ses vieux amis de plus de trente ans, Gérard Delahaye et Melaine Favennec. Ils enregistrent plusieurs albums remarqués par le public breton et salués par les critiques. Ces figures incontournables de la Bretagne multiplient les concerts et les festivals et Patrick Ewen, barbe blanche et air de druide, nous fait découvrir musiques et univers fantastiques des contes.

Raphaël Chotard – CERHIO – UHB Rennes 2

Bibliographie

Trio EDF: -Kan Tri (2003) A écouter dans cet album la chanson sur les monts d'Arrée :Là-bas dans les Monts d'Arrée, Tri Men (2007)

Festival des tombées de la nuit : « Chants et contes fantastiques au pays de la brume », «Erécits barbares », « A la lisière des trois pays des deux mondes »

Raphaël Chotard

Transcription

Patrik Ewen
Je suis arrivé un jour de novembre à Plounéour-Ménez, cela était la plus grande chance de ma vie. Je vous raconterai cela tout à l’heure comment je suis arrivé là. Mais c’est un pays de brume et de vent en même temps, parce que c’est rare de trouver en même temps du vent et de la brume. Ici, on a cela tout en même temps, et il y a même de la bruine en plus. Ce n’est pas vraiment de la pluie, la bruine, c’est de la poudre de pluie. Vous voyez, c’est très fin, cela tombe, on peut se promener toute la journée là-dessous, on n’est pas mouillé. Sauf moi un peu le haut de la tête, parce que je suis très mal protégé. A force d’avoir de la brume partout comme cela, eh ben, cela fait de nous des grands rêveurs, parce qu’en général en hiver, on ne voit pas très loin 30, 40 mètres. Ce qui fait qu’on est obligé d’imaginer ce qu’il peut y avoir de l’autre côté de la brume. Ce qui fait qu’on peut imaginer qu’il y a des châteaux forts avec des princes, des princesses, des chevaliers en armure, des magiciens et tout cela. Bon, on peut tout imaginer, mais des grands rêveurs Plounéour-Ménez.
(Musique)
Yvon Le Men
Saint-Michel de Brasparts, ils taillèrent dans le roc pour tenir la prière, pour contenir le mot dans la pierre. Nul besoin de preuve au bleu du vent à la bruyère, à la brume par qui le mot monte jusqu’au mont. Mais ce furent des hommes, ce sont des morts.
Journaliste
Alors, Saint-Michel de Brasparts, c’est un lieu que vous fréquentez, Yvon Le Men.
Yvon Le Men
Oui, j’arrête, donc je disais tout à l’heure que c’était que les Monts d’Arrée créent de la géographie de la Bretagne ; enfin pas seulement, mais de cette partie de la Bretagne en tous les cas. Le Mont Saint Michel, il est le point culminant de cette géographie. Donc, j’y vais par tous les temps en plus, parce que, quand le ciel est très bleu, on voit très loin, c’est bien. Mais quand il y a de la brume, cela fait penser à un mont chinois qui est très connu, le Huang Shan qui est un mont sacré pour les Chinois ; sur lequel Marc Riboud, qui est un grand photographe, a fait un livre, et que les peintres chinois ont peint d’ailleurs pendant des centaines d’années. Ben, le Mont Saint Michel est un peu le Huang Shan breton, en toute modestie, parce que la brume donne toujours des formes nouvelles. Donc, parfois on voit le mont sans le voir, puisque la brume le recouvre complètement. Alors, je monte, et je suis au monde quoi à ce moment-là. D’ailleurs, ce poème quand même, il le dit quoi, c’est quelque chose de très profond, je me sens au monde. Il y a certains lieux qui m'arriment mon monde et au ciel, en fait, c’est les deux. Je suis à la fois du ciel et de la terre à cet endroit-là. Il