Parcours thématique

La Bretagne dans la guerre

Fabien Lostec et François Lambert

Introduction

" Les passions, en Bretagne, sont fortes. Il a fallu des années pour cicatriser, vaille que vaille, les blessures de l'Occupation ". Par ces quelques mots de Pierre-Jakez Hélias, voici résumé le sentiment dominant dans la région de longues années après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pour autant, toutes les cicatrices sont-elles refermées aujourd'hui ?

De 1939 à 1945, la Bretagne est occupée pour la première fois de son histoire depuis son rattachement à la France. Région stratégique par sa situation maritime à la pointe occidentale du continent et pierre angulaire de la zone côtière du nord-ouest du pays, la Bretagne est soumise à une occupation bien plus pesante que dans beaucoup d'autres régions. Plus l'on se rapproche du littoral, plus les troupes allemandes sont denses, attachées à la surveillance des côtes mais aussi à la construction du mur de l'Atlantique à partir de 1942. De plus, l'intérêt militaire de la région pour les Alliés et la Résistance est incontestable, étant à la fois un point de débarquement pour les agents de la France Libre et de l'Intelligence Service et une région abritant de nombreux réseaux d'évasion d'aviateurs alliés. S'il convient bien entendu d'intégrer le plus grand compte de ces particularités dans l'étude de la Bretagne sous domination allemande, il est également nécessaire de mettre en avant un certain nombre de caractéristiques perceptibles dès les années 1930 et qui influencent son destin durant les "années noires".

Tout d'abord, les conséquences de la Grande Guerre. Les nombreuses pertes en hommes dues au premier conflit mondial expliquent la diminution du nombre de naissances, qui provoque une stagnation de la population durant l'entre-deux-guerres. À cette époque, la région vit au rythme des activités du monde rural. Composée de petites exploitations peu dynamiques, l'agriculture emploie en effet plus de la moitié de la population active. À l'image de l'agriculture, l'industrie est peu modernisée. Si la province ne reste pas à l'écart du progrès, seules l'industrie agro-alimentaire, la pêche et la construction navale reflètent un dynamisme endogène. Mais ce n’est autre que le tourisme qui est le principal vecteur de modernisation de la région. Chaque été, depuis la création des congés payés, la Bretagne accueille des centaines de milliers de vacanciers, ce qui nécessite la construction de nombreux équipements.

La société bretonne hésite donc entre archaïsme et modernité, comme en témoigne également le sentiment religieux. Car si l'Eglise continue d'encadrer solidement la société, les prémices d'une déchristianisation se ressentent dans les ports et à l'intérieur de la région. Conformément à sa situation économique, sociale et culturelle, la Bretagne des années 1930 vote massivement à droite, à l'exception notable de quelques pays comme le Trégor ou la Haute-Cornouaille. En 1936, malgré la bonne structuration des partis de gauche, le Front populaire est rejeté lors des élections législatives. Bien implanté chez les cheminots, les marins, les dockers et les salariés de grandes entreprises, le PCF est a contrario pratiquement absent dans le monde rural. Logiquement, la syndicalisation est très forte dans les arsenaux, les ports, les entreprises métallurgiques ou dans l'industrie de la chaussure. Quant aux campagnes, elles se démarquent avec un syndicalisme refusant la lutte des classes et rassemblant grands propriétaires et petits exploitants.

Mais si la Bretagne est une région de contrastes à la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’est-elle également durant l'Occupation ?

La Bretagne dans la guerre : une région stratégique

La guerre est déclenchée le 1er septembre 1939. Comme le reste du pays, la Bretagne est alors touchée par l'ordre de mobilisation générale. L'inquiétude est grande et les souvenirs de la Première Guerre mondiale ressurgissent. Entre les plus jeunes poilus qui sont de nouveau appelés au combat et les fils d’anciens combattants, la mobilisation est résignée. Dans la Sarre, théâtre des premières opérations militaires, la 21e DI, habituellement cantonnée en Bretagne, est en première ligne. Mais c'est surtout la Marine qui compte un grand nombre de soldats de la région. Ils participent notamment à la campagne de Norvège qui cherche à couper l'approvisionnement du Reich en minerai de fer. Toutefois, jusqu'en mai 1940, aucune opération ou presque n'a lieu sur le front franco-allemand : c’est la " drôle de guerre ". La période est si calme qu'en novembre 1939, le président de l'Union nationale des combattants de Lorient demande et obtient des binious et des bombardes pour distraire les soldats.

Pensant qu'une nouvelle guerre contre l'Allemagne se déroulerait selon les mêmes schémas qu'en 14-18, les autorités préfèrent évacuer le nord et l'est de la France. Dès septembre 1939, une première vague de réfugiés arrive donc en Bretagne, venant rompre l’attente dans laquelle les habitants restés au "pays" se sont installés. Plus de 125 000 personnes arrivent ainsi dans les Côtes-du-Nord, avec pour principale conséquence un bouleversement du peuplement des communes, surtout dans les villes et les stations balnéaires. Cette évacuation entraîne aussi une migration des portefeuilles, accélérant l'augmentation des prix commencée en 1936. À l'inverse des citadins déjà touchés par l'inflation, les producteurs ne se plaignent pas de cette situation. En définitive, de septembre 1939 à mai 1940, les effets de la guerre désorganisent quelque peu la vie quotidienne mais l'adaptation se fait sans dommage majeur.

Le 10 mai 1940, les troupes allemandes déclenchent la "guerre-éclair". En six semaines, l'armée française est mise en déroute et l'armistice finalement demandé. Une nouvelle vague de réfugiés, bien plus massive que la première, déferle alors sur la Bretagne. En l'espace de dix jours, du 10 au 20 juin, le Morbihan reçoit plus de 130 000 personnes, ce qui pose des problèmes de ravitaillement, de logement et de soins médicaux. Le ravitaillement alimentaire s'organise toutefois comme à Rennes où 26 000 repas par jour sont servis pendant les trois semaines les plus chargées de l'exode. Un effort important est également fait pour le logement. Des maisons de particuliers, des salles de classe ou de cinéma sont mises à disposition, des baraques sont construites comme à Hennebont. Mais les installations sont sommaires et l'assistance médicale insuffisante, notamment pour les femmes et les enfants qui forment la majorité des réfugiés. Le tiers d’entre eux proviennent de la région parisienne. Ils bénéficient d'attaches familiales et espèrent profiter d'une région supposée riche en ravitaillement. Les réfugiés représentent alors le quart de la population bretonne – plus de 750 000 personnes –, inégalement répartis cependant : les nœuds ferroviaires et les stations balnéaires sont plus particulièrement concernés. Une nouvelle fois, les nouveaux arrivants exercent une forte pression économique qui se manifeste par l'augmentation du prix des locations ou encore des tirages de journaux. C'est dans ce climat que le général de Gaulle, alors sous-secrétaire d'État à la Guerre, se rend à Rennes le 12 juin 1940. Il y préside une conférence visant à l'organisation d'une ligne de défense armoricaine. Mais on prévoit alors trois mois de travail et la mobilisation de 25 000 ouvriers : le projet est vite abandonné. Dès le mois d'août 1940, les réfugiés sont autorisés à rentrer chez eux par vagues successives. De plus de 150 000 à la mi-juillet 1940, le nombre de réfugiés dans le Morbihan n’est plus que de 7 200 à la fin du mois de septembre. Parallèlement à cet exil, la Bretagne enregistre ses premiers départs vers l'Angleterre afin de fuir puis résister à l'occupant.

Le 17 juin 1940, la Wehrmacht pénètre en Bretagne par la ville de Fougères. Le 18, elle est à Rennes, le lendemain à Brest. A la veille de l'armistice, toute la Bretagne est occupée. Des bombardements ont précédé l'arrivée de l'infanterie allemande, comme celui qui touche le quartier de la gare rennaise le 17 juin 1940. Entre 1 600 et 2 000 personnes sont tuées sans compter les nombreux blessés. L'administration militaire des vainqueurs s'installe ensuite tranquillement. Pendant que les Feldkommandanturen remplacent les préfectures et que les Kreiskommandanturen s’installent en lieu et place des sous-préfectures, la Kriegsmarine prend possession des ports de Saint-Nazaire, Lorient et Brest, bases hyper stratégiques dans la bataille de l'Atlantique et le projet d'invasion du Royaume-Uni. Durant ces premiers temps de l’Occupation, la Wehrmacht est décrite par l'administration française comme une armée "korrekt". Mais cette façade ne doit pas masquer la réalité qui voit très vite les Allemands condamner à mort des résistants et exécuter des otages. Le 17 septembre 1940, le mécanicien Marcel Brossier est exécuté à Rennes : c’est le premier fusillé de Bretagne pour des actes de Résistance.

