Hip Hop

03 décembre 1996
25m 59s
Réf. 00868

Notice

Résumé :

Débat mené par Jean Daive avec Béatrice Macé, Jean-Louis Brossard, Muriel Mombelli et Gwen Hamdi à propos du Hip Hop : qu'est ce que le Hip Hop ? Comment est il arrivé dans les quartiers à Rennes ? Visite au quartier du Blosne au sud de Rennes, l'évolution du quartier, son urbanisme... Thomas, rappeur, parle de la culture hip-hop...

Type de média :
Date de diffusion :
03 décembre 1996
Source :

Éclairage

« Les Rencontres Trans musicales » de Rennes, festival créé en 1979, est un évènement majeur dans la capitale bretonne. Cette manifestation annuelle s'est imposée comme un rendez-vous incontournable au fil du temps, donnant la possibilité à de jeunes groupes de musique internationaux de s'exprimer sur scène. A l'origine, ce festival accueillait surtout des groupes de rock, puis dans les années 1990 on assiste à l'apparition du hip hop.

A l'occasion des Trans musicales cette émission est justement consacrée à la génération hip-hop à Rennes. On décrit de façon passionnante la naissance de ce mouvement de contestation musicale. Le hip hop c'est l'utopie d'une autre société, d'une autre vie, mais c'est aussi un cri social, une réponse à l'angoisse de demain. La place accordée au corporel y est prépondérante. La demande de parole est forte chez les jeunes pratiquant le hip hop. Justement, à Rennes, en 1991, l'UBU, un espace culturel consacré aux jeunes, incite ceux-ci à s'exprimer dans les quartiers. Le hip-hop va trouver un écho favorable dans les quartiers du Blosne. Au cours de l'émission, un jeune évoque son évolution. Il parle du fort contraste social qui existe parfois entre les jeunes des quartiers défavorisés et la jeunesse étudiante. Il met aussi en relief le fait que Rennes soit une ville intéressante, qui bouge, qui est dynamique, où l'appétit de sorties est vif. En 1990, la scène musicale rennaise offre un panel de choix pour tous les amateurs de musique, et cet engouement pour la création contemporaine est relayé par la présence de disquaires qui soutiennent la distribution... Hélas, mis en difficulté par le grand commerce, ils auront tous disparus au début des années 2010..

Raphaël Chotard – CERHIO – UHB Rennes 2

Raphaël Chotard

Transcription

Jean Daive
Alors, qu’est-ce que c’est que la culture hip-hop ?
Gwen Hamdi
Alors, la culture hip-hop, je crois que elle vient au début de, des noirs américains, afro-américains, qui avaient envie de s’exprimer. Euh, je pense que bon, ça peut venir aussi d’un côté, d’un côté peut-être Malcolm X, d’un autre côté, bon, enfin je sais pas, le peuple noir. Bon moi, c’est vrai que j’ai eu la chance de découvrir les Last Poets à la fin des années 60, je crois que c’était en 69 sur donc. Ils avaient sorti un premier album avec un morceau qui s’appelait New York, New York, the big apple, qui était le meilleur disque pop au Pop-Club de José Arthur. C’est comme ça que j’ai découvert parce que quand j’étais gamin, j’écoutais le Pop-Club dans mon lit, comme beaucoup de gens de ma génération. Et voilà, et bon, ils avaient un morceau qui s’appelait Wake-up Niggers, donc "réveillez-vous nègres". Enfin, bon c’était, cette musique elle était parlée seulement avec un accompagnement donc de percussions. Donc il y avait quelqu’un qui jouait des bongos, et puis il y avait trois poètes qui déclamaient donc. C’était au début quelque chose d’écrit et même de parlé. C’est vrai que après, bon, il y a eu pas mal de gens qui se sont inspirés, qui ont vraiment créé la culture hip-hop, la culture rap, je sais pas. Peut-être qu’Olivier Cachin pourra en parler mieux que moi, qui est un des pontes dans la matière. Mais c’est vrai qu’on a commencé à découvrir cette musique vraiment rap quoi, je dirais au début des années 80 quoi, avec des groupes comme Grandmaster Flash and Melle Mel, qui mariaient un peu le funk aussi, donc avec cette façon de s’exprimer le rap.
