Exode urbain : urbanisme consommateur de terres agricoles

16 avril 1984
03m 06s
Réf. 00506

Notice

Résumé :

Reportage sur l'exode urbain à la campagne dans les petits villages proches des grandes agglomérations. René Groussard du Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles (CNASEA) , pense qu'il y a transformation de l'espace rural et une transformation de l'espace social. Dans un village proche d'Amiens, Mme Jeanine Sachy, explique les raisons pour lesquelles elle s'est installée à la campagne. Les agriculteurs perdent leurs terres et comme l'observe l'un d'eux, Daniel Bulot, il n'est plus possible d'avoir certaines activités, comme l'ouverture d'une porcherie.

Date de diffusion :
16 avril 1984
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Éclairage

L'expression "exode urbain", utilisée dans le reportage est un jeu de mots construit à partir de la notion "exode rural" qui a désigné, avec une forte connotation idéologique, le processus d'émigration massive des populations rurales vers les villes à partir du XIXe siècle en France. Il s'agit donc de souligner, avec la force du mot "exode", un renversement de courant migratoire. Ce phénomène est plus communément appelé "péri-urbanisation", processus qui s'est enclenché, en France, depuis une quarantaine d'années, puisque c'est à la fin des années 1960 que l'habitat individuel en périphérie des agglomérations urbaines a commencé à devenir important. En Picardie, la péri-urbanisation a commencé à partir de la période inter-censitaire 1975-1982. En effet, lors des périodes inter-censitaires antérieures (1962-1968 et 1968-1975), la croissance démographique concerne principalement les unités urbaines et leur périphérie immédiate. En revanche, à partir de 1975, ce sont les espaces ruraux proches des villes qui deviennent les espaces les plus dynamiques sur le plan démographique, tendance qui se poursuit et s'intensifie par la suite. De plus, la péri-urbanisation touche au fur et à mesure de son déploiement des espaces ruraux toujours plus éloignés des villes. En 2010, 1418 communes sur les 2291 que compte la Picardie étaient considérées par l'INSEE comme des communes péri-urbaines, soit un peu moins de 62% des communes picardes contre 42,7% à l'échelle de la France métropolitaine (hors aire urbaine de Paris). La péri-urbanisation est donc particulièrement significative en Picardie.

Les causes de la péri-urbanisation sont multiples ; elles tiennent aux aspirations des ménages à davantage d'espace et à une plus grande proximité avec la "nature" ; il s'agit également de fuir les quartiers d'immeubles collectifs, considérés comme trop déshumanisés. La banalisation de l'automobile auprès des ménages à revenus moyens puis modestes a permis d'habiter loin des transports en commun et a ouvert à la péri-urbanisation de nouveaux espaces. Les pouvoirs publics ont également contribué à favoriser ce processus en encourageant l'habitat individuel à partir de la fin des années 1960 – l'expérience des " chalandonnettes" (1) –, mais surtout à la suite de la loi du 3 janvier 1977 qui marque l'inflexion de l'Etat en matière d'aide au logement, en promouvant l'aide à la personne au détriment de l'aide à la pierre et en créant des prêts aidés d'accession à la propriété.

Les habitants de ces communes péri-urbaines ou de ces campagnes urbaines sont des "néo-ruraux" en raison de leur lieu de résidence, mais ils restent des urbains par leurs modes de vie et par leurs activités professionnelles, souhaitant continuer à bénéficier des aménités que seules les villes peuvent proposer. L'arrivée parfois massive de ces néo-ruraux peut conduire à des tensions, voire à des conflits, avec d'autres habitants de l'espace rural, en particulier avec les agriculteurs.

(1) En 1969 , le ministre de l' Équipement et du logement , Albin Chalandon, lance un Concours international de la maison individuelle qui conduit à la construction de 70 000 pavillons individuels , qui ont été appelés "les chalandonnettes".

Pierre-Jacques Olagnier

Transcription

Catherine Matausch
L’exode urbain, au-delà de ce qui semble être un jeu de mots, car l’exode rural, s’il existe encore, se contrarie par un mouvement inverse. On quitte donc de plus en plus les villes pour s’installer dans la proche campagne, pour à la fois respirer le grand-air et ne pas tourner le dos aux atouts incontestés de l’agglomération. L’exode urbain a donné lieu, aujourd'hui, à un débat dans le cadre des lundis du Crédit Agricole. L’invité d’honneur, monsieur René Groussard, directeur général du Centre National pour l’Aménagement des Structures Agricoles. Si l’exode urbain convient à certains, il est aussi un problème pour les agriculteurs. Jacques Devaux, Jean-Pierre Rey.
Jacques Devaux
En Picardie, entre 1975 et 1982, 42 000 personnes ont quitté les villes pour aller s’installer dans les petits villages peu éloignés des grandes agglomérations. Ce phénomène de périurbanisation est valable pour la quasi-totalité des grandes villes de Picardie comme du reste de la France. Partant de cette constatation, l’exode urbain est l’occasion d’une mutation d’une société française dont le cadre serait l’espace rural. C’est du moins l’opinion de René Groussard, directeur du groupe CNASEA. Pour lui, cette nouvelle politique trouve un support idéal dans le monde rural.
René Groussard
La France dispose d’un espace considérable, l’espace le plus important qui puisse être aménagé d’Europe. Je constate également qu’il y a eu un changement dans la répartition du pouvoir, que le monde rural, qui a été longtemps un monde qui disposait de peu de pouvoir en dispose maintenant en particulier grâce à la décentralisation qui vient d’être récemment introduite, comme vous le savez, dans nos institutions. Et puis, il y a bien d’autres constats que l’on pourrait faire encore, notamment que le monde rural peut utiliser les technologies nouvelles, les technologies modernes comme l’informatique, la télématique…
Jacques Devaux
Qui réduisent les inconvénients…
René Groussard
Qui réduisent très sérieusement les inconvénients de l’isolement dont on parlait.
Jacques Devaux
En fait, selon René Groussard, ce départ vers la campagne traduit une volonté de mieux vivre. Recherche d’une plus grande solidarité, d’une meilleure occupation du temps libre, finalement d’un retour vers la cellule familiale que beaucoup ont réalisé en faisant construire.
(Silence)
Jeanine Sachy
Ce qu’on cherchait, c’était une maison avec un terrain autour pour que les enfants puissent en profiter. Donc puisqu’on avait des enfants jeunes à ce moment-là, c’est ça qui était important : trouver quand même une certaine tranquillité, ne pas être obligé de s’en aller en voiture le dimanche si on voulait profiter un petit peu de la campagne.
Jacques Devaux
Est-ce que vous seriez allé plus loin, justement, dans la campagne ? Des villes plus éloignées ?
Jeanine Sachy
Beaucoup plus loin, certainement pas, parce qu’on n’a quand même jamais voulu se couper d’Amiens et de ce qui pouvait s’y passer.
Jacques Devaux
Limite de la ruralité, ce besoin de rester proche des facilités que procure la ville : loisirs mais aussi travail. Autre réticence : celle des agriculteurs qui perdent leurs terres au profit des pavillons et qui voient apparaitre de nouvelles contraintes.
Daniel Bulot
Nos fermes, maintenant, avec le plan d’occupation des sols, nous ne pouvons plus construire ce qu’on veut.
Jacques Devaux
Par exemple, ici, on ne peut pas concevoir que vous installiez une porcherie, par exemple ?
Daniel Bulot
Non, absolument pas.
Jacques Devaux
En fait, si l’on construit les villes à la campagne, il ne faut surtout pas en faire des villes dortoir. Mais là, c’est à chacun de faire un effort.