Parallèlement à l'installation des troupes allemandes, des milliers de Bretons mobilisés sont faits prisonniers. D'abord regroupés dans des camps situés sur le front (les Frontstalag) comme ceux de Quimper, Rennes ou Savenay, ils sont progressivement dirigés vers l'Allemagne après l'été 1940. Les prisonniers sont alors divisés entre Oflags (pour les officiers) et Stalags (pour les sous-officiers et les soldats). Dans les Côtes-du-Nord, ils représentent environ 10 % de la population active masculine (environ 27 000 prisonniers sur 60 000 mobilisés). Ils sont environ 30 000 en Ille-et-Vilaine et dans le Finistère, 35 000 dans le Morbihan et 15 000 en Loire-Inférieure. Au total, les prisonniers bretons peuvent être estimés à 137 000 hommes.

 François-Louis Le Berre raconte les tentatives d'évasions

François-Louis Le Berre raconte les tentatives d'évasions

François-Louis Le Berre, officier fait prisonnier en Allemagne durant la Seconde Guerre mondiale, raconte comment se déroulaient les tentatives d'évasion du camp, quels étaient les risques et les punitions pour ceux, nombreux, qui étaient découverts.

01 oct 1989
02m 41s

Malgré son éloignement de la frontière franco-allemande, la Bretagne est donc très rapidement occupée, provoquant la surprise et le désarroi de la population. À cause de sa situation stratégique, elle est l'objet de toute l'attention des occupants, comme en témoigne la forte densité des troupes allemandes ou encore la création d'une zone côtière interdite. Stratégique, la région l'est également pour des raisons économiques.

La mobilisation de septembre 1939 puis la débâcle de 1940 désorganisent fortement l'économie bretonne. Le trafic portuaire s'effondre et la pêche est fortement limitée par l'occupant, surtout à la suite des premières évasions s'effectuant depuis la côte nord de la région. La division de la France en plusieurs zones provoque qui plus est la perturbation des courants commerciaux traditionnels. Les Allemands débutent alors un véritable pillage de l'économie. Dès l'été 1940, ils ordonnent de recenser toutes les entreprises afin d'en évaluer le potentiel. À cet instant, beaucoup de PME et d'entreprises familiales sont frappées par la crise et ferment, ce qui provoque une augmentation du chômage. Toutefois, certaines profitent du train de vie et des commandes de guerre de l'occupant, à l'instar des usines métallurgiques Tanvez à Guingamp. Les Allemands font également flamber les prix grâce à un mark surévalué. Comme le reste du pays, la Bretagne connaît une pénurie de charbon dès le début de l'Occupation. Les livraisons qui arrivaient d'Angleterre et du Nord-Pas-de-Calais s'interrompent et les stocks diminuent à vue d'œil. Dans les Côtes-du-Nord par exemple, durant les quatre années de l’Occupation, les livraisons de charbon ne dépassent que quatre fois le contingent mensuel fixé à 4 000 puis 3 000 tonnes. Les usines, les artisans et les familles sont donc durement frappés.

Si la situation économique ne cesse de se dégrader tout au long de la guerre, dans certains départements, le chômage qui sévissait au début de l'Occupation est résorbé par la présence de chantiers allemands. À peine la région occupée, les vainqueurs décident en effet de construire des bases sous-marines, de fortifier les ports de guerre et d'agrandir les aérodromes.

 Les Allemands contribuent au redressement du pays

Les Allemands contribuent au redressement du pays

Les Allemands interviennent sur les zones sinistrées par les bombardements anglais, notamment à Lorient, incendiée. L'organisation allemande prend en charge la reconstruction du pays et, selon le commentateur, "contribue au relèvement de la France".

07 aoû 1940
01m 53s

Les patrons et les agriculteurs bretons dénoncent les salaires pratiqués par les Allemands qui peuvent être jusqu'à trois fois supérieurs à ceux pratiqués avant la guerre. La Wehrmacht devient alors le premier employeur dans la région, créant, dès le printemps 1941, une pénurie de main-d'œuvre masculine et féminine. De fait, ce besoin en travailleurs provoque l’échec de la politique de Vichy, qui cherchait à renvoyer les femmes mariées dans leur foyer. Ainsi, à l'été 1941, il ne reste que 48 chômeurs déclarés dans les Côtes-du-Nord. Partout en Bretagne, le secteur des travaux publics a une activité impressionnante, surtout à compter d'août 1942, lorsqu'Hitler décide de construire le mur de l'Atlantique. L'organisation Todt demande alors toujours plus d'ouvriers.

 Défense de la côte de la Manche

Défense de la côte de la Manche

Des contingents de soldats allemands, venus du front de l'Est, se sont installés sur les côtes de la Manche. Un dispositif de protection côtière a ainsi été déployé, afin de contrer toute tentative anglo-américaine de débarquement.

07 aoû 1942
03m 55s

La perturbation de l’économie régionale s’explique aussi par les attentes toujours plus importantes de l’occupant, incitant les travailleurs à partir travailler outre-Rhin. Cependant, qu'il s'agisse de la Relève (échange d'un prisonnier français contre trois travailleurs volontaires en Allemagne de l’été à la fin 1942) ou des opérations Sauckel (la première date de septembre 1942 et la seconde de janvier 1943), les Bretons refusent d’aller travailler volontairement en Allemagne et ce malgré une intense propagande mettant en exergue l’importance des salaires qui y sont pratiqués. Ils sont seulement 1 100 (dont plus d’un tiers de femmes) à partir de leur plein gré de 1940 à août 1942. Face à cet échec, les occupants commencent à prélever des hommes par la force. Avec l'instauration du Service du travail obligatoire (STO) en février 1943, l'embauche locale connaît un certain regain, les jeunes cherchant à éviter le départ. Cette politique de prélèvement massif participe en outre au basculement de l'opinion en faveur de la Résistance. Mais elle est également un échec et oblige les Allemands à traquer les réfractaires, soit 4/5e des convoqués. Le 9 avril 1944, 200 personnes sont arrêtées et transférées à Saint-Brieuc. Certaines sont dirigées vers l'organisation Todt quand 28 autres sont envoyées en Allemagne.

La vie quotidienne sous l'Occupation

Pendant quatre ans, la forte densité des troupes d’occupation modifie le mode de vie des civils. Durant l'Occupation, les Bretons sont obsédés par l'accomplissement d'actes a priori banals en temps de paix : se nourrir, se vêtir, se chauffer et se déplacer. Résultat des difficultés économiques nées de la défaite, le rationnement est instauré dès l'automne 1940. Très vite, les rations alimentaires ne cessent de diminuer sur le marché officiel. La ration de viande passe en moyenne de 360 g à 120 g en 1943. Nettement moins pesantes en zone rurale que dans les grands centres urbains, les restrictions et les pénuries alimentaires sont dans tous les cas mal supportées par les populations qui, en temps ordinaire, vivent dans une région agricole exportatrice. D’autant que des impositions sur les produits agricoles sont établies. À destination des régions les moins agricoles de France et des occupants, ces réquisitions sont menées par le service du Ravitaillement général créé par le régime de Vichy. Mais elles sont rarement recouvertes auprès d’agriculteurs en difficultés ou qui préfèrent vendre leurs marchandises à un meilleur prix sur le marché noir.

L'État français, par l'intermédiaire de ses œuvres sociales et du Secours national, s'efforce alors de soulager les difficultés quotidiennes des populations confrontées à une flambée continue des prix.

 Collecte d'oeufs dans les Côtes du Nord

Collecte d'oeufs dans les Côtes du Nord

A l'occasion de Pâques, une collecte d'œufs a été organisée par le Secours National, au profit des enfants de prisonniers et des sinistrés. Les écoliers des Côtes du Nord se sont mobilisés. Ils ont ainsi ramassé dans les fermes 500 000 œufs.

30 avr 1943
53s

La propagande de l'État Français tente de montrer l'efficacité des collectes de produits agricoles, notamment des œufs. Tout du moins, cette séquence datée d'avril 1943 montre la générosité et la solidarité des paysans bretons à l'égard des enfants de prisonniers et de sinistrés. Mêlant compassion et humour, le journaliste, en accord avec le discours officiel de Vichy, développe l'image d'un monde rural idyllique, regorgeant de denrées au service de la population citadine. Mais la réalité est autre : dès la fin de l'année 1940, les collectes en produits agricoles sont très difficiles dans la région. L'administration française est inefficace pour approvisionner convenablement le marché officiel et enrayer le marché noir. En 1943-1944, certaines communes des Côtes-du-Nord boycottent même les réquisitions. Un esprit de résistance se développe et contraint les occupants à prendre en charge la répression des producteurs défaillants. Pour survivre, les ménages bretons sont contraints de pratiquer le marché "gris", c'est-à-dire qu’ils achètent « sous le manteau » des produits pour leur consommation familiale. La pénurie n'est pas limitée à l'alimentation : tous les domaines de la consommation et de la production sont concernés. Les vêtements, le carburant ou, nous l’avons vu, le charbon sont rares ; les coupures d'électricité quotidiennes.