Jean Daive
Et ça arrive comment ici à Rennes dans les quartiers, Muriel Mombelli, le hip-hop, la culture hip-hop ?
Muriel Mombelli
La culture hip-hop est arrivée dans les quartiers début 90 ! D’abord avec de la musique, des petits groupes qui se sont formés, que ce soit sur le Blosne, Maurepas, Villejean, et puis, petit à petit, on a vu des graffs, des graffeurs arriver et puis des danseurs et des danseuses.
Jean Daive
Et pour vous Gwen ?
Gwen Hamdi
Oui, ben même constat, c’est vrai que je crois que c’est depuis 5, 6 ans, c’est le, c’est la culture que se sont choisi beaucoup de jeunes Rennais. C’est le mode d’expression qu’ils se sont choisis et c’est vrai qu’au travers de, du graphe, de la musique et puis des textes aussi. Moi, je crois qu’il y a 4, 5 ans, c’était relativement une première qu’un certain nombre de jeunes dans ces quartiers écrivent ce qu’ils vivaient. Et je crois que le rap, c’est aussi ça, la culture hip-hop, c’est aussi ça, c’est des jeunes qui décident de prendre la parole eux-mêmes sur ce qu’ils vivent. Donc, c’est vrai que ça a correspondu à un moment fort de volonté de se faire entendre pour des jeunes dans la ville, oui.
Jean Daive
Il n’y a pas une sorte d’opposition entre la culture hip-hop des quartiers par exemple et la ville rock du centre ville ? Pour vous, Béatrice Macé ?
Béatrice Macé
Non, je crois que de moins en moins, il y a ce clivage. Je pense que Rennes est une ville suffisamment ouverte dans son tissu urbain et Rennes est une ville suffisamment ouverte aussi dans les gens qui la font, qui composent le public et qui composent l’artiste et les associations ; et qu’effectivement, maintenant les passerelles entre les, ces deux mondes sont de plus en plus basées sur la connivence et sur une forme de vie qui commence à se ressembler aussi. C’est vrai que comme le disait Gwen, c’est aussi une prise de parole des jeunes ; et la prise de parole des jeunes en 90 n’est plus la même que la prise de parole des jeunes dans les années 60, 70, qui a abouti au mouvement rock. Et donc, c’est une prise de parole, une revendication qui s’exprime au quotidien. L’entrée d’une, d’un discours, d’une création et qu’effectivement, maintenant en 96, Rennes est une ville, je dirais ouverte. Ouverte à toute forme d’expression et on sent maintenant une acceptation de, de tous les parcours dans la cité qui se croisent et qui s’enrichissent mutuellement les uns les autres.
(Musique)
Jean Daive
Nous sommes dans le quartier du Blosne, Christian [Drouillard] et j’ai envie de vous dire : mais où est-il ?
Intervenant 2
Au sud de Rennes, au sud de Rennes, un quartier qui a été implanté complètement dans des prairies, dans des fermes il y a 25 ans.
Jean Daive
Beaucoup de nature !
Intervenant 2
Beaucoup de nature, beaucoup de verdure, c’est un quartier qui privilégie plein de cheminements piétonniers comme cela, verts, calmes, tranquilles.
Jean Daive
Alors, est-ce qu’il y a une évolution sur 10 ans de, du quartier du Blosne ?
Intervenant 2
Oui, une évolution importante. Il s’est passé un ensemble d’organisations institutionnelles, le contrat de ville, DSQ, qui fait que les gens se sont regroupés, plein de processus de réhabilitations se sont mis en œuvre, et puis il y a cette installation de bâtiments, c’est-à-dire on casse les tours. On ne les détruit pas mais on casse le, cet alignement vertical par, vous voyez cet ensemble de bâtiments qui se trouve là, au pied de la tour, qui va accueillir soit une maison de quartier, soit un lieu pour les jeunes, soit le siège social d’une association. Il y en a comme ça une quinzaine sur le quartier.
Jean Daive
Il y a de petites tours, il y a des, quelques barres !