n’y a pas que cet endroit-là, il peut y avoir le Mont Saint Michel. Enfin, le Mont Saint Michel le plus connu, l’autre. Quand on arrive par les prés salés par exemple, c’est aussi un lieu où on est au monde. Bon, en Cornouaille anglaise, j’ai trouvé des lieux comme cela dans le Dartmoor, etc. Et le Mont Saint Michel de Brasparts est un lieu, je trouve, qui est à conseiller quand on est perdu, pour être au monde et joyeux d’être au monde ; même quand il fait froid et quand il y a de la brume. C’est-à-dire que même dans le pire des cas de la nature, enfin du froid et de la neige, parce que cela m’arrivait d’aller sous la neige dans les Monts d’Arrée. Il n’y a pas à avoir peur quoi. Pourtant, c’est un lieu…, mais il faut vivre avec la peur, parce qu’elle dessine bien la peur qu’on peut avoir de l’enfer et autre, et on l’apprivoise.
(Musique)
Journaliste
A la faveur de cette émission, qui a lieu ici dans les Monts d’Arrée, on se rend compte, on découvre qu’il n’y a pas un seul Mont Saint Michel mais qu’il y en a deux en Bretagne.
Gwen Le Scouëzec
Ah oui, il y en a deux, qui ont un petit peu le même rôle d’ailleurs. Parce que le Mont Saint Michel est toujours une montagne qui recouvre un ancien lieu de culte très chrétien, christianisé sous le nom de Saint Michel. Donc, tous les deux participent de la même vocation.
Journaliste
Alors pourquoi celui-ci, qui se trouve dans les Monts d’Arrée, a conservé un peu d’anonymat, j’allais dire ?
Gwen Le Scouëzec
Ben, peut-être parce que les Monts d’Arrée ont conservé un peu d’anonymat et que c’est une région malheureusement assez méconnue de Bretagne ; et c’est pourtant l’une des plus intéressantes, des plus curieuses, des plus belles et des plus mystérieuses de Bretagne.
Journaliste
Mystérieuses.
Gwen Le Scouëzec
Mystérieuses, oui.
Journaliste
Qu’est-ce que vous entendez par-là ?
Gwen Le Scouëzec
Ben, mystérieuses, c’est tout un ensemble. Le mystère, c’est quelque chose qui peut d’une part, tenir à la terre, au lieu, à l’aspect général des lieux ; et d’autre part, cela tient aussi aux anciennes traditions qui sont attachées à ces lieux et qui se transmettent de génération en génération.
Journaliste
Gwen Le Scouëzec, c’est votre nom ?
Yvon Le Men
Gwen Le Scouëzec.
(Musique)
Patrik Ewen
Eh, on est arrivé à Plounéour-Ménez. Alors, soleil en quittant Morlaix, Plounéour-Ménez. Alors la bruine, la brume partout, et on arrive là au centre du village, on dit, bon, par où on va ? Gérard me dit, regarde. Je regarde, et là dans la brume devant nous, un monstre qui semblait nous attendre, noir, vraiment épouvantable. Gérard m’a dit, qu’est-ce qu’on fait ? On avançait dans la brume tous les deux. En fait, on avançait un petit peu quelques mètres, on a vu que ce n’était pas vraiment un monstre qui était là, c’était une vieille mémé en fait qui était habillée toute en noir ; mais qui marchait avec 2 bâtons comme cela, vous voyez. Donc, Gérard sort de la voiture, alors la mémé, en nous voyant, fait, "oh, Madou, madou". Ce que je traduis pour ceux qui ne parlent pas breton veut dire, mon Dieu, mon Dieu. Alors, il s’avance vers elle et lui demande comme cela, pardon Madame, "est-ce que par hasard, il n’y aurait pas des maisons à louer par ici s'il vous plaît". Il avait tout faux dès le départ, parce que quand on arrive à Plounéour-Ménez et dans les Monts d’Arrée en général, il y a une sorte de phrase qui est un peu le Sésame, ouvre-toi. La