La présence massive des vainqueurs ainsi que leurs impositions modifient donc en profondeur la vie des populations. L'espace et le temps sont sous la tutelle allemande : personne ne peut échapper à la présence physique des occupants dans les rues, les horloges marquent l'heure allemande – en avance d'une heure sur l'heure française –, les populations doivent respecter un couvre feu alourdi au moindre incident, des laissez-passer – les fameux Ausweis – sont indispensables pour circuler et une zone interdite, large d'une dizaine de kilomètres le long du littoral, est instaurée. Ces entraves n'empêchent pas la pratique de loisirs. Malgré la censure pratiquée par l'État français, l'affluence dans les cinémas et théâtres bretons est en effet très forte, à l'exception des séances projetant des films de propagande allemande. Durant quelques heures, la population y oublie la guerre et se réchauffe en hiver. De la même manière, la pratique sportive s’intensifie. Instrument de la Révolution nationale et du régime nazi, elle bénéficie des rares subventions de l'État, permettant ainsi aux municipalités bretonnes de s'équiper en matériel. Le football, le cross-country, l'athlétisme et le cyclisme sont alors les sports les plus en vogue. Moins que le signe d’une adhésion à la propagande gouvernementale, ce regain de l'activité sportive manifeste une volonté de se distraire et de s'extraire provisoirement d'un présent difficile. Par ailleurs, les bals nocturnes prouvent que la législation de Vichy n'explique pas tout en matière de loisirs : interdits par la loi de 1940, ils sont innombrables dans la région tout au long de l'Occupation.

Progressivement, l'insécurité s'accroît. Elle est tout d'abord entretenue par l'occupant : l'essor des actions résistantes provoque un durcissement de sa répression à l'égard des opposants et, de manière plus large, des civils (pillage des propriétés, emprisonnements, viols et exécutions). Il n’en reste pas moins que les principaux dirigeants des partis collaborationnistes, les membres trop zélés des forces de l'ordre, des commerçants ou des paysans qui profitent de l’Occupation pour s’enrichir entrent clairement dans la ligne de mire des patriotes. Un activisme qui provoque parfois des accrochages avec les populations locales.

Une autre source d'inquiétude pour les civils réside dans les bombardements des Alliés. L'aviation britannique, rejointe en 1942 par l'aviation américaine, cible en effet des installations vitales pour l'armée allemande (voies de communication, garnisons, bases sous-marines, instruments de défense). La guerre a également lieu dans le ciel, non sans conséquences sur la vie des Bretons.

 Remerciements du Capitaine Goering

Remerciements du Capitaine Goering

Sur la demande du Maréchal Goering, une cérémonie présidée par son neveu le Capitaine Goering est organisée à Vannes en l'honneur de deux morbihannaises qui ont sauvé quatre aviateurs allemands de la mort.

02 jan 1942
34s

À partir du printemps 1943, les Alliés augmentent fortement la cadence des raids aériens, notamment dans les régions côtières de la Manche et les principales villes de la région.

 Rennes après le bombardement

Rennes après le bombardement

La ville de Rennes, en deuil, rend hommage aux victimes du bombardement dévastateur de l'aviation américaine. Le ministre Pierre Cathala, représentant du gouvernement, prononce un discours dans lequel il apporte son soutien à la ville et aux Rennais.

08 mar 1943
02m 43s

Ainsi, les Malouins connaissent les premières alertes de bombardements alliés en 1942. En 1943, ce sont les infrastructures ferroviaires et les installations militaires de Rennes qui sont visées. En mars par exemple, les bombes entraînent de nombreuses destructions dans le quartier de la gare et la rue Saint-Hélier, faisant plusieurs centaines de victimes, dont de nombreux enfants. La même année, les habitants de Lorient et de Saint-Nazaire sont évacués quand les deux villes sont durement pilonnées par les Alliés afin de détruire les bases sous-marines allemandes. En septembre 1943, consécutivement à plusieurs bombardements sur la cité nantaise, on compte 1 463 tués et environ 2 500 blessés. Malgré le désespoir et le traumatisme des pertes humaines et matérielles, ces raids aériens demeurent pour beaucoup le signe de la supériorité militaire des Britanniques et des Américains et donc d'une libération future. En 1944, lorsque les bombardements s'intensifient encore, l’opinion publique est partagée entre un soutien aux Alliés et à la Résistance et l'angoisse des combats à venir. Jamais cependant ils ne font basculer la population du côté de la Collaboration.

Une Bretagne allemande ? La collaboration

Alors que le gouvernement de Vichy n'autorise aucun parti politique, l'administration allemande souscrit à l'existence de ceux favorables à la Collaboration.

En Bretagne, le plus dynamique et le plus important des partis collaborationnistes n'est autre que le Parti national breton (PNB). Même s'il convient de noter que certains membres du PNB ont refusé tout rapprochement avec l’occupant et ont même gagné la Résistance, le plus grand nombre était en adéquation avec les thèses collaborationnistes. Dissous à la veille de la guerre, ce dernier est reconstitué au début de l'Occupation. En 1940, de retour d'Allemagne, Olier Mordrel et Fransez Debauvais pensent en effet pouvoir proclamer l'indépendance de la Bretagne et créer un état national inspiré du national-socialisme. Le PNB se situe clairement à l'extrême-droite du mouvement breton (Emsav) et compte entre 200 et 300 adhérents à la fin de l'année 1940, entre 1 200 et 2 000 une année plus tard. Mais ses propositions sont finalement rejetées par von Ribbentrop qui reste prudent au lendemain de l'entrevue de Montoire du 24 octobre 1940 : Vichy a l'appui d'Hitler et il est préférable de contrôler totalement la Bretagne. Surtout que les Allemands constatent que la propagande des nationalistes n'a qu'un faible écho dans la province, notamment car le mouvement est condamné par l'Eglise. Quelque temps plus tard, Olier Mordrel démissionne et est remplacé par Raymond Delaporte, un militant indépendantiste catholique, plus modéré. Dès son arrivée à la tête du parti, il se montre beaucoup plus ouvert à l'égard du gouvernement de Vichy. Pour autant, le pronazisme s'exprime toujours davantage au cœur du mouvement, à l'image de Morvan Marchal et de sa revue Nemeton, ouvertement antisémite et en totale adéquation avec le projet d'" Europe nouvelle " souhaité par Hitler. Dans cette lignée, une poignée de jeunes fanatiques de la " foi celtique " suivent Célestin Lainé, qui fonde en décembre 1943 le Bezen Perrot, du nom de l'abbé de Scrignac exécuté par le maquis. Cette milice a pour objectif de préparer la future armée bretonne, qui serait indépendante au sein de l'Europe nazie. Les hommes du Bezen Perrot (80 maximum) sont vêtus de la tenue des Waffen SS à partir de mars 1944 et vont jusqu'au bout d'un collaborationnisme militaire avec le IIIe Reich, notamment dans la lutte contre les maquis bretons.

Les partis collaborationnistes au rayonnement national sont également présents en Bretagne. Leurs principaux ennemis sont les démocraties anglo-saxonnes, les communistes, les Juifs et les francs-maçons qui, selon-eux, demeurent insuffisamment attaqués par l’État français. Soutiens de l'" Ordre nouveau ", ces groupements sont également rejetés par la population et demeurent à l'état groupusculaire. En 1942, le préfet des Côtes-du-Nord constate que l' "immense majorité de la population continue à se désintéresser des nouveaux partis, bien que ceux-ci s'efforcent d'intensifier leur propagande".

En réalité, certains ne sont pas nouveaux, à l’image du parti franciste fondé en septembre 1933 par Marcel Bucard. En juin 1936, il est réduit à la clandestinité, toutes les ligues d'extrême-droite ayant été dissoutes. Le parti franciste créé en 1941 est donc l'ultime avatar d’un mouvement plus ancien, dont l'idéologie est calquée sur celle de l'Italie fasciste. À son apogée, il compte environ 8 000 adhérents dans toute la France. En Bretagne, il ne réussit pas réellement à s'imposer. Ses membres sont une centaine dans le Morbihan, une soixantaine en Ille-et-Vilaine et un peu plus de dix dans les Côtes-du-Nord. Au fil des années d'Occupation, la formation de Marcel Bucard recrute de plus en plus parmi la petite bourgeoisie, les manœuvres, voire les déclassés.

Le Parti Populaire Français (PPF) est quant à lui créé en juin 1936 par Jacques Doriot. Mais, troublé par le pacte de non-agression germano-soviétique du mois d'août 1939, il n’est actif que quelques mois après le début de l’Occupation en Bretagne. La section des Côtes-du-Nord ne réapparaît par exemple qu'en juin 1941, concomitamment à l'attaque de l'URSS par l'Allemagne. Les lignes paraissant alors plus claires, toute la verve doriotiste peut à nouveau se répandre. Très structuré, le parti s'appuie largement sur ses militants d'avant-guerre mais fait également des efforts pour créer de nouvelles sections. Cette ouverture s'effectue surtout en direction des classes populaires, principal vivier du parti. À l'été 1943, le PPF compte une soixantaine de membres dans le Finistère et 50 dans les Côtes-du-Nord. En Ille-et-Vilaine, il est surtout actif à Saint-Malo. C’est la section malouine qui organise la venue de Doriot à Rennes le 19 avril 1942. Le théâtre de la ville est alors rempli et 4 à 5 000 personnes sont rassemblées sur la place de la Mairie afin d'entendre la retransmission du discours du chef. L’ancien communiste est alors la cible d’un attentat organisé par l'OS (Organisation spéciale) et les FTP (Francs-tireurs et partisans). Il en sort indemne et, après sa visite, une section est même fondée à Rennes. Quelques mois plus tard, le PPF d'Ille-et-Vilaine n’est néanmoins composé que d'une soixantaine de membres. Comme leurs camarades des autres départements, ses membres provoquent cependant de nombreuses arrestations de Juifs et de résistants, faisant ainsi du PPF une véritable police supplétive des forces allemandes.