Intervenant 2
Oui, il y a une conception sur ce quartier, c’est ce qui fait sa qualité. C’est-à-dire, il y a euh, un axe de circulation, à proximité de l’axe de circulation, des tours de plus de 10 étages, et ensuite en espèce de rayons comme cela, vous avez des barres, 5, 3 à 5 étages. Ensuite de petits collectifs, 3, 4 étages, et en périphérie de chaque îlot, des maisons individuelles. Et c’est systématique, et au cœur à chaque fois, vous avez un centre commercial, vous avez une école et vous avez une emprise sportive, soit zone libre, soit plus fermée en tant que stade. Et un petit peu à l’extérieur, vous avez une église, une autre église et puis second degré, c’est-à-dire le collège et le lycée. Et le quartier est bâti de cette façon.
Jean Daive
Et alors, qu’est-ce que vous pensez d’un tel quartier ? Alors que la plupart des quartiers sont difficiles ou sinistrés, là j’ai l’impression que la nature, surtout la nature envahit les tours et les barres. On dirait un quartier extrêmement paisible mais cependant, les adolescents apparemment aiment la musique que ce soit rock, techno ou hip-hop.
Intervenant 2
Oui, si vous voulez, vie paisible mais le quartier est stigmatisé par les sigles habituels. C’est-à-dire c’est une ZUP, il y a une ZEP, Zone d’Education Prioritaire, et il y a un contrat de ville. Et les jeunes sont bien présents dans le quartier, hip-hop, musiques, rock et cetera, c’est aussi dans la tradition rennaise mais là, pas seulement.
Jean Daive
En fait, la culture hip-hop répond à quelle demande de la part des jeunes, ou à quelle crise ? Je dis n’importe quoi mais par exemple, il y a la présence de la drogue ici ?
Intervenant 2
Il y a bien sûr un petit peu de drogue qui circule, ça n’a pas l’air bien méchant d’après les indicateurs sociaux qui nous sont donnés, ou la police mais bien sûr, ça circule un petit peu. Je dirais que c’est un problème, c’est pas le problème principal ! Je crois qu’il y a une demande d’expression. Je crois qu’il y a une demande d’exister. Il y a une demande de parler. Lorsqu’on a fait le, cette espèce de proposition poétique l’année dernière, on a récupéré 800 poèmes en quelques jours. Et dans ces poèmes si vous voulez, qui venaient de jeunes, d’enfants, d’adultes, il y avait à la fois un cri social. C’est-à-dire, on voulait parler du chômage, on voulait parler des relations familiales, on voulait parler de la drogue, on voulait parler d’alcoolisme. Et dans le même temps, il y avait une expression qui s’organisait, une expression artistique, une mise en forme de mots, de rythmes qui se jouait. Mais si vous voulez, le hip-hop, c’est, la tradition du hip-hop, c’est bien cette relation duelle. C’est-à-dire autour de la tchatche, autour de l’exploit. C’est-à-dire, je te cause, tu me causes, j’en fais plus, tu en fais plus et ça se traduit bien sûr par la tchatche, qu’on retrouve dans certains groupes du sud de la France. Mais ça se traduit, et ça c’est intéressant, par cette prise en compte corporelle, c’est-à-dire, le corps à un moment donné, mais ça vient de la tradition jazz américaine. Et donc, c’est la notion d’exploit corporel qui se jouait par rapport à l’autre, et qui se jouait en groupe. Non pas de, en dualité simplement mais en groupe. Et tout cela s’est installé progressivement, d’où cette saisie, cette saisie collective de cette danse urbaine et de cette pratique du rap. Mais une demande de parole, une demande d’expression.
Jean Daive
Et de la montrer !
Intervenant 2
Et ensuite de la montrer. C’est-à-dire la, mise en représentation.
Jean Daive
Exprimer socialement, collectivement.
Intervenant 2
Oui, oui, tout à fait, c’est-à-dire l’importance de pouvoir la jouer dans un lieu labellisé à un moment donné. C’est-à-dire un lieu qui a des prétentions ou une réalité culturelle et artistique.
Jean Daive
Et ils expriment quoi dans le rap, dans le tag ? Vous avez déjà essayé de réfléchir à ça, à essayer de codifier ?
Intervenant 2
Cri social, cri social mais pas seulement. C’est-à-dire, c’est pas seulement le reflet d’une réalité sociale. Cette espèce de, il y a une utopie, il y a une part d’utopie importante, d’une autre civilisation, d’une autre société. D’un autre rapport à l’institution, au pouvoir, et c’est un cri quelque part.
Jean Daive
D’une autre vie ?
Intervenant 2
D’une autre vie.