phrase, c’est, il faut arriver comme cela, prendre l’air décidé, puis regarder le ciel et dire, "eh, le temps n’est pas fameux". Là, on est sûr d’avoir tout juste, parce que le temps n’est jamais fameux. Alors là, les gens se disent, tiens, quelqu’un qui s’y connaît. Et ils répondent, "ah non, le temps n’est pas fameux, non, il n’est pas fameux." Alors on dit, "hier, quel temps il faisait ?" Toujours pour lier la conversation, "hier, ben, pluie quoi, forcément, il y a pluie". "Ah bon, et demain alors ?" "Ah demain, il y avait un halo autour de la lune." "Un quoi ?" "Un halo, un halo autour de la lune, oui, juste". "Puis alors ?" "Ah ben, signe de pluie". Une fois qu’on a dit cela, après on est tranquille, on peut demander ce qu’on veut. Mais lui, il arrive là de la ville. "Pardon Madame, est-ce que par hasard, il n’y avait pas gna gna gna gna". Réponse, "ah non, ici, il n’y a rien à louer". "Ah bon, mais là-bas, il a l’air d’avoir une maison qui est vide". "Ah oui, pas vide". "Ben alors ?" "Non, il y a du grain dedans." "Ah bon, puis là-bas alors, celle-ci". "Celle-là est vide". "Mais alors, elle est…". "Ah oui, mais elle est réservée". "Ah bon, pour qui ?" "Pas pour vous toujours". "Bon, c’est dit ici, ce n’est pas la peine qu’on reste, ben, on va repartir alors". "Oui, vous n’avez qu’à repartir, oui". On est reparti, juste avant de repartir d’ailleurs, après avoir lâché tous les freins. Quand la voiture repartait, juste avant que vous savez, la vitre de la 2 chevaux là de côté ne se rabat sauvagement sur mon coude qui était dehors. J’ai très nettement entendu la mémé dire. "Ah mon Dieu, mon Dieu, qu’ils sont vilains tous les deux." Moi j’étais à peu près pareil à l’époque. Oui, je sais qu’il y en a certains qui pensent, ben dit donc, il était déjà très abîmé lui à l’époque. Enfin, on a roulé comme cela toute la journée dans la brume et la bruine. Je n’ai pas dit la pluie, j’ai dit la bruine. En fin de journée finalement, on a quand même trouvé une maison dans le village du Grinec. Je vais vous raconter cela un peu plus tard. Mais avant de continuer plus loin, j’aimerais vous chanter une chanson que Gérard et moi on avait composée en faisant la route pour aller à Plounéour-Ménez. C’est une chanson qui s’appelle, "là-bas dans les Monts d’Arrée". C’est un très joli titre.
(Musique)
Patrik Ewen
Christophe Colomb et Magellan ont traversé tous les océans. Marco Polo sur son bateau Est allé à Cipango. Ils n’avaient pas besoin d’aller si loin pour trouver l’aventure au bout du chemin. Il suffisait pour cela d’aller, où cela ? Là-bas dans les Monts d’Arrée. Il suffisait pour cela d’aller, où cela ? Là-bas dans les Monts d’Arrée. Description des hommes des Monts d’Arrée. C’est un pays pour les garçons qui boivent cul sec et qui puent des pieds ; qui ont la barbe en paillasson et la langue en toile cirée. C’est un pays pour les hommes forts qui ont une haleine de hareng saur. Et nous, on va y aller, où cela ? Là-bas dans les Monts d’Arrée. Et nous, on va y aller, où cela ? Là-bas dans les Monts d’Arrée. Description du pays. Il pleut le matin, il pleut le midi, de mars à février la pluie...
Journaliste
