Le Bosquel : un projet rural urbaniste d'après guerre

01 janvier 1947
07m 01s
Réf. 00443

Notice

Résumé :

Patrice-Thedy Colleuille évoque sur des images du village aujourd'hui et des archives tirées du film Le Bosquel, un village renaît de Pierre de Roubaix (production ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme 1947), la reconstruction de l'après guerre avec le projet rural du Bosquel près d'Amiens. Des habitants du village à l'époque se remémorent cette période. Jean- Claude Guilbert, architecte, souligne la conception innovante qu'avait l'architecte et urbaniste Paul Dufournet responsable du projet qui en utilisant de nouvelles techniques et en réorganisant le village, voulant en faire un symbole de la modernité. Vincent Brunelle, architecte, remarque que Dufournet était en celà influencé par Perret.

Type de média :
Date de diffusion :
09 janvier 1996
Date d'événement :
01 janvier 1947
Source :
France 3 (Collection: Mémoires )
Lieux :

Éclairage

Situé à 20 kilomètres au sud d'Amiens, sur la route de Beauvais, le village du Bosquel comptait 244 habitants au recensement de 1936. Cet effectif témoignait d'une baisse sensible par rapport au XIXe siècle puisqu'en 1851 le Bosquel comptait 796 habitants. L'exode rural avait touché les tisserands qui travaillaient à domicile et le Bosquel n'était plus qu'un village tourné vers l'exploitation de la terre. En 1939, sur une soixantaine de familles, il y avait seize familles d'exploitants agricoles, quatre de ménagers, vingt-sept d'ouvriers agricoles et onze d'artisans agricoles (1). Les rues étaient bordées de part et d'autre par les granges des fermes à cour carrée. La plupart des bâtiments étaient contigus, séparés par des pignons coupe-feu. L'ossature du village était en forme de village-rue, comme le montrent les nombreuses cartes postales présentées au début du reportage.

Les bombardements allemands des 5-8 juin 1940 sur Le Bosquel, défendu par le 50e régiment d'infanterie, provoquent la destruction de la quasi totalité du village. Sur 110 maisons, 85 sont totalement détruites, 21 touchées, 4 seulement intactes, aux extrémités du village. Le Bosquel est détruit à 95 %. Les habitants, évacués le 6 juin, rentrent entre la deuxième quinzaine de juin et septembre 1940. Comme le précisent les témoins interrogés lors de ce reportage diffusé en 1996, les réintégrés prennent alors conscience de l'ampleur des destructions et sont saisis par les odeurs de cadavres d'animaux qui continuent à se décomposer. Pour se loger, ils aménagent des caves restées intactes et construisent des baraques avec des planches, des tôles ondulées et des matériaux découverts dans un dépôt voisin. Ils remettent leurs terres en culture, non sans danger en raison des grenades et des obus non explosés.

Dès l'armistice signé, les responsables du nouveau régime de Vichy voulurent impulser une politique de reconstruction (2). Ils espéraient que les sinistrés sentiraient l'influence immédiate sur leur vie quotidienne du changement politique. Les urbanistes devinrent les conseillers écoutés des tenants de la Révolution nationale. La reconstruction devint une préoccupation nationale.

Une administration de l'urbanisme fut alors créée. Un commissariat à la reconstruction immobilière fut fondé par la loi du 11 octobre 1940, chargé de toutes les questions relatives à la réparation des immeubles détruits pour lesquels une aide de l'État était prévue.

Les milieux pétainistes étaient sensibles à la question de l'habitat rural. Eux qui prônaient le retour à la terre faisaient le lien entre l'exode rural et les médiocres conditions de l'habitat dans les campagnes.

Le village du Bosquel en ruines attire l'attention de l'architecte et urbaniste Paul Dufournet. Né en 1905, élève de Tony Garnier à Lyon et architecte de l'Assistance publique de 1933 à 1939, particulièrement intéressé par les questions de reconstruction rurale, il était partisan d'une architecture rurale contemporaine et refusait de reconstruire à l'identique ce qui avait été détruit en 1940. En janvier 1941, il demande au CRI que lui soient confiés les plans d'aménagement et de reconstruction de quatre villages sinistrés au sud d'Amiens : Le Bosquel, Oresmaux, Rumigny et Saint-Sauflieu (3). En février 1941, il remet au CRI un projet d'aménagement dans lequel il propose de faire du Bosquel le village-type de la reconstruction rurale : "Ce village est le plus détruit de tout le département de la Somme, et c'est vraisemblablement le plus abîmé de tous nos villages [...] Pourrait-on faire du Bosquel le village-modèle, guide et synthèse de la reconstruction rurale ? ". Le gouvernement accepte ce projet : Paul Dufournet est chargé d'établir le plan d'aménagement du Bosquel, puis se voit attribuer la responsabilité de la reconstruction de la commune.