Jean Daive
De passer de l’autre côté ?
Intervenant 2
De traverser le miroir, certains miroirs en tout cas, oui sûrement. Et, alors ça, c’est pratiquement un lieu commun maintenant mais l’angoisse de demain ! C’est-à-dire, je deviens quoi. Je m’organise, je me mets en route, je m’exprime mais je deviens quoi, je vais où ?
Jean Daive
Alors, on parle beaucoup de d’egotrip, mais est-ce que vous pensez que c’est l’individu qui essaie de se trouver ou bien c’est quand même l’individu à partir du collectif ? Disons de l’amitié ou des rencontres ?
Intervenant 2
Il me semble que cette mise en rencontre, cette mise en dialogue à plusieurs est très réelle. Sûrement, sûrement il y a des partis pris individuels mais on voit bien lorsqu’il, lorsqu’un groupe ou un jeune ou deux jeunes viennent, c’est immédiatement accompagné d’autres jeunes. C’est-à-dire, la mise en œuvre, à partir du moment où ils font le choix de danser ou le choix de rapper, de danser, de chanter et cetera, la mise en œuvre est collective presque toujours.
Jean Daive
Et les jeunes trouvent un écho ici à Rennes ?
Intervenant 2
Alors, dans Rennes même, bien sûr qu’il y a des relais. Relais pour l’enregistrement des musiques, relais d’un certain nombre de labels, ça c’est la richesse qui a été progressivement amassée avec tout le travail des Transmusicales.
(Musique)
Jean Daive
Alors ensemble ici, on peut faire un peu l’historique. Comment s’est formulée cette demande des quartiers Béatrice Macé et Jean-Louis Brossard ?
Béatrice Macé
Et bien, en 90, on avait organisé le, un dimanche, pendant les Trans à la Cité, et on avait programmé un groupe, enfin c’était un artiste Kid Frost, qui est un rappeur chicanos de Los Angeles, et on s’était rendu compte que dans la salle, il y avait pas forcément le public auquel on aurait pensé en programmant cet artiste. Et donc on avait fait un constat un petit peu, que notre action devenait limitée et s’arrêtait peut-être au centre ville. Et quelques mois plus tard, à l’Ubu, puisque en-dehors des Trans, nous gérons un club qui s’appelle l’Ubu, nous avons fait une rencontre très importante, déterminante, c’était Fodé Sylla que l’on retrouvera d’ailleurs demain au CIJB, lors d’un colloque. Fodé Sylla qui organisait une tournée Obus dans toutes les grandes villes de France et en fait, il a, il a réussi avec Gwen, qui est ici présent, à faire venir plus de 300 jeunes des quartiers à l’Ubu, dans le centre ville. Et c’est en parlant avec ces jeunes qu’on s’est rendu compte qu’effectivement, les frontières à l’intérieur d’une ville existait et que c’était donc à nous, en tant que producteurs de concerts, producteurs de musiques, d’aller au-devant de ces jeunes ; et que si eux ne venaient pas dans le centre ville, c’était à nous d’aller dans les quartiers pour effectivement leur proposer une programmation dont ils avaient envie et qui leur correspondait. Et en fait, entre Kid Frost en 90 et Obus qui est venu en juin 91 à l’Ubu, on a décidé tout de suite après donc d’aller dans les quartiers et donc, l’opération Quartiers en Trans est né à partir de la rencontre avec Obus. Donc on a mis sur pied dès septembre 91 Quartier en Trans qui a démarré pour la première édition sur les Trans de 91 et effectivement, depuis 91, tous les ans, c’est un rendez-vous réguliers. Et Quartiers en Trans maintenant s’intègre de plus en plus au festival en tant que tel, ça n’est plus une opération, je dirais, extérieure. C’est devenu un des axes des transmusicales. Et cette année plus encore dans la mesure où on retrouvera dès demain au CIJB un quartier général de Quartiers en Trans, quartier général qui sera en centre ville et où les jeunes pourront venir justement écouter et voir un panorama de la culture Hip-hop.
Jean Daive
Alors Jean-Louis, est-ce que vous avez pensé à ce phénomène ? Donc, comment est-ce que vous avez vécu ce, ce cri, cette demande de la part des quartiers ?
