Pierre Duclos - Le boire en Bretagne

15 novembre 1989
04m 26s
Réf. 00879

Notice

Résumé :

Interviewé par Marie Paule Vettes, Pierre Duclos parle du "savoir boire" en Bretagne, de son aspect culturel, du "boire et être ensemble" : la capacité à boire longtemps est un acte de convivialité en Bretagne. Il évoque l'art de la conversation dans les cafés.

Type de média :
Date de diffusion :
15 novembre 1989
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Éclairage

Cet extrait nous livre une perception subjective du café breton, qui est ressenti comme le lieu privilégié de la sociabilité rurale, du moins quand ceux qui le fréquentent sont des gens du coin « qui savent d'où ils sont et ce qu'ils font ».

Si c'est dans tout le Nord et le Nord-Ouest de la France qu'est dénombré le plus grand nombre de cafés, la Bretagne paraît particulièrement bien pourvue (1/10e des débits français). Cette forte densité est constatée à partir de la moitié du XIXe siècle : moins nombreux en moyenne que dans le reste la France en 1840, leur nombre passait à 29 000 en 1872 et 43 000 en 1914. Les densités étaient alors impressionnantes : un débit pour 51 adultes - un pour 26 adultes masculins - la palme revenant au département d'Ille-et-Vilaine qui sera rattrapé après la seconde guerre mondiale par le Morbihan et le Finistère.

Cette multitude de cafés urbains mais aussi ruraux - puisque chaque village en comptait au moins deux ou trois, qui faisaient aussi fonction d'épicerie, de bureau de poste etc... - participait-il au taux d'alcoolisme élevé en Bretagne ? À voir... La littérature de recherche est rare sur ce thème mais si les chercheurs analysent l'alcoolisme en Bretagne comme un processus mêlant l'économie, le social et le culturel, ils se gardent bien de faire le lien avec la forte densité des bistrots, de même qu'ils refusent le lien entre région à forte ruralité et grand nombre de cafés.

Toutefois le nombre d'établissements a diminué depuis 1937 modifiant en profondeur la sociabilité des villages... du moins si l'on en croit les ethnologues et notre témoignage radio qui décrit le lieu comme un point de rencontre entre habitués de la communauté villageoise. C'est à ce titre que dans un contexte de déclin des offres de commerce ruraux plusieurs municipalités ainsi que le Conseil Régional financent des actions dans les bars qui sont percus au début du XXI siècle en tant que lieux de mémoire et de traditions mais aussi en tant qu'espaces de rencontre favorables à l'intégration des néo-ruraux.

Martine Cocaud – CERHIO – UHB Rennes 2

Bibliographie

FILLAUT, Thierry , Les Bretons et l'alcool. Rennes : Editions ENSP. 352 p, 1991.

JEANJEAN, Agnès, « Ce qui du travail se noue au café ». Socio-Anthropologie n°15 Boire, 2004. Disponible en ligne : http://socio-anthropologie.revues.org/index402.html

Nicolas Cahagne, Raymonde Séchet et Yvon Le Caro Le bar rural en Bretagne : du lieu d'alcoolisation au lieu de sociabilités, 2009, disponible en ligne, http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00397232