Paul Dufournet élabore un schéma d'aménagement en trois zones qui impliquait un remembrement total du territoire communal. Ces trois zones étaient disposées en cercles concentriques : au milieu se trouvait la zone intérieure, le cœur du village, avec l'école, la mairie, l'église, le foyer social..., ensuite la zone d'établissements agricoles, enfin la zone de « grande culture". Le but de ce plan était donc de sortir du village la plupart des exploitations et de les disposer à proximité des terres mises en valeur. Paul Dufournet voulait également sortir du schéma de la vieille ferme picarde à cour carrée et construire des fermes totalement nouvelles distinguant l'habitation, le bâtiment d'exploitation, un bâtiment annexe à l'habitation et au bâtiment d'exploitation et un gerbier.

La reconstruction proprement dite ne commence qu'après la Libération, à partir de 1945, sous l'égide du Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme. Le MRU la met en valeur dans le film de Pierre de Roubaix, Le Bosquel, un village renaît, dont certains extraits sont présentés dans le reportage. Paul Dufournet s'entoure de cinq architectes d'opération, dont trois sont des anciens élèves de Le Corbusier. Des jeunes travailleurs sont envoyés par le Ministère du Travail et encadrés par des ouvriers qualifiés.

Les premiers travaux réalisés sont les travaux de voirie et la reconstruction de la ferme Quesnel, qui doit être une "construction témoin". Dans un contexte de pénuries, on emploie, pour démarrer les travaux, le béton de terre stabilisé, utilisant les matériaux terreux pris sur place et mis en œuvre avec l'appoint de faibles contingents de ciment dont on disposait alors . Le reportage insiste sur cette volonté de faire efficace en utilisant les matériaux disponibles à proximité.

En 1946, la reconstruction est bien engagée mais une polémique se déclenche sur son coût et les travaux sont interrompus. La reconstruction est reprise en 1947 sur des principes nouveaux, avec la création d'une coopérative de reconstruction et, en février 1948, le contrat de Paul Dufournet, en conflit avec la municipalité et avec certains sinistrés, n'est pas renouvelé. Le village entre dans le lot commun et est intégré dans la zone dont il faisait territorialement partie, sous la direction de l'architecte Emmanuel Gonse, ce qui est révélateur de la difficulté d'appropriation par les sinistrés, ruraux comme urbains, des expériences novatrices souhaitées par des architectes de la reconstruction.

Les transformations du monde agricole, la mécanisation rendent par ailleurs rapidement obsolètes certains choix opérés pour la reconstruction des fermes.

Paul Dufournet se voit confier ensuite confier la 3e région (Basse-Normandie, Bretagne et future région Pays-de-la-Loire). Mort en 1994, il avait déposé en 1985 et en 1993 ses papiers concernant Le Bosquel aux Archives départementales de la Somme, où une partie de ce reportage a été tournée.

(1) La plupart des informations de cette notice sont reprises de : Anne Ternacle, Le Bosquel, destruction et reconstruction, mémoire de maîtrise sous la direction de Nadine-Josette Chaline et de Michel-Pierre Chelini, Université de Picardie, 1998-1999.

(2) Voir sur ce point l'étude pionnière de Danièle Voldman, La reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, Histoire d'une politique, L'Harmattan, 1997.

(3) Anne Ternacle, op. cit., p. 47.