Jean-Louis Brossard
Moi, je l’ai vécu, je l’ai vécu mais comme c’est vrai, une demande de jeunes avec qui tu peux discuter, qui d’abord bon, faut dire qu’ici aussi, on est à Rennes donc il y a le câble, donc il y a MTV aussi. C’est vrai que les jeunes des quartiers sont très influencés par toute cette culture américaine, donc hip-hop, rap, et bon ! Moi, c’est vrai que ça m’intéressait beaucoup parce que bon, comme Béatrice hier, on a vu Kid Frost mais n’oublions pas qu’on avait fait I Am aussi le, qui était pas du tout connu à l’époque et quand même déjà, qui est maintenant un groupe majeur, je vais dire de la scène, de la rap française ; et c’est vrai que c’est un mouvement qui nous intéressait beaucoup. Moi, je sais que j’avais eu la chance d’aller à New York où j’avais vu quelques groupes, et c’est vrai que j’avais plutôt ramené des groupes qui étaient plutôt visuels, ou qui avaient vraiment des choses qui me tenaient à cœur, puisque bon, il y a quand même différentes sortes de rap et donc, voilà. Donc ensuite, bon, en discutant avec les jeunes, on s’est aperçu, toute l’équipe de Trans, et Gwen s’en est aperçu aussi, bon, qu’ils avaient vraiment envie de participer. C’est vrai qu’il y a des groupes qui se sont créés aussi. Et donc, ça c’est quelque chose de très important à tous les niveaux, les jeunes se sont pris en main. Mais c’est pas seulement dans la musique, c’est dans le côté vestimentaire, c’est, il y avait des DJ, les gens achètent du disque. Quand on parle du rap aussi, c’est aussi du jazz pour moi. C’est à dire qu’on passe des disques derrière, c’est bon, des gens qui prennent le micro pour parler mais il y a aussi de la musique. Ça c’est très important. Enfin moi, quand j’ai vraiment découvert le rap, ça m’a fait pensé à un mouvement que j’adorais il y a assez longtemps qui s’appelait le Free-jazz quoi ! Donc c’est marrant parce que ça a toujours été quand même les afro-américains, et c’est quand même un cri, un cri de révolte. Et je veux dire, ça, c’est vrai qu’on le trouve toujours maintenant dans le rap, on le trouve peut-être un peu moins dans le jazz, mais on ne le trouve plus dans le rock, malheureusement.
Jean Daive
Et pour vous Gwen, vous l’avez perçu ce cri ?
Gwen Hamdi
Oui, oui.
Jean Daive
Cette demande-là ?
Gwen Hamdi
Je crois qu’elle était, on pouvait pas faire autrement que la percevoir ! C’est-à-dire que mon travail consiste à informer des jeunes, à les recevoir, à essayer de les aider à mettre en place des projets, et c’est clair que là, on a senti qu’il y avait, je crois, ce qu’il faut rappeler aussi, c’est que Rennes, c’est une ville étudiante. C’est qu’il y a près de 60000 étudiants dans cette ville, il y a un centre ville qui vit énormément, qui a un véritable petit quartier latin rennais ; et je crois que pour un certain nombre de jeunes rennais, il y a aussi le sentiment, il y avait très fort et il y a encore un peu le sentiment pas forcément de bénéficier de cette vie nocturne à Rennes, de tout ce qui peut se passer dans le centre ville. Et donc, cette demande, elle était aussi ça. C’est-à-dire, on appartient à la ville, le, nos territoires, c’est pas seulement un quartier mais c’est la, c’est toute la ville avec tout ce que ça comporte comme offre culturelle, comme lieu, comme voilà. Donc, je crois que tout est pas gagné encore et c’est vrai que le, au bout de 5 ans, un des bilans qu’on peut faire, c’est que effectivement il y a beaucoup d’associations de jeunes qui sont mises en place, qui sont créées. De jeunes qui ont décidé de prendre en main un certain nombre de projets ou de démarches. Il y a, je crois, jusqu’à entre 30 et 40 groupes de rap qui fonctionnent. Il y a plein d’occasions pour eux maintenant entre, entre Quartiers en Trans puis à l’année, il y a un certain nombre de rendez-vous qui se sont mis en place, de s’exprimer. Euh, les grapheurs qui commençaient à grapher il y a 5 ans maintenant sont reconnus, organisent des ateliers, sont très demandés ; euh, sont en phase d’être un peu plus reconnus par la municipalité pour pouvoir, pour pouvoir pratiquer leur œuvre, je dis en phase parce que c’est pas gagné encore !