Des partis sont également créés sous l'Occupation. Parmi eux figure le groupe Collaboration, fondé en 1940 par Alphonse de Châteaubriant, qui souhaite s'étendre à tous les grands secteurs intellectuels, artistiques, scientifiques et économiques. De plus en plus officieux au fil des années, il se situe, d'après les mots d'Yves Durand, " à la charnière du pétainisme et du collaborationnisme ". Son activité se limite souvent à la diffusion de la propagande maréchaliste et à l'aide aux familles sinistrées. En Bretagne, son influence est très variable. Quand il compte une trentaine d'adhérents en Ille-et-Vilaine, ils sont plus de 1 000 en Loire-Inférieure en 1942 et environ 300 dans les Côtes-du-Nord, dont la moitié à Saint-Brieuc. Ses adhérents sont principalement issus de la classe moyenne et commerçante et des milieux de la droite bien-pensante.

Si le Mouvement Social Révolutionnaire (MSR) d’Eugène Deloncle, un ancien cagoulard est relativement faible en Bretagne, le Rassemblement National Populaire (RNP) de Marcel Déat séduit par contre davantage de Bretons. Des sections s'implantent un peu partout dans la région comme celle de Saint-Brieuc qui rassemble quelque 68 membres. Dans le Finistère, le RNP compte même 300 adhérents en 1941. Mais, par la suite, l’organisation a bien du mal à les conserver. Le MSR et le RNP souhaitent être à la base d'un parti unique à l'image de ce qui se fait dans les dictatures voisines, mais cette idée se heurte à l'opposition de Vichy et n'est pas soutenue par les Allemands, qui profitent au maximum des divisions régnant dans les milieux collaborationnistes. En octobre 1941, la rupture est même consommée entre Déat et Deloncle. La section briochine du RNP est alors absorbée par celle du MSR et, un an plus tard, qu'il s'agisse des Côtes-du-Nord ou de l'Ille-et-Vilaine, les adhérents de ce parti trop inactif finissent par rejoindre le mouvement de Jacques Doriot. On le constate, la concurrence est rude entre des partis qui se battent pour un nombre de militants finalement très réduit.

Parmi les organismes collaborationnistes présents en Bretagne, il faut aussi compter sur ceux qui ont un caractère militaire. Il s'agit soit de lutter sur le front de l'Est, soit en France contre les résistants. La Légion des Volontaires Français contre le bolchévisme (LVF) est l'un d'entre eux. Fondée en juillet 1941 sur une idée de Jacques Doriot – dont le parti abrite également des « groupes d’action » destinés à la lutte armée –, et patronnée par Vichy, elle souhaite lutter contre la racine du mal occidental, le communisme, et sa mère-patrie, l'URSS. Pour ce faire, les légionnaires intègrent la Wehrmacht. En Bretagne, la LVF installe des bureaux dans toutes les villes mais son recrutement demeure relativement faible. Dans le Morbihan, seule une dizaine de personnes s'engagent. Ils sont une cinquantaine dans le Finistère et 70 en Ille-et-Vilaine. Dans les Côtes-du-Nord, la section est animée par un ancien officier de la Marine, Alfred Zeller d'Erquy, militant des Croix de Feu puis du PSF avant la guerre. Il commande des troupes sur le front russe entre septembre et décembre 1941. Si la lutte contre le communisme est la réelle motivation expliquant l'engagement des cadres de la LVF, il n'en est pas toujours de même pour ses soldats. Beaucoup sont des condamnés de droit commun qui s’engagent pour échapper à l’emprisonnement.

À partir de 1942, on assiste à une militarisation et une fascisation croissante du régime de Vichy qui doit faire face à une opinion qui soutient de plus en plus largement les résistants. L'apparition de la Milice française de Joseph Darnand au début de l’année 1943 témoigne de ce climat de plus en plus tendu. Issue du Service d'Ordre Légionnaire (SOL), elle n'apparaît à Rennes qu'en avril 1944. Elle est alors composée d'une quarantaine de membres pour l'ensemble de la Bretagne et d'une centaine à son apogée, quelques mois plus tard. Dirigée par di Costanzo, elle lutte contre les maquis et les FFI. L'autre milice, spécifique à la Bretagne, n'est autre que le Bezen Perrot évoqué plus haut.

Finalement, les collaborateurs ne représentent qu'un pourcentage inférieur à 0,20 % de la population régionale, même si ne sont ici recensés que les collaborateurs politiques et militaires. La prise en compte des dénonciateurs, des collaborateurs économiques et des collaboratrices sentimentales ferait à coup sûr augmenter dans des proportions loin d’être anecdotiques ce pourcentage. Parmi ces hommes et ces femmes qui ont opté pour la Collaboration, on compte essentiellement des employés, des commerçants, des chefs d'entreprise et des notables traditionnels. Au fil des années d'Occupation, les partis " collabo " perdent beaucoup de leurs adhérents, davantage vichyssois que collaborationnistes. Seuls demeurent les jusqu'au-boutistes souhaitant en découdre avec la Résistance.

Le collaborationnisme actif et militant est certes toujours resté marginal en Bretagne mais qu'en est-il de l'adhésion de la population à la Révolution nationale voulue par le maréchal Pétain ?

La Révolution Nationale en Bretagne : une opinion réceptive ?

Au début des années 1940, la Bretagne est encore dominée par les forces traditionnelles. Mise en place et lancée par le maréchal Pétain entre 1940-1942, la Révolution nationale prône la reconstruction d'une société sur des valeurs autoritaires et conservatrices. Comment cette Révolution s'applique-t-elle en Bretagne ? Quel accueil lui est réservé par la population ?

Après l'armistice du 22 juin 1940 et l'occupation de plus de la moitié du territoire français par les troupes allemandes, la IIIe République vacille. Le 10 juillet 1940, à l'exception de sept parlementaires finistériens, la quasi-totalité des élus bretons présents à Vichy votent les pleins pouvoirs au maréchal Pétain et donc la mort de celle que ses opposants appellent la " gueuse ". Comme les élites locales de droite ou de gauche se rallient majoritairement au nouveau régime, la mise en place de l'État français en Bretagne ne change pas fondamentalement le personnel politique dans les municipalités. Exception faite de quelques révocations (Brilleaud à Saint-Brieuc, Le Gorgeu à Brest, Gasnier-Duparc à Saint-Malo, La Chambre à Saint-Servan ou Hamard à Fougères) ou démissions (Pageot à Nantes, Svob à Lorient), la stabilité, voulue par les occupants, prévaut : en 1941, de quinze à vingt municipalités seulement sont remaniées en moyenne dans chaque département. Même constat concernant les commissions administratives qui remplacent les conseils généraux, composés de notables souvent acquis aux idéaux de la Révolution Nationale.

Nommés par Vichy, les préfets se caractérisent quant à eux par leur rapide rotation. En moyenne, ils ne demeurent à leur poste qu’un an. La Bretagne, qui est dirigée par un préfet de région, est alors limitée à quatre départements, à l’exclusion de la Loire-Inférieure. Cette Bretagne administrative ne correspond pas à la Bretagne historique, celle justement de l'Ancien Régime tant prôné par Vichy. L’histoire ne fait alors pas le poids face aux logiques administrative, policière et économique. La minorité de militants bretons nationalistes, séparatistes et antifrançais n'attend logiquement rien de Vichy. A contrario, les milieux régionalistes modérés recherchent la bienveillance du nouveau régime mais sont déçus par ce provincialisme de façade.

Exaltant le " Travail ", la " Famille " et la " Patrie ", le régime de Vichy tente de remodeler la société française grâce à une intense propagande. La Révolution nationale passe tout d'abord par le refus des conquêtes sociales de 1936 comme les 40 heures et les congés payés. Le Front populaire est en effet tenu comme responsable de la défaite. Également hostile au libéralisme, l'État français veut réorganiser les structures économiques du pays sur des assises corporatistes. Pour y parvenir, il interdit la grève dès novembre 1940 et dissout les confédérations syndicales ouvrières et patronales au profit de syndicats uniques (loi d'août 1942).

 Remise d'une Francisque au Maréchal Pétain

Remise d'une Francisque au Maréchal Pétain

Le Maréchal Pétain reçoit à Vichy une délégation d'ouvriers bretons qui lui remettent une francisque.

