Kofi Yamgnane à Saint Coulitz

19 mai 1990
05m 51s
Réf. 00880

Notice

Résumé :

Depuis un an, dans un village du Finistère, la commune rurale de Saint Coulitz, a été élu un nouveau maire : Kofi Yamgnane. Originaire du Togo, marié à une bretonne "bretonnante" implanté à Saint Coulitz depuis 18 ans, ingénieur des Ponts et Chaussées, il évoque les raisons de son élection et son intégration. Interview d'un habitant qui le juge "plus Français que [lui]".

Type de média :
Date de diffusion :
19 mai 1990
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Éclairage

Cet extrait fait revivre une belle aventure vécue de la diversité culturelle, dont les habitants et le maire de Saint Coulitz (Finistère – canton de Chateaulin) sont les héros. La tradition africaine a inspiré la fondation d'une assemblée des sages, composée des anciens qui passent pour des spécialistes du conflit de voisinage. En Afrique, ce conseil intervient au pied de l'arbre à palabres.

Cette institution a été mise en place par Kofi Yamgnane, élu maire de Saint Coulitz en 1989. Il a créé ensuite en 1992 la Fédération des villes et conseils de sages.

Il décrit le fonctionnement du conseil ainsi : « Je les consultais pour avoir leur avis à chaque fois qu'une décision importante devait être prise. Ils pouvaient aussi accéder aux dossiers comme ils le souhaitaient. Budget, environnement, social... tout y passait. Quinze jours avant le conseil municipal, je leur donnais l'ordre du jour et ils pouvaient y ajouter des choses ».

Kofi Yamgnane, originaire du Togo, a été élu maire de Saint Coulitz en 1989, conseiller régional de Bretagne de 1992 à 1997, puis député socialiste du Finistère de 1997 à 2002. Il sera également ministre de l'intégration (1991-93), puis, à partir de novembre 2002, membre du Haut Conseil de la Coopération Internationale.

Depuis, près de 200 communes françaises auraient suivi cet exemple et institué un conseil des sages dont le rôle est consultatif.

Martine Cocaud – CERHIO – UHB Rennes 2

Martine Cocaud

Transcription

Françoise Séloron
Mais alors, pour un breton bretonnant, voir arriver dans cette commune-là à la tête de la mairie quelqu’un qui est d’une toute autre culture…
Intervenant
Non, je pense qu’on a beaucoup de points communs, c’est comme moi un aculturel.
Françoise Séloron
C’est-à-dire ?
Intervenant
Nous avons subi la même oppression et la même élimination, le même effacement de notre identité. Il vient d’Afrique Centrale, du Togo, et nous, nous sommes les reliefs de la Celtie. Enfin, il y avait, il y a encore 3 générations, 2 générations, ici on ne parlait que breton. Il n’y avait que l’instituteur enfin, qui était nommé en 1880-1890, le premier instituteur qui a parlé français !
Kofi Yamgnane
Le premier ?
Intervenant
Le premier, il n’y avait personne qui parlait français. Sinon, à la fin du siècle dernier, la commune était totalement bretonnante. Et aujourd’hui, les jeunes de moins de 30 ans ne connaissent pas un mot de breton.
Françoise Séloron
Alors, vous vous sentez finalement proche de lui, parce qu’exclu un peu ?
Intervenant
Je pense qu’il est plus intégré que moi, enfin, qu’il est plus Français que moi. Mais bien que, qu’on s’aide à réfléchir après son élection. Il y a eu quand même des dizaines de lettres d’insultes, ce qui fait qu’il a, s’est peut-être posé quelques questions, enfin disons, son identité française est devenue peut-être problématique alors que ça ne posait aucun problème jusqu’à présent. Enfin, il faut dire qu’il était socialement bien intégré. Mais on l’a élu certainement parce qu’il était un spécialiste des ponts et des chaussées, et dans une petite commune, avoir un tel spécialiste, enfin un ingénieur, c’est… Quand on connaît le, le pourcentage des investissements qui vont pour les fossés, les buses dans une petite commune, c’est, il était tout désigné. Mais s’il y avait une dizaine d’ouvriers togolais, il n’aurait pas été certainement élu. Et je pense qu’il a même été élu avec des voix racistes, pour dire, je peux vous le dire oui.
Françoise Séloron
C’est-à-dire ?
Intervenant
Je pense que c’est clair ! Je pense que, enfin, quand on a reçu ici Harlem Désir, les gens ont manifesté, je devrais pas le dire ! Vous trouvez ça déplacé ! Un petit bourgeois noir, c’est très bien, même de gauche mais disons, des émigrés, enfin des arabes c’est pas bien !
Françoise Séloron
C’est vrai que c’est quand même aussi tout à fait exceptionnel dans cette situation que vous vivez, c’est que dans ce village, enfin dans cette partie-là de la Bretagne, il y a très peu d’immigrés. Enfin, il y en a pratiquement pas. Ce qui vous donne un statut tout à fait particulier d’immigré idéal qui se serait intégré complètement. Et peut-être que ce statut, puisque maintenant de toute façon, vous êtes Français à part entière, ça vous ennuie un peu ?
Kofi Yamgnane
Disons que effectivement, il y a très peu d’immigrés en Bretagne en général. Et à Saint-Coulitz en particulier, alors là ! Euh moi, quand j’étais étranger, jusqu’en 75, j’étais le seul immigré de Saint-Coulitz. A partir de 75, je suis devenu Français, donc il n’y en a plus aucun. Bien, mais les gens qui font de moi un immigré idéal, je crois que là, il y a quelque chose qu’il faut bien qu’ils se disent hein ! Il ne faut pas se tromper, être ingénieur des Ponts, ça place son homme hein, il ne faut pas non plus… J’aurais été balayeur ou étripeur de poulets chez Doux, Doux c’est la grosse entreprise ici qui abat des poulets, qui abat un million et demi de poulets par jour, qui a beaucoup de, qui a quelques travailleurs turcs. J’aurais été étripeur de poulets chez Doux, jamais j’aurais été élu Maire de Saint-Coulitz, jamais de la vie ! Par contre, un ingénieur, à la DDE, c’est quand même quelque chose ! Les permis de construire, ça passe par lui, les certificats d’urbanisme, ça passe par lui, les demandes de subventions, les prêts, les PELA, les APL, les BAP et puis je sais pas encore ! Tout ça, il sait guider les dossiers, il sait les manier, c’est facile, donc tout ça a aidé hein ! Tout ça a aidé donc, il faut, il faut faire attention quand on parle d’immigré idéal. Et le fait que je sois instruit à l’école française, que je sois colonisé à un point tel qu’actuellement, je réfléchis en français. Quand je vais au Togo, je réfléchis en français et je traduis ensuite dans ma langue maternelle ! Vous voyez, jusqu’à où ça peut aller ! J’ai fait, j’ai appris le latin, le grec. Je sais servir la messe, j’étais, enfin je suis chrétien, enfin catholique baptisé, en règle, avec ma communion, confirmé, tout ce qu’on veut. Je connais Racine, La Fontaine comme le Français moyen. J’ai fait des études d’ingénieur comme le Français ordinaire. J’ai complètement épousé cette culture. Les gens qui m’utilisent en disant : Moi, je vais chez Kofi tous les jours, donc je ne suis pas raciste, non. Ce n’est pas un argument. Très honnêtement, quel risque prennent-ils ces gens-là à me fréquenter, en-dehors du fait que j’ai la peau noire, il n’y a pas beaucoup de différences entre eux et moi.