Jean Daive
Ils pratiquaient les murs ?
Gwen Hamdi
Oui, tout à fait, mais là aussi, je crois que c’est, on parlait de culture tout à l’heure mais je crois que c’est très symbolique. Il y a eu un débat l’an passé qu’on avait organisé entre une association de jeunes grapheurs et puis des élus, par rapport à ce que ça pouvait représenter d’autoriser des graphes, de le prévoir, de l’accepter dans la ville. C’est pas gagné mais je crois que c’est très symbolique aussi. C’est que c’est une expression jeune et comment on la reçoit quoi !
(Musique)
Jean Daive
Thomas, comment est-ce que vous avez découvert le hip-hop ?
Thomas
Euh, par hasard. Lors d’un voyage en Guadeloupe en 1990 et euh, je suis revenu en France, j’ai fait que ça quoi ! Depuis cette date-là, septembre 90. Carrément par hasard en fait.
Jean Daive
Et ça disait quoi ? Les mots par exemple, c’était pour dire quoi ?
Thomas
Ben, c’est… A l’époque, en 90, c’était plutôt plus militant qu’aujourd’hui, puisque aujourd’hui, le rap c’est plus egotrip, c’est on parle de soi, enfin c’est ça le rap un peu à la base mais, mais je préfère comme c’était avant. Quand on parlait un peu de bon, ce qui va, ce qui va pas, parce que bon, c’est pas… Dans le rap, on parle pas de, on ne parle pas de, que de ce qui ne va pas ! On parle aussi de ce qui va et moi, je préférais ça en fait, quelque part ! C’était au début. Maintenant, pfft , c’est plutôt…
Jean Daive
Bon alors, tu reviens à Rennes et tu voulais dire quoi ?
Thomas
Quand je suis revenu, je voulais dire, ben justement, en fait c’était plutôt une copie quoi, ce que, de ce que j’avais vu là, il faut s'imprégner quand même ! Je me suis imprégné au bout de 6 ans quoi ! Maintenant, là, je me dis que je suis à Rennes cette année et j’ai pas mal de choses à dire !
Jean Daive
Alors quoi ?
Thomas
Oh, pfft ma vie de tous les jours, la vie galérien, galérienne d’un artiste et surtout dans le rap, euh pfft, Rennes ! Euh, pfft, il y a plein de choses à dire dans le rap !
Jean Daive
Et Rennes, c’est comment ?
Gwen Hamdi
Rennes, c’est pas mal, ça commence à venir. C’est pas mal, ça pourrait être mieux point de vue hip-hop mais ça commence à se bouger quand même ! J’espère que cette année, ça sera peut-être un tremplin pour d’autres années qui vont suivre quoi. Espérons, croisons les doigts, touchons du bois !
Jean Daive
Raconte-nous comment tu travailles, comment tu écris ton, tes rap ?
Thomas
Euh, ben c’est une question d’inspiration quoi, une question d’inspiration. Si par exemple ce jour-là, j’ai envie d’écrire quelque chose qui me passe par la tête, je l’écris. Et quand je suis pas inspiré, j’écris rien. C’est en fait un peu comme un écrivain ou enfin, toute personne qui écrit quoi que ce soit quoi ! Il faut se sentir imprégné, il faut se sentir prêt quoi ! Et puis, bon, voilà, ça vient tout seul, de créer, le crayon, il parle quoi !
Jean Daive
Tu peux nous montrer là ?
Thomas
Là, maintenant là ? Euh, non.
Jean Daive
Réfléchis bien, la meilleure phrase !
Thomas
Je tape une interview à la radio, je viens de me lever, il fait pas chaud ! En fait, le rap, c’est une question de rimes aussi, c’est important. Mais bon, on n’est pas obligé de rimer dans le rap, faut parler de ce qui…
Jean Daive
Il y a des trucs dont t’es content quand même, que t’as pu retenir, qui te reviennent ?
Thomas
Oui, oui "Rennes à son tour plonge dans le stress, les jeunes sortent leurs guns, imitent Los Angeles. Puis, ces cons se plaignent que la ville ne bouge pas mais le hip-hop s’enlise à cause de ces petits malfrats", voilà…
(Musique)
Jean Daive
Jean-Louis, Rennes, c’est comment, c’était comment ?