21 aoû 1942
38s

Cette séquence de culte au Maréchal est diffusée par l'intermédiaire de " France actualités ", société de production créée en 1942 grâce à des capitaux français et allemands. Cette coopération visant à soutenir l'appareil de propagande de l'État français illustre ainsi une collaboration de plus en plus marquée entre le régime de Vichy et les nazis. D'un point de vue technique, cette œuvre de communication politique est bien construite : le journaliste use de pédagogie et de persuasion, les différents plans sur Pétain et les symboles du régime (sept étoiles du Maréchal, francisque...) s'enchaînent astucieusement. D'un point de vue historique, la manipulation est manifeste : cette " dévotion " d'ouvriers bretons à Pétain ne correspond pas à l'état d'esprit des travailleurs dans la région. En effet, en août 1942, il n'y a aucune adhésion du monde ouvrier breton à la politique de Vichy. Malgré la suppression des confédérations syndicales en 1940, le syndicalisme poursuit localement ses missions et sa représentation des travailleurs jusqu'en 1942. De plus, il ne semble pas que des syndicats ouvriers uniques aient été constitués ou, s'ils l'ont été, aient eu une influence réelle dans la région. De même, exception faite de quelques cadres de la Confédération générale du travail (CGT) ou de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), les ouvriers se désintéressent de la Charte du travail d'octobre 1941. Le patronat fait lui-même de plus en plus preuve d'inertie. Enfin, la mise en place de la Relève par Laval en juin 1942 est massivement rejetée par le monde ouvrier.

Exaltant le retour à la terre qui " ne ment pas ", l'État français parvient par contre à capter pour un temps l'adhésion du monde agricole breton. La Corporation paysanne est ainsi créée dès décembre 1940 en Bretagne, s’appuyant sur une idéologie corporatiste déjà présente dans le monde agricole. C'est d'ailleurs un Breton, Hervé Budes de Guébriant (président de l'Office central de Landerneau) qui dirige la commission nationale chargée du passage de l'organisation professionnelle à l'organisation corporatiste. À l'échelle locale, ce dernier se fait relativement facilement. Le contexte de pénurie peut aussi expliquer cette adhésion à la logique corporatiste : les agriculteurs sont convaincus que sans un contrôle efficace de toutes les chaînes de production, le ravitaillement ne peut être assuré. Ce ralliement ne fait cependant pas long feu dans une région pillée par l'occupant. À partir de 1942-1943, les difficultés économiques, la mise en place du STO (visant aussi les enfants d'agriculteurs) et les réquisitions allemandes provoquent chez beaucoup de paysans bretons une désaffection profonde à l'égard de la Révolution nationale.

La " famille " est le second thème fondamental de l'idéologie vichyste. Cherchant à fonder un nouvel ordre moral, les mesures en faveur de la famille (politique nataliste et d'assistance, criminalisation de l'adultère pour les femmes de prisonniers, de l'avortement en 1942...) et de la jeunesse (généralisation de la fête des mères, journée de solidarité, service civil...) n'ont que des effets limités à l'échelle de la Bretagne. Pourquoi cette politique ne remporte-t-elle pas un franc succès alors qu'il y a convergence de points de vue avec l'Église catholique, très présente dans la région ? Tout d'abord parce que la famille nombreuse prônée par Vichy est déjà très présente dans la région. Ensuite car la politique de l'État français qui consiste à conforter la position des écoles privées confessionnelles n’a que peu de conséquences dans une région où l'école privée était très puissante avant la guerre. Enfin parce que, souvent faute de crédits, les œuvres sociales du régime restent limitées en Bretagne. Elles ont pourtant une certaine audience dans une région frappée par la pénurie : un goûter du maréchal attire par exemple 500 jeunes à Saint-Brieuc en décembre 1941. Finalement, les tentatives d'encadrement des mouvements sont, pour la plupart, des échecs. Initialement acquise au régime, la hiérarchie catholique est donc plus prudente à compter de 1942, exception faite de quelques prélats tels que l'évêque Serrand dans les Côtes-du-Nord.

Au lieu de provoquer une opposition entre le régime de Vichy et l'occupant allemand, la référence à la " Patrie " est pensée par les idéologues de la Révolution nationale comme un levier permettant d'exclure certaines catégories de Français. La répression est aux mains des préfets, de la police et de la gendarmerie. Dès 1940, les Tsiganes de l'ouest de la France sont ainsi internés dans le camp de Choisel-Châteaubriant. La politique antisémite ne tarde pas non plus à faire ressentir ses premiers effets, alors que la communauté juive est peu nombreuse et peu organisée en Bretagne. Pour les cinq départements bretons, 1 920 Juifs sont recensés en octobre 1940 et 230 entreprises sont déclarées à " aryaniser " sur plus de 350 000 établissements au total. Lorsque le port de l'étoile jaune est imposé, la plupart des Juifs bretons partent en zone sud. Sur les 430 déportés depuis la région, plus de 95 % ne sont pas revenus des camps. Autre ennemi à traquer : la Résistance et notamment la Résistance communiste. Du printemps à l'été 1943, le Service de police anti-communiste de Vichy (SPAC) opère de multiples arrestations, décapitant la direction clandestine du Parti communiste (PC) en Bretagne. Vichy se fait de plus en plus l'auxiliaire zélé de la politique de persécution nazie. Exposés aux représailles menées par les résistants, la plupart des policiers et des gendarmes prennent alors leur distance avec le régime, certains fonctionnaires préférant même rejoindre le maquis.

Quel bilan peut-on donc tirer de l'application de la Révolution nationale en Bretagne ? On peut notamment le dresser en fonction des victimes de cette politique. Pour les cinq départements, 3 763 personnes sont déportées entre 1940 et 1944, dont la moitié n’est pas revenue. Concernant le nombre d'exécutions opérées par les Allemands dans la région, l'estimation avancée par les historiens est supérieure à 2 000 fusillés. À ces morts, il convient d’ajouter toutes les victimes d’autres formes de persécutions à l'œuvre durant la période.

Chemin faisant, la fissure entre l'opinion publique bretonne et le gouvernement de Vichy est visible dès 1941. Le " vent mauvais " dénoncé par Pétain le 12 août de cette même année souffle fort dans la région. En 1942, cette fissure se transforme en rupture : la propagande en faveur de la Révolution nationale et de la collaboration se révèle bien inefficace face aux réquisitions, aux difficultés quotidiennes et aux violences exercées à l’encontre des résistants.

La Résistance bretonne

En Bretagne comme dans beaucoup de régions de la zone occupée, les premiers actes de résistance sont des actes réflexes qui se situent en dehors de tout mot d'ordre. Ils manifestent une hostilité et une rage certaine devant la situation dans laquelle se trouve le pays mais sont le plus souvent sans lendemain. Ils peuvent prendre la forme de lacération d'affiches allemandes comme à Vannes le 14 juillet 1940, de sifflets lors des actualités cinématographiques ou encore de sabotages. C'est ce que Jacqueline Sainclivier appelle la Résistance a-organisationnelle. Certaines actions peuvent paraître puériles mais elles rappellent à la population que la guerre et l'Occupation ne sont pas acceptées par tous et que, même modestement, on peut agir.

Durant les mois qui suivent, les actes qui appartiennent à la Résistance a-organisationnelle tendent à disparaître au profit d'une Résistance pré-organisationnelle. Plus organisée et plus collective, cette forme de résistance est souvent liée à l'écoute de la BBC. C'est ainsi que lorsque le général de Gaulle demande aux Français de ne pas sortir de chez eux entre 15 heures et 16 heures le 1er janvier 1941, les rues bretonnes sont désertes. Dans le même esprit, les habitants sont nombreux à déposer des gerbes sur les monuments aux morts lors des commémorations (14 juillet, 11 novembre) et à participer aux enterrements d'aviateurs britanniques tombés sur le sol breton alors que toute manifestation est interdite. Annonçant une structuration à venir, la Résistance pré-organisationnelle s'oriente vers la propagande (réalisation de tracts ou de journaux clandestins), le renseignement, les sabotages, l'aide aux évasions de prisonniers de guerre ou la récupération d'armes.

La propagande et les sabotages sont alors surtout le fait de la Résistance communiste. Dissous en 1939, le Parti communiste français (PCF) tente de se réorganiser avec plus ou moins de succès, tentant de dépasser les obstacles de la désillusion et de la confusion idéologique. En Bretagne, une direction régionale clandestine est mise sur pied à l'été 1940. Dès lors, le PCF créé les premiers groupes armés de l’OS (Organisation spéciale) en octobre 1940 à Brest, en janvier 1941 à Rennes et en avril 1941 dans les Côtes-du-Nord, c'est-à-dire là où il était solidement implanté avant la guerre. Durant ces premières années d'Occupation, les communistes se distinguent également par la tactique des attentats individuels, comme à Nantes où, le 20 octobre 1941, le commandant allemand Hotz est exécuté. Ordre est alors donné par l’occupant de fusiller 50 otages. Le 22 octobre 1941, 48 personnes sont finalement exécutées dont 27 à Châteaubriant, la plupart communistes. Châteaubriant devient le symbole de la barbarie nazie et du martyre communiste.