Martine Cocaud

Transcription

Marie-Paule Vettes
Cœur, la Bretagne intérieure.
Pierre Duclos
Ça va faire carte postale mais c’est vrai que quand vous me dites : Comment je vois la Bretagne intérieure, je vais y répondre après coup. C’est quand même malgré tout comme ça, pas que comme ça mais bien comme ça. C’est au fond un peu cette saison, et c’est le contraste entre ce pays rude, entre ce pays souvent noyé de brumes et puis… Si pour moi les intimités de soupes chaudes, en un sens, celle qu’on attrape en regardant le soir, enfin en attrapant les bouts d’intimité à travers des fenêtres éclairées, c’est vraiment dans cette région-là. Ma sœur que j’ai justement un peu retrouvée d’ailleurs en Bretagne, enfin en Irlande. C’est aussi la, les cafés quand même, oui. Je veux dire, avec le contraste aussi du dehors et du dehors mais je veux dire, il y a une, il y a une véritable chaleur dans les cafés. Je fais pas une, une apologie, pardon, de l’alcoolisme en Bretagne, c’est vrai que parfois même, ça me trouble beaucoup cet aspect-là. C’est-à-dire le côté trop culturel du café, y compris le côté trop culturel du savoir boire. Ça c’est une notion très importante dans cette région-là. Euh, quelqu’un enfin, un garçon surtout, qui a 20 ans et ne sait pas boire s’exclut facilement, j’ai été comme ça moi-même. C’est, il fallait que quelqu’un ait l’art de la piste, comme on disait. La piste étant cette capacité de boire longtemps mais sans, sans tomber dans l’excès. Il fallait ni être bagarreur, ni avoir mauvais caractère, encore que les bagarres ne nous gênaient pas trop. Mais boire, c’est vraiment une espèce d’acte de convivialité. Alors le café…
Marie-Paule Vettes
Qu’est-ce qu’on boit ?
Pierre Duclos
Oh, de tout, je veux dire, je… Même à cette époque-là, enfin si je parle de l’époque de mes 20 ans qui remonte à 25 ans, c’était de la bière, c’était du vin mais pour les jeunes c’était de la bière. Les, les vieux boivent plus, le côté triste c’est le vieux tout seul au bar, ou alors à table dans un coin avec leur éternel rouge. Mais je pense surtout à l’aspect mélangé des deux : boire et être ensemble. Est-ce que c’est lié à ce pays dont le climat est un peu rude, où il fait pas toujours très bon dehors qu’on se retrouve si bien au café ? Je suis pas sûr parce que, parce que je ne suis pas sûr que cette convivialité, on le retrouverait en Normandie qui a un climat à peu près semblable. Je ne suis pas sûr non plus d’ailleurs que les femmes en Bretagne se réjouissent de cette convivialité parce que quand même, pendant très longtemps, elle a été réservée aux hommes. C’est peut-être un peu vrai, un peu moins vrai maintenant mais oh, il reste que non. [Inaudible] quand même, on va encore surtout entre hommes au café, mais c’est chaleureux ! Ces apéritifs qui n’en finissent pas, c’est chaleureux !
Marie-Paule Vettes
C’est tous les jours ?
Pierre Duclos
Non, pas tous les jours. C’est surtout le dimanche, encore que non, ça dépend des périodes. Là, je, là je sors d’ailleurs de la période de l’automne, l’été on, peut-être que les occasions de venir au bourg sont plus grandes, il y a certains midis où on est sûr de trouver 2 ou 3 personnes à qui, avec qui on peut, on peut discuter. Et là, l’agrément, c’est vrai que j’ai trouvé très agréable. Là, je le dis sans, comment dire ? Sans avoir cette espèce de regard de quelqu’un de la ville que je ne suis pas d’ailleurs à l’origine. Je me sens réellement bien dans ces conversations, je dirais avec des gens qui sont vraiment de quelque part et qui me parlent de, de leur propre vie. Autant je me mets souvent mal à l’aise aujourd’hui, je veux dire, pour expliquer ce genre de bien-être, je me sens à l’aise dans une conversation intellectuelle, si c’est une vraie conversation intellectuelle et je déteste les fausses conversations qu’on a avec plein de gens aujourd’hui où le… On a plein de gens qui pensent qu’ils peuvent parler de tout, qui ont des opinions sur tout et en fait, c’est à peu près rien. C’est une espèce de magma mais qui ne savent même pas parler d’eux ou parler de ce qu’ils font ou parler de, d’où ils sont. Et ce que je trouve à la fois très reposant et très restructurant, c’est vraiment ces conversations avec des gens qui savent d’où ils sont, qui savent ce qu’ils font, et qui parlent bien de ce qu’ils font. Et qui ne prétendent jamais parler de ce qu’ils ne savent pas, et qui ont une vraie curiosité sur ce qu’ils ne savent pas. Mais ça fait vraiment des conversations agréables et donc, c’est chacun sont tour d’apprendre des choses. A un moment, c’est, sachant que j’étais journaliste, euh, mais en même temps je veux dire, de manière très, très amicale, je veux dire très copains, bon, il leur arrivait de me dire : Dis donc, tu peux pas nous expliquer ça ? Euh, et quand ils demandaient, c’est qu’ils avaient envie de savoir, et une fois qu’ils savaient, on repassait à une conversation qui les intéressait. Mais ça, c’est vraiment très équilibrant. Or, je suppose d’ailleurs qu’on trouve ça dans, je veux dire que c’est un rapport qui n’est pas exclusif à cette région de la Bretagne, et même à la Bretagne. Dans bien des régions, on doit être capable de tisser ces types de relation.