Jean-Louis Brossard
Rennes a toujours été une ville que je trouve intéressante parce que bon, c’est vrai qu’il y a, comme on disait tout à l’heure, c’est vrai qu’il y a beaucoup d’étudiants. Moi, j’ai même été étudiant, ça m’est arrivé oui, pas très, très bon d’ailleurs. Mais c’est vrai qu’on sortait beaucoup, bon, il y a une tradition un peu celtique je dirais un peu de cafés, on sortait dans les bars, on écoute beaucoup de musiques, on a toujours eu de bons disquaires, donc… Et c’est vrai qu’on sortait, on s’amusait bien, on rencontrait plein de potes et puis c’est vrai qu’il y a eu des groupes qui sont venus, des musiciens, et puis voilà quoi ! Et puis ça y est, et puis maintenant, c’est vrai que quand je me vois à l’Ubu le soir, il y a autant de gens que je connais d’il y a longtemps des fois que des jeunes de maintenant qui s’intéressent à toutes les musiques. Je parle pas que du rap mais qui s’intéressent autant à la techno, ils ont 18 ans mais je connais des gens qui ont 40 ans qui adorent la techno aussi. Il y a tout ce grand mélange sur Rennes et ça, c’est vraiment très intéressant.
Jean Daive
Comment vous l’avez rencontré Béatrice, Jean-Louis ?
Béatrice Macé
Euh, on s’est rencontré à la fac je crois, on s’est rencontré…
Jean-Louis Brossard
Oui, je t’ai fait la cour !
Béatrice Macé
Mais on s’est rencontré à la fac, c’est vrai qu’on, on faisait partie de ces étudiants qui passaient beaucoup de temps en-dehors de la fac, et qui en fait…
Jean-Louis Brossard
Je t’ai rencontrée chez une copine !
Béatrice Macé
Oui, en fait, on passait beaucoup de temps, comme l’a dit Jean-Louis à écouter des disques, à aussi…
Jean Daive
Il n’y avait pas de bar paraît-il à l’époque, il y a 20 ans !
Jean-Louis Brossard
Si !
Béatrice Macé
Il y avait La Paillette, la nuit sur La Paillette qu’on avait, qu’on avait tous fait…
Jean Daive
Il y avait pas la Rue Saint-Michel !
Béatrice Macé
Oh, mais il y avait L’Epée, il y avait L’Epée, il y avait déjà la Rue Saint-Malo et Saint-Michel !
Jean-Louis Brossard
Elle était deux fois plus grande la Rue Saint-Malo à l’époque.
Béatrice Macé
Oui, mais c’est vrai que Rennes a toujours été une ville, une ville qui a, qui vivait beaucoup la nuit, elle continue à vivre beaucoup la nuit. Je pense que on n’a pas de nostalgie à avoir par rapport à une époque d’il y a 15 ans, d’il y a 20 ans. En fait, moi j’ai pas de nostalgie par rapport à cette époque-là ; je pense que ce qu’on a à vivre est aussi intéressant que ce qu’on a vécu et que c’est à nous effectivement maintenant de retrousser peut-être les manches et de, effectivement, de continuer à faire que cette ville, elle vive. Je crois que les Rennais ont un appétit de vie et de sortie assez incroyable quoi ! Je crois que c’est peut-être aussi un peu celte, comme l’a dit Jean-Louis, mais c’est vrai que la jeunesse de cette ville est excessivement dynamique.
Jean Daive
Comment se décèle le talent par exemple chez Thomas, que nous venons d’entendre ? Le rappeur, est-ce qu’il a déjà un talent pour vous, Muriel et Gwen ?
Gwen Hamdi
Sur une phrase, c’est dur à…
Muriel Mombelli
Sur une phrase, c’est dur. Thomas, je le connais un peu, enfin si c’est bien le même.
Jean Daive
Il dit que ça va pas !
Muriel Mombelli
Il dit que ça va pas, il dit peut-être pas ça tous les jours non plus. Euh, c’est un jeune que nous, on a rencontré justement lors des premiers Quartiers en Transe. A l’époque, il dansait, maintenant, il écrit, il fait partie d’un autre groupe. Je pense que petit à petit, on a pu, on a pu voir que c’était quelqu’un d’abord qui s’accrochait, qui avait envie de faire des choses. Après, le talent, le talent c’est plutôt à des gens comme Jean-Louis qu’on peut poser la question, puisque c’est lui qui programme les Transmusicales ! Nous, c’est plus en termes, en termes d’envies, en termes de choses à faire qu’on peut le ressentir !