 Obsèques à Nantes du lieutenant colonel Hotz

Obsèques à Nantes du lieutenant colonel Hotz

A Nantes sont célébrées les obsèques du lieutenant colonel Hotz, abattu lors d'un attentat. Selon le commentateur, la foule émue répond à l'allocution du Maréchal Pétain qui appelle les français "à se dresser contre les complots de l'étranger".

20 oct 1941
01m 06s

A-organisationnelle ou pré-organisationnelle, la Résistance bretonne se rôde dans les années 1940-1942. Elle prend réellement son essor en 1943 en se dotant de structures plus efficaces : des organismes communs sont créés et les liens avec Londres sont renforcés.

Premier élément à prendre en compte, le réseau. Un réseau est une organisation clandestine qui dépend d’un service secret d’un état-major allié (l’Intelligence Service par exemple) et qui va entretenir des liaisons dans les deux sens. Il ne peut pas survivre s’il n’a pas de liaisons directes avec le service secret et ne recherche pas un recrutement de masse : c’est une sorte de cellule secrète. Il peut avoir pour vocation le renseignement, l'évasion ou l'action, bien que les frontières permettant d'établir cette typologie soient extrêmement ténues. Au fil des années, les Alliés accordent de plus en plus d'importance aux réseaux de renseignement dans la perspective d'un prochain débarquement, mais les premiers sont apparus dès juillet 1940 en Bretagne. Les renseignements portent avant tout sur les bases et les chantiers navals, la construction du mur de l'Atlantique et les mouvements de troupe. Les réseaux d'évasion doivent quant à eux permettre le passage au Royaume-Uni de résistants pourchassés ou d'aviateurs alliés abattus au-dessus de la France. Dans la région, les premiers réseaux d'évasion apparaissent à la fin de l'année 1942, à l’image de Shelburn. Ce dernier permet le rapatriement de plus de 130 pilotes à partir de Plouha entre la fin du mois de janvier et le début du mois d'août 1944. Pour ce faire, une importante logistique est nécessaire. Les résistants doivent fabriquer ou faire fabriquer de faux papiers pour les aviateurs, trouver des planques afin de les héberger le temps que l'opération se " monte ", les ravitailler et enfin trouver des moyens de transport pour qu'ils gagnent la côte. Le dernier type de réseau, probablement celui qui demeure le plus présent dans la mémoire collective car le plus spectaculaire, est le réseau d'action. Sa principale mission est le sabotage, toujours dans l'optique des combats de la Libération auxquels il doit prendre part. L'un des plus importants dans la région et qui appartient au Special Operation Executive (SOE) est le réseau Parson. En fort développement de 1942 à 1944, les réseaux s'implantent davantage en ville qu'à la campagne, exception faite des réseaux d'action qui, en attendant le jour J, voient leurs membres s'entraîner par petits groupes à la guérilla et au maniement des armes dans des fermes isolées. Beaucoup sont toutefois réprimés à la fin 1943 et au printemps 1944, ne pouvant jouer le rôle qui leur incombait à la Libération.

La seconde forme d'organisation résistante n'est autre que le mouvement. Contrairement au réseau, il a une activité de propagande vers la population. Lui signale son existence et tente de recruter massivement. Son objectif est de convaincre la population de résister, de s’opposer ou, du moins, de favoriser son action. Les mouvements se forment souvent autour d'un groupe d'amis qui ont en commun le refus de l'occupation allemande. Les quatre principaux mouvements de la zone occupée que sont l'Organisation civile et militaire (OCM), Libération-Nord, Défense de la France (DF) et le Front National de lutte pour l'indépendance de la France (FN) sont présents en Bretagne. Ils y apparaissent à la fin de l’année 1941 ou en 1942. Défense de la France est le mouvement non-communiste le plus puissant – avec Libération-Nord – en Bretagne. Créé par le prêtre Sennelier, il fonde un service de faux papiers à Rennes mais se concentre surtout sur la diffusion de son journal éponyme. Entre l'été 1943 et mai 1944, chaque numéro est diffusé en Bretagne à environ 15 000 exemplaires. De tendance modérée, DF a tout de même une activité militaire avec des attaques de mairies pour prendre des tickets d'alimentation ou des listes de personnes convoquées au STO. De juillet 1943 à mai 1944, mois durant lequel il est quelque peu décimé, le mouvement est dirigé par Maurice Prestaut. L'écrivain Pierre Herbart dit Le Vigan prend ensuite le relais. Il poursuit les activités tout en participant à l'unification de la Résistance bretonne. Dernier cité mais premier né, le FN est créé par des communistes et lié à l'organisation militaire clandestine du PCF que sont les FTP. Pour autant, le FN s'ouvre très rapidement à des non-communistes. Surtout présent en ville à ses débuts, il s'étend progressivement à la plupart des campagnes bretonnes. Dès lors, le mouvement peut accentuer son activité qui consiste en la fabrication et la diffusion de tracts et de journaux clandestins, l'élaboration de faux papiers, l'hébergement de résistants recherchés et de réfractaires au STO.

Enfin, en 1943 mais surtout en 1944, la Résistance bretonne développe des groupes armés. Fondée en mars 1943 dans la région, l'Armée Secrète (AS) regroupe les formations issues de l'OCM, de DF, de Libération-Nord et est essentiellement implantée dans le Morbihan. De son côté, l’Organisation de la Résistance de l'Armée (ORA) naît durant l'été 1943 et se développe essentiellement dans le sud-Finistère et le Morbihan. À la veille du Débarquement, elle compte quelque 8 000 hommes. Elle se caractérise par une forte proportion d'officiers et de sous-officiers qui n’entrent véritablement en action qu’après le 6 juin 1944. A l’inverse, les FTP, qui se sont constitués fin 1941-début 1942, décident d’agir immédiatement. Si les communistes occupent tous les postes de responsabilité jusqu'en 1942, ce n'est plus le cas ensuite, la faute à une série d'arrestations qui obligent la direction à faire appel à des non-communistes. Malgré la répression, leurs effectifs augmentent sensiblement de 1943 à 1944, année de formation de leurs maquis. Tous ces patriotes conservent le plus longtemps possible leur activité professionnelle et ne se regroupent que pour le temps de l'action afin d'être difficilement localisables.

Prise dans son ensemble, la Résistance bretonne se caractérise par l'importance des étrangers. Si la région n'est pas une terre d'immigration, des Espagnols s'y sont réfugiés avant la guerre, allant jusqu'à former un mouvement de résistance spécifique avec l'Union nationale des Espagnols en Ille-et-Vilaine. Elle se caractérise également par la jeunesse de ses effectifs. Les 20-30 ans sont en effet les mieux représentés – 45 % des résistants pour 33 % de la population adulte totale. Les 40-49 ans sont également très présents, c’est-à-dire bon nombre d’anciens combattants de 14-18. Ces derniers n'ont donc pas tous suivi, loin s'en faut, le maréchal Pétain. La Résistance est composée à 85-90 % d'hommes et à 10-15 % de femmes, quand celles-ci forment un peu plus de la moitié de la population totale. Leur part peut certes paraître relativement faible, mais il faut noter que l'acte de résistance est un geste militaire ou politique, domaine qui demeure étranger aux mentalités féminines de l'époque. Il s'agit donc d'un phénomène nouveau qui, par nature, ne peut être absolu.

 Simone Chaye, résistante

Simone Chaye, résistante

Native de Dinan, Simone Chaye a reçu la médaille des Justes, pour son action durant la guerre. Femme de Gauche, elle milite dès les années 30 puis s'engage dans la Résistance. Avec son groupe Fraternité, elle a sauvé de nombreux enfants juifs.

18 oct 1998
01m 56s

Enfin, si toutes les catégories sociales sont présentes dans la Résistance bretonne, certaines sont surreprésentées et d'autres sous-représentées par rapport à leur proportion au sein de la population. Trois groupes sociaux dominent : les ouvriers, les commerçants et artisans et les employés du secteur public. Alors que le patriotisme se retrouve peu ou prou dans tous les engagements résistants, la lutte antifasciste menée par le PCF et la SFIO est au cœur de celui des ouvriers. Mais, comme le précise l'historien François Marcot, cette intentionnalité ne suffit pas pour pénétrer l’armée des ombres : s’ajoutent des considérations fonctionnelles. Les artisans et les commerçants sont en effet particulièrement recherchés par les patriotes du fait de leur très grande mobilité (laissez-passer, voitures) et de leurs plus grandes facilités à se ravitailler. Les employés du secteur public sont également convoités car eux seuls peuvent fournir des faux papiers, certains renseignements et assurer de nombreuses liaisons. À une échelle plus fine, il faut souligner le rôle de certains secrétaires de mairie, instituteurs et de certains prêtres. Au contraire, les employés du secteur privé et les agriculteurs sont sous-représentés, ces derniers ne gagnant en effet que très tardivement – pas avant 1943 – les rangs de la Résistance. Le retour à la terre prôné par Vichy et le mythe Pétain ne sont certainement pas étrangers à cette faible place, comme la méfiance vis-à-vis d'une Résistance urbaine et le fait que certains agriculteurs n'ont pas vu un seul Allemand durant toute la durée de l'Occupation. Pour autant, les agriculteurs sont aussi absents des partis collaborationnistes. Toutes ces données rassemblées, on peut raisonnablement penser que les résistants agissant dans une organisation forment 1 à 2 % de la population adulte dans les trois mois précédant le débarquement du 6 juin 1944.