A Sizun, et non pas, je le rappelle à Plounéour-Ménez. Patrik Ewen, vous êtes avec nous aujourd’hui, mais vous avez déjà eu la part belle, j’allais dire, de cette émission puisqu’on vous écoute au début, nous expliquant votre arrivée dans cette région. J’aimerais céder tout de suite la parole à Jean-Pierre Gestin, qui est conservateur des musées du parc d’Armorique. Mais aujourd’hui Jean-Pierre Gestin, vous n’êtes pas là en tant que conservateur, vous êtes là simplement en tant qu’habitant de cette région, tout près d’ici, tout près de Sizun, à Commana. Alors, est-ce que l’histoire de Patrick Ewen vous semble fidèle à l’accueil qu’on réserve aux gens qui arrivent d’ailleurs dans les Monts d’Arrée?
Jean-Pierre Gestin
Moi, je ne l’ai pas vécu de la même façon bien sûr.
Journaliste
Bien sûr, vous deviez venir de 10 Km.
Jean-Pierre Gestin
Non, je venais de Paris.
Journaliste
Ah, c’est pire alors.
Jean-Pierre Gestin
Ma famille est originaire d’ici, mais de loin, mes arrière-grands-parents sont nés à quelques kilomètres d’ici. Mais je revenais de Paris, où j’étais parti chercher du travail il y a quelques années auparavant. J’arrivais dans des conditions sans doute un peu différentes avec un métier, disons, un emploi reconnu à l’époque ; quoique dans une structure qui posait, et qui en a posé pendant quelques années encore, un certain nombre de questions à la population.
Journaliste
Vous parlez du parc d’Armorique ?
Jean-Pierre Gestin
Je parle du parc d’Armorique, et je suis arrivé dans un petit village qui s’appelle Saint-Rivoal, un petit bourg dans une vallée perdue des Monts d’Arrée aussi ; mais une espèce de petit nid de verdure au pied précisément du Mont Saint Michel de Brasparts, que décrivait tout à l’heure Monsieur Le Scouëzec. Je suis allé habiter dans la seule maison libre du bourg qui n’était pas réservée, c’était le presbytère.
Journaliste
Vous avez de la chance, ah bon.
Jean-Pierre Gestin
Et ma foi, nous avons mis cette maison un petit peu en état, de façon à la rendre habitable. Pendant qu’on la remettait en état, ce qui a duré quand même quelques mois, parce qu’on faisait cela en dehors des heures de travail ; on recevait la visite des gens de la commune, qui venaient un petit peu voir. Ils étaient un peu étonnés de voir des gens qui venaient comme cela habiter chez eux. Je pense que franchement, ils venaient voir, sinon la tête que nous avons, voir si c’était bien sérieux tout cela. Parce qu’ils y croyaient sans trop y croire, et nous sommes restés 15 ans à Saint-Rivoal. Puis cela se passait bien, parce que le soir, certaines personnes venaient de près ou parfois même de plus loin, même de communes voisines. Voilà, on a entendu dire que vous étiez venu habiter là, on vient voir. Alors, on venait voir, on débouchait la bouteille de vin, puis on restait discuter. Cela se terminait parfois par des chansons, et cela était ma foi très sympathique. Ce que je veux dire, c’est que pour les gens qui ont connu les Monts d’Arrée, même au XVIIIe siècle….
Journaliste
Il en reste peu.
Jean-Pierre Gestin
Oui, mais les quelques textes qu’ils nous aient laissés, disent que les gens des Monts d’Arrée sont des gens d’un caractère assez vif. Comme ils ont fait profession de commerce, parce que les fermes étaient toutes petites vous savez ici, mais beaucoup de personnes faisaient le commerce des chiffons, entre autres ou de la ferraille. Cela les menait parfois loin dans le sud Finistère, dans nord Finistère, parfois même jusque dans les départements voisins. Ils étaient habitués donc à communiquer. Ils étaient un peu les gazettes locales en plus, ce qui leur donnait une certaine vivacité d’esprit qu’on pouvait très bien ne pas avoir dans des communes plus riches.