Philippe Nivet

Transcription

Vincent Brunelle
Paul Dufournet est un personnage qui m’apparait dans la lignée complète de l’atelier Perret.
(Musique)
Patrice Thedy Colleuille
1995, Le Bosquel en Picardie. Mais qui se souvient encore de l’ancien Bosquel tel qu’il était avant l’embrasement de la Seconde Guerre mondiale, figé dans l’immobilisme trompeur, une France toute agricole toute empreinte de XIXe siècle ?
(Musique)
Patrice Thedy Colleuille
Le Bosquel vers 1900. Le Bosquel tel qu’il serait encore en 1939 avec ses rues de granges, ses fermes à cour fermée. En retrait, des façades aveugles. Et la vie du village, secrète, cachée par les murs en torchis et dont on ne percevrait que les bruits. Gros bourg perché sur le plateau de Craie, village de blé, d’avoine et de jachère rythmé par le cycle de l’assolement triennal. Groupé autour de sa mare, de son puits communal et de son église. Comme toujours depuis des siècles. Tout juste si le remembrement de 1934 avait apporté en son sein une once de progrès, quelques peu de modernité. Ici, on vivait à l’allure lente du cheval de trait. Aussi, quand le 5 juin 1940, au matin, les stukas de la chasse aérienne allemande allaient piquer sur le bourg, c’est plus qu’un village de 300 âmes qui allait mourir. C’est tout un pan de l’histoire rurale de la France qui allait s’embraser. Des siècles entiers de mémoire collective qu’on allait ruiner en trois jours de combat. Le 6 et le 7 juin jusqu'à 19 heures 30, le 50ème régiment d’infanterie luttait vaillamment avant d’évacuer le village incendié détruit à près de 100 %. Le village rasé allait tragiquement entrer dans l’histoire des cités martyres. Vite abandonné, il fut tout aussi vite réhabilité dès la fin juin 1940, dans les cabanes en planches bâties à la hâte parmi les ruines calcinées.
(Musique)
Léone Sauval
C’était épouvantable pour des yeux d’enfant de voir tout ce qui se passait. Et puis arrivée chez soi, c’est pareil. Chez nous, c’était pareil. On était dans les ruines. On essayait de retrouver peu de choses. Peu de choses. Une casserole calcinée, une assiette toute noire. Et puis c’était ça.
Guy Sauval
Je me souviens avoir, avec mes parents, cherché des bêtes qui pouvaient nous appartenir dans les alentours.
Léone Sauval
Oui. Les bêtes, ou elles étaient mortes, ou elles étaient sauvées. Et puis c’était comme ça.
Guy Sauval
On a sorti un veau d’une cave qu’on habitait, la première. On a sorti un veau d’une cave avec la patte cassée. Ce veau, avec mon père et mon grand-père, on l’a tiré. On l'a apaté et puis le veau, il s’en est sorti quand même. Toutes les bêtes avaient la fièvre aphteuse.
Léone Sauval
Ah oui ! Celles qui restaient, oui.
Guy Sauval
Celles qui restaient avaient la fièvre aphteuse.
Léone Sauval
Et puis il y avait toute la misère autrement. La misère autrement. Parce que ça, c’est des histoires de maisons, d’animaux, mais il y avait aussi autre chose. Il y avait ceux qui étaient tués, tout ça.
Guy Sauval
Oui, les bêtes. L’odeur de cadavre décomposé.
(Musique)
Irène Hosten
L’idéal, à l’époque, de mes parents, ça a été de récupérer... Ils ont ramassés des briques dans les décombres. Je sais que ma mère m’a toujours dit qu’elle avait ramassé 5000 briques pour reconstruire. Ils ont fait reconstruire, déjà avant les baraques en construction, un baraquement qu’ils ont fait faire eux-mêmes, qui a d’ailleurs été défait par la suite parce qu’il était à l’endroit où on a reconstruit la ferme.
Marcel Dupont
Je me souviens, quand on est revenu, l’hiver qu’il y a eu. Un hiver terrible avec beaucoup de neige alors qu’on a été dans des baraques, ce qui restait des ruines avec des tôles aux fenêtres.
Michèle Bartholome
Oui, et puis je me souviens de café qui gelait dans la cafetière.
(Musique)
Patrice Thedy Colleuille
Le Bosquel qui n’aurait pu être qu’un bourg détruit parmi les 350 autres à rebâtir puis à gérer d’un maréchal français collaborationniste entre ainsi dans l’histoire côté drame. Mais surtout côté rêve, là où les songes utopistes rencontrent la main hardie des bâtisseurs en symbolisant l’espoir d’une France à renaître en chantier riche de promesses et de prospérité avant de retomber dans l’oubli et l’indifférence des lendemains désenchantés. L’homme de ce rêve fut Paul Dufournet, architecte, urbaniste, ethnographe. Un rêve, une reconstruction pensée dès 1941 sous l’égide de Vichy et du commissariat à la reconstruction immobilière. Un rêve muri sous l’occupation et réalisé par la France libre et le ministère de la reconstruction. Pour la première fois dans l’Hexagone, un homme seul, sur la table rase d’un bourg ruiné, allait repenser, créer du néant un village type, modèle, parangon d’une ruralité à réinventer.
(Musique)
Jean-Claude Gilbert
Alors cette opportunité de la table rase, le Bosquel totalement rasé, a constitué en même temps une expérience qui a pu être considérée comme innovante, nouvelle, qui rejoint d’ailleurs à certains égards certains rêves des utopistes du XIXe siècle à savoir développer un certain nombre de concepts nouveaux d’idées nouvelles qui sont au nombre de trois : faire vite c'est-à-dire standardiser, standardiser les plans, standardiser la construction, faire efficace, utiliser de nouvelles techniques, utiliser de nouveaux matériaux et tout particulièrement en cette période de pénurie, utiliser les matériaux disponibles sur place. La brique creuse, le parpaing, le béton de terre, le bois etc. Et troisième idée : innover, sachant que là, c’était l’occasion d’introduire de nouvelles idées, de nouveaux standards symboles de modernité, en particulier il fallait… c’était l’occasion de repenser complètement l’organisation du village dans sa totalité c'est-à-dire y compris le ban communal.
(Musique)
Vincent Brunelle
Parce qu’il me semble bien que Dufournet à travaillé à l’Union Internationale des Architectes. Il devait avoir son bureau dans ce qui était l’agence d’Auguste Perret rue Renoir, à Paris. Dufournet a dans l’idée que l’architecture fait déjà essentiellement appel à la structure. Donc la structure doit être évidente pour le passant comme pour l’habitant. Elle doit être exprimée. On va retrouver ça dans tous les architectes qui sortent de l’atelier Perret jusque maintenant les architectures comme Schweitzer et qui ont fondé une école d’architecture un peu à partir de cet esprit-là.