Géographiquement, les villes et les côtes sont les premières à abriter des résistants en raison de la forte concentration de troupes allemandes et des professions très utiles à l'action résistante qui y sont exercées. Songeons par exemple aux pêcheurs mettant leur bateau et leur savoir-faire à la disposition des réseaux d'évasion. Par contre, les cantons ruraux sont plus tardivement gagnés par la Résistance qui recherche alors l'éloignement des troupes allemandes. Mais l'implantation géographique de la Résistance s'explique également par le poids des mentalités collectives. Les régions de tradition politique " rouge " sont plus propices à son développement – on pense aux ports de pêche du Finistère ou à Saint-Nazaire par exemple –, à l'instar des régions " bleues ", c'est-à-dire des régions qui sont républicaines depuis le XIXe siècle. En revanche, les régions " blanches " – l'est de l'Ille-et-Vilaine par exemple – n'abritent que peu de résistants. Toujours à l'échelle régionale, le pays bretonnant (l'ouest de la Bretagne) connaît une résistance plus active que le pays gallo (l'est de la région).

Le 6 juin 1944, 150 000 soldats allemands stationnent en Bretagne. Face à eux, les Forces françaises de l'intérieur (FFI) regroupent les FTP et l'AS. Mal équipés, ils espèrent avec impatience des parachutages d'armes. D’autant qu’avec l'intensification de leur action, ils doivent faire face à la répression croissante des forces d'occupation et des milices. Malgré tout, après le Débarquement, l'insurrection a bien lieu et les actes de guérilla se multiplient à partir des maquis. Spontanés ou organisés par la France Libre, ces derniers se développent principalement à compter de la fin 1943. Ils peuvent être soutenus par des missions interalliées telles que les missions Jedburgh. En 1944, ils sont nombreux et hétérogènes : leur taille, leur mobilité, leur composition et leur temps de vie diffèrent très largement. Des combats acharnés ont lieu comme en témoigne l'attaque du maquis Saint-Marcel et des civils vivant aux alentours par les Allemands au mois de juin 1944. Une trentaine de résistants sont alors tués, dix fois plus du côté des Allemands. Pour la première fois, l'occupant est tenu en échec par les forces de la Résistance.

Finalement, les FFI jouent un rôle clé dans la libération de la région. Après la percée d'Avranches, ils entrent d’ailleurs à Rennes en compagnie de l'armée du général Patton, le 4 août 1944.

 Les FFI en Bretagne 

Les FFI en Bretagne 

Dans les faubourgs en ruines de Brest et Hennebont, les FFI combattent et reconquièrent le territoire. Ils font prisonniers les soldats allemands. Les Généraux Allard et Borgnis-Desbordes passent ensuite en revue ces soldats de la Résistance.

23 sep 1944
01m 53s

Le 6 août 1944, c’est au tour de Saint-Brieuc et de Vannes d’être libérées, le 10 août de Morlaix et de Quimper, le 12 de Nantes. Pour autant, des poches allemandes résistent autour des principaux ports comme Lorient, Brest ou Saint-Nazaire et il faut attendre le mois de mai 1945 et la capitulation de l'Allemagne pour que la Bretagne soit intégralement libérée.

Libération, épuration et reconstruction : une sortie de guerre entre joies et peines

Si la libération du territoire en 1944-1945 est un processus militaire, elle est aussi une phase de transition politique, judiciaire et de reconstruction, tant matérielle qu'identitaire.

La Bretagne est une région où le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) teste le rétablissement de la légalité républicaine en province. La crainte de son président, le général de Gaulle, est de voir le pouvoir politique tomber aux mains des Américains. Mais, du 3 au 6 août 1944, ce qui reste du pouvoir du gouvernement de Vichy laisse finalement place aux nouvelles autorités constituées dans la clandestinité par la Résistance. De nouveaux préfets et des commissaires de la République les représentent dans les régions, à l'instar de Victor Le Gorgeu en Bretagne et de Michel Debré dans les Pays de la Loire. À l'échelle départementale, on met en place des Comités départementaux de Libération (CDL) composés de représentants des partis politiques, des syndicats et, surtout, des différents mouvements de la Résistance. Ce dispositif politique est complété dans certaines municipalités par des Comités locaux de Libération (CLL).

 Les Alliés à Rennes

Les Alliés à Rennes

Sous le commandement du Général Montgomery, les troupes alliées, acclamées par la foule, entrent à Rennes. En marge des manifestations de liesse populaire, les "traîtres" sont arrêtés et emprisonnés.

04 aoû 1944
01m 48s

Le 4 août 1944, les nouvelles autorités rennaises accueillent les soldats américains au nom du GPRF. Rassemblés place de la Mairie, face au drapeau tricolore croisé avec la bannière étoilée, les habitants acclament les représentants de la France libérée (dont Yves Milon, résistant et futur maire de Rennes de mai 1945 à mai 1953). Tous sont réunis sur le balcon de l'Hôtel de ville aux côtés des officiers alliés. De telles manifestations, durant lesquelles les symboles patriotiques sont exhibés, participent à la réappropriation de l'espace public par la population, une première étape du recouvrement de la fierté nationale.

Dans ce contexte de transition politique et de retour à la démocratie, les représentants du GPRF s'inquiètent d'éventuels désordres orchestrés par les communistes, très présents dans les différents CDL et CLL mais aussi parmi les FFI. Cette " dualité des pouvoirs " entre de nouvelles autorités encore fragiles et la Résistance apparaît bien plus comme un fantasme qu'une réalité dans la région. En effet, malgré une ambiance révolutionnaire, la situation se normalise en quelques semaines : le désarmement des résistants s'opère sans heurts car tous, y compris les communistes, aspirent au rétablissement de la légalité républicaine. En outre, la répression spontanée à l'égard des collaborateurs, ou considérés comme tels, durant les premiers jours de la Libération laisse rapidement place à une épuration administrative et judiciaire menée par les nouveaux pouvoirs.

Il n’en demeure pas moins que ces journées de libération sont l'occasion de ressouder les communautés locales autour des souffrances partagées durant l'Occupation, en excluant les " collabos ". Certaines de ces violences (arrestations, tontes, lynchages, exécutions sommaires) envers les collaborateurs, très majoritairement le fait des résistants, prolongent la lutte armée contre l’occupant. De septembre 1943 à 1945, on recense ainsi 581 exécutions sommaires dans les quatre départements bretons (7,2 % des exécutions enregistrées en France) allant de 243 dans les Côtes-du-Nord et 214 dans le Morbihan (zone où sont concentrés les maquis) à 11 en Ille-et-Vilaine. En Bretagne comme en France, les tontes sont un phénomène de masse : on en recense par exemple 281 dans les Côtes-du-Nord, département de la région qui est probablement le plus concerné par le phénomène. Comme les exécutions sommaires, elles débutent sous l’Occupation et explosent au moment des journées libératrices.

 Procès de criminels de guerre et exécutions

Procès de criminels de guerre et exécutions

Au Palais de justice de Rennes se tient le procès de six criminels de guerre allemands ayant fusillé des paysans bretons. Cinq d'entre eux seront condamnés à mort. La justice est également rendue en Allemagne par les troupes d'occupation alliées.

20 juil 1945
02m 02s

Une fois la fièvre de la libération passée, les nouvelles autorités parviennent donc à instaurer une base légale à l'épuration avec la création de tribunaux d'exception. En France, ce sont près de 350 000 personnes qui sont jugées devant la Haute Cour de justice, les cours de justice et les chambres civiques, soit presque un Français sur cent. Concernant la Bretagne, on évalue à 3 521 le nombre d'individus jugés par les cours de justice et les chambres civiques. L'ampleur des exécutions sommaires explique une épuration judiciaire sans doute plus modérée qu’ailleurs en Bretagne. En effet, de la fin 1944 à 1946, les cours de justice condamnent à mort et exécutent seulement 31 individus, un nombre à confronter aux 767 exécutions recensées après un jugement d’une cour de justice sur le sol français. Dans le même temps, des comités de confiscation des profits illicites (CCPI) infligent des amendes aux collaborateurs économiques, amendes parfois difficiles à recouvrer.

Évoquons maintenant une spécificité régionale, source de polémiques et d'affrontements mémoriels : les collaborateurs du PNB. Ce dernier est en effet identifié comme un groupement de collaboration à la Libération et 200 de ses militants (ils représentent sans doute environ 15 % de l'effectif total du parti sous l'Occupation) sont traduits devant la justice. Seuls les activistes du courant séparatiste sont alors jugés. La plupart des miliciens bretons les plus gravement impliqués dans des actions militaires et criminelles n'ont cependant pas été arrêtés à la Libération, la plupart ayant fui en Allemagne, en Espagne, en Amérique du Sud et dans les îles britanniques.