Jean Daive
Vous connaissiez les familles, vous les rencontrez ?
Muriel Mombelli
Parfois, pas toujours. C’est vrai qu’il y a des familles qui sont très, très intéressées par ce que font leur, leurs enfants. Nous, on est plutôt autour de la danse, c’est vrai, donc les gens viennent voir ce que font les jeunes, au Triangle notamment. Et puis autour de la musique, les jeunes se prennent eux plus en charge, notamment autour de T5A qui est un autre groupe de Rennes, et on les rencontre souvent. Les gens viennent parler, savoir ce qui se passe, voir un petit peu où en sont les, leurs enfants que ce soit les garçons ou filles.
Jean Daive
Gwen ?
Gwen Hamdi
Oui, je crois que ce mouvement aussi, il est, il est évidement question de talent et puis de jeunes artistes de qualité qui bénéficient, on le disait tout à l’heure, d’une locomotive comme les Transmusicales, d’autant important ; mais il permet aussi à un certain nombre de jeunes de s’investir. Muriel parlait du groupe T5A, si je ne me trompe pas, un de leurs premiers textes, c’était "Rennes se réveille et met sa culture en éveil". Ils ont mobilisé autour d’eux tout un tas de jeunes et depuis 5 ans, c’est vrai que, que ce soit organiser un concert, un mini festival dans son quartier, s’impliquer autour d’une équipe de grapheurs, manager des groupes, créer une association ; je crois qu’il y a ceux qui écrivent, il y a ceux qui chantent, il y a ceux qui montent sur scène et puis, il y a tous ceux qui les soutiennent. On a organisé cette année une Fête de la Musique dans le centre ville avec volontairement un plateau rap. Euh, c’était très impressionnant de voir tous ces jeunes et puis des mômes qui sont descendus dans le centre ville, qui sont venus soutenir les groupes de leurs quartiers. Et puis, je crois que ça crée quelque chose, c’est-à-dire, ils s’impliquent dans la vie de la ville. Et ça, c’est très important. C’est-à-dire qu’ils sont plus en marge, et puis là aussi, je crois que quand on disait qu’on avait encore beaucoup de choses à faire, pour bien essayer de comprendre ce mouvement,
Jean Daive
Qu’est-ce qui reste à faire ?
Gwen Hamdi
Je crois qu’il reste, on l’a initié je crois au niveau des opérations d’été par exemple. Il reste à trouver des temps et des moments où le centre ville peut battre de cette force-là. C’est-à-dire que, qu’on ne tombe pas dans un piège qui peut être de faire des petits ghettos culturels. C’est-à-dire que Christian [Drouillard] parlait tout à l’heure des efforts considérables qui ont faits en matière de développement social des quartiers, je crois que Rennes de ce point de vue là est une ville pilote mais c’est vrai que, aujourd’hui, il s’agit pas que les jeunes se sentent très, très bien dans leur quartier mais très, très bien dans leur ville.
Jean Daive
Est-ce qu’il y a un échange réel entre le centre ville et les quartiers.
Gwen Hamdi
Pas suffisamment. Je crois qu’on est en train d’y travailler, je crois que la volonté d’avoir un lieu d’accueil en centre ville, c’est un premier pas, c’est une… essayer d’aller un peu plus loin. Il y a énormément de travail à faire pour que les jeunes ne se situent pas seulement du point de vue de leur quartier, parce qu’à Rennes comme ailleurs, on n’est pas à l’abri de débordement de ce point de vue là. C’est-à-dire, si t’es pas de mon quartier, t’es pas de chez moi. C’est dangereux, c’est pas sain et c’est pas dans l’esprit, je crois que Jean-Louis l’a dit tout à l’heure, c’est pas dans l’esprit de cette culture non plus. Et puis, je crois qu’il y a aussi, il y a un vrai travail à faire de lien entre cette population étudiante qui vit pas exactement les mêmes problèmes et les jeunes qui galèrent et qui ont envie de partager avec d’autres dans la ville quoi !