En définitive, le processus d'épuration (extrajudiciaire et judiciaire) doit être considéré comme un phénomène social de masse. Bien que certains aient pu le percevoir comme trop " mou " ou trop dur, il n’a pas uniquement touché les " lampistes ". Il ne fut pas davantage un " bain de sang " mené par les communistes et frappant d’innocentes victimes comme ont bien voulu le faire croire les tenants d'une certaine légende noire. Enfin, si elles ne peuvent être niées, les violences résistantes et communautaires doivent impérativement être replacées dans le contexte de guerre durant lequel elles ont été commises.

Incarnation de la légalité républicaine pleinement restaurée, de Gaulle entreprend durant l’été 1945 un déplacement de plusieurs jours dans des cités côtières dont les ruines ne sont pas complètement déblayées. Il est à l'apogée de sa gloire et reçoit un véritable triomphe de la part des populations locales, qui expriment alors toute leur gratitude à celui qui a su conduire le pays à la victoire.

 Le Général de Gaulle en Bretagne

Le Général de Gaulle en Bretagne

Le Général de Gaulle visite St Brieuc, Brest, Douarnenez, Lorient, St Nazaire. Dans ces ruines, une population fervente l'acclame. A Brest, il annonce son souhait de réforme politique. Aux chantiers de St Nazaire il constate la reprise de l'activité.

27 juil 1945
03m 01s

En multipliant ainsi les discours, le président du GPRF s'implique totalement dans la première grande bataille électorale d’après-guerre : le double référendum et les élections législatives à l'Assemblée constituante. Tandis que la population retrouve la démocratie et que les femmes votent pour la première fois, on constate un glissement à gauche depuis les dernières élections d’avant-guerre. La géographie politique de la Bretagne n’est cependant pas bouleversée : la région demeure une région de droite modérée. Alors qu'un tripartisme apparaît globalement en France – PCF (26,1 %), SFIO (24,6 %), MRP (25,6 %) –, le MRP, parti de sensibilité démocrate-chrétienne, est le grand gagnant de ces élections dans la région (42,33 %). Concernant le référendum, la Bretagne rejette massivement la IIIe République (98 % des voix contre 96 % pour toute la France) et accepte l'organisation provisoire des pouvoirs publics en attendant la nouvelle constitution.

À cet instant, la situation économique de la région est très difficile : quatre grandes villes sont complètement détruites, les sinistrés attendent des logements et le ravitaillement ainsi que le réseau de communications ne sont pas complètement rétablis. On le voit, les effets de la guerre se font ressentir de longs mois après la libération de la région en août 1944 !

 Saint-Nazaire en ruines

Saint-Nazaire en ruines

État des lieux à la libération de Saint-Nazaire, ville ravagée par les bombes, qui n'est plus qu'un champ de ruines. La gare et le port sont détruits. 100 000 Français sont libérés et les Allemands encore présents sont faits prisonniers.

18 mai 1945
39s
 La ville de Lorient en ruine

La ville de Lorient en ruine

La ville de Lorient, et particulièrement son port militaire, base stratégique des forces d'Occupation, ont subi de graves dommages durant la guerre. A la libération, le bilan du désastre est lourd pour cette ville saccagée par les bombes.

18 mai 1945
44s

Certains ports de la côte atlantique, transformés en véritables poches fortifiées, ont d’ailleurs eu à souffrir des destructions et de la présence des occupants jusqu'en mai 1945. 25 000 soldats allemands se retranchent ainsi dans la poche de Saint-Nazaire où, sur plus de 200 km², 125 000 civils Français sont pris au piège. De la même manière, plus de 27 000 soldats allemands aidés par une forte artillerie défendent la poche fortifiée de Lorient pendant plus de 9 mois. Bombardements, raids destructeurs et tentatives de percée des forces libératrices se succèdent, multipliant dégâts et sinistrés. Dans ces villes, il faut donc tout reconstruire. Dès l'été 1944, le GPRF proclame sa volonté de diriger cette reconstruction. Il se charge donc du financement de l'ensemble des travaux et du contrôle de l'utilisation des indemnités accordées aux particuliers et aux entreprises au titre des dommages de guerre. Pour recevoir les aides publiques, les villes sinistrées doivent bâtir selon des plans approuvés par le ministère de la Reconstruction. Pour autant, l'accent n'est placé sur la question de l'immobilier et des logements qu'à partir de 1948-1949, grâce à l'aide du Plan Marshall.

 Le ministre de la Reconstruction à Nantes et Saint Nazaire

Le ministre de la Reconstruction à Nantes et Saint Nazaire

René Coty, ministre de la Reconstruction visite Nantes et Saint Nazaire, villes bombardées durant la guerre. Le ministre constate l'avancée des travaux de reconstruction qui permettront de reloger les victimes, notamment dans les maisons d'Etat.

22 jan 1948
55s

La lente reconstruction est l'occasion pour Saint-Nazaire de mettre en œuvre un urbanisme moderne, remodelant totalement le paysage du centre-ville selon un plan orthogonal, sous la responsabilité du maire de la ville Pierre Courant (ministre de la Reconstruction par la suite). Il faut au moins dix ans pour que les travaux soient achevés. À l'inverse des reconstructions modernes de Saint-Nazaire, Lorient, Brest ou du Havre, la cité malouine, assiégée durant deux semaines par les soldats américains en août 1944, est pratiquement reconstruite à l'identique.

 A Saint Malo, une cité renaît

A Saint Malo, une cité renaît

Saint Malo, fortement endommagée durant la guerre, se reconstruit peu à peu en respectant son architecture d'origine. Les premiers cars de touristes sont venus en masse découvrir l'embellissement de la cité malouine.

28 sep 1950
44s

L'initiative de cette reconstruction revient au maire de Saint-Malo, Guy La Chambre (ancien député d'Ille-et-Vilaine et ancien ministre de l'Air). Elle aboutit à la reconstitution de l'intra-muros tout en rectifiant quelques ruelles. Saint-Malo retrouve ainsi dans les années 1950 son ancienne physionomie et ses habituels vacanciers.

Si la reconstruction démocratique de la société bretonne est rapide, celle de l'identité, de l'économie et de l'espace est douloureuse et longue. L'après-guerre pose alors les fondations d'une modernisation et d'une transformation historiques pour la région.

Conclusion : Mémoires et traces de la Seconde Guerre mondiale en Bretagne

Quand certains autonomistes ont fait le choix d'une collaboration jusqu'au-boutiste, d'autres Bretons ont fait confiance au maréchal Pétain jusqu'en 1941, d'autres encore ont préféré très tôt s'engager dans la Résistance. Cependant, sans être active, la majeure partie de la population bretonne a rejeté l'occupant, présent en très grand nombre dans la région. Dans tous les cas, l'Occupation et la sortie de guerre furent des périodes difficiles et complexes pour ceux qui les ont vécues. Elles ont marqué l'histoire, les mémoires et l'identité des " Français de Bretagne ", voire leurs choix politiques. Leurs mémoires sont d'ailleurs entrées en conflit.

 Hommage à Charles de Gaulle à l'Ile de Sein

Hommage à Charles de Gaulle à l'Ile de Sein

Les habitants de l'Ile de Sein célèbrent la mémoire du défunt président de la République, Charles de Gaulle. Une messe en plein air est organisée face au monument aux morts.

13 nov 1970
01m 01s

Qu'il s'agisse des commémorations organisées sur l'île de Sein, seule commune à comptabiliser plus de morts militaires en 1945 (27) qu'en 1918 (21), ou des multiples stèles rappelant des événements dramatiques, les traces de cette période en Bretagne sont nombreuses aujourd'hui. Et alors que les témoins pouvant transmettre leur vécu disparaissent, l'importante fréquentation des mémoriaux, des musées ou la parution d'un grand nombre d'ouvrages témoignent de l'attrait toujours suscité par cette période au sein de la population française. La mémoire collective ne semble donc pas prête à refermer ce que le général de Gaulle voulait assimiler à une " parenthèse de l'histoire de France ".

Bibliographie

  • Christian Bougeard, Occupation, résistance et libération en Bretagne en 30 questions, La Crèche, Geste éditions, 2005.

  • Christian Bougeard, Le Choc de la guerre dans les Côtes-du-Nord 1939-1945, Paris, éditions Gisserot, 1995.

  • Christian Bougeard, La Bretagne de l’Occupation à la Libération (1940-1945), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014.

  • Luc Capdevila, Les Bretons au lendemain de l'Occupation : imaginaire et comportement d'une sortie de guerre 1944-1945, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1999.

  • Henry Rousso, Le Régime de Vichy, Paris, PUF, "Que sais-je ?", 2007.

  • Jacqueline Sainclivier, La Bretagne de 1939 à nos jours, Rennes, Ed. Ouest France, 1989.

  • Jacqueline Sainclivier, La Bretagne dans la guerre, 1939-1945, Rennes, éd. Ouest-France/mémorial de Caen, 1994.

  • Claude Tocze (avec la collaboration d'Annie Lambert), Les Juifs en Bretagne (Ve – XXe siècles), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006.