Aménagement de la côte Picarde : la station Belle Dune

06 mai 1998
03m 06s
Réf. 00511

Notice

Résumé :

Reportage à Fort-Mahon-Plage où le chantier de l'Eco village de Belle Dune (Pierre et Vacances) prend fin. Ici, Le problème est de concilier le développement touristique et la protection de la nature. Les écologistes comme Patrick Thiery, secrétaire de Picardie Nature, soulignent la fragilité dunaire et craignent le piétinement.

Date de diffusion :
06 mai 1998
Source :

Éclairage

Projeté sur une vingtaine d'années sur la commune de Fort-Mahon, le "village-club Belle Dune" est remarquable comme modèle renouvelé de station touristique littorale. Le long des côtes picardes, entre Boulonnais et Normandie, de nombreuses stations touristiques avaient été construites entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe. Leur nom indique parfois directement l'origine britannique du modèle, Brighton par exemple. Face à la plage, une promenade ; devant elle, des villas aux architectures et noms désormais habituels ; parfois un casino ; souvent des tennis, un golf, etc. Tous ces éléments constituent les arguments déclinés de ces stations très largement ouvertes sur la pratiques des bains de mer. Il en est ainsi d'Ault-Onival, de Quend-Plage, du Crotoy, de Mers-les-Bains, aussi bien que de Fort-Mahon.

Le concept de Belle Dune, aujourd'hui porté par le groupe Pierre & Vacances est différent de ces modèles. Il s'agit, en effet, de créer un ensemble de résidences tournées sur elles-mêmes, comme le montrent les images du reportage d'actualités tournées peu de temps avant l'inauguration du site et diffusées le 6 mai 1998. Elles suggèrent la possibilité d'une sociabilité villageoise au cœur d'un "environnement protégé" : l'architecture "à taille humaine" des bâtiments y invite, leur organisation autour d'un étang en atteste, la piétonisation du site la confirme et les quatre-vingts hectares du golf la valident. Et cette organisation a de quoi flatter les goûts des clientèles du Benelux, désormais rapprochées par l'autoroute A16. Bien qu'à quelques encablures de la plage, l'image de la mer n'est donc guère mise en avant ici, ne serait-ce que comme argument de vente. Au bord de la Manche, Belle Dune lui tourne le dos. Du coup, d'abord présenté comme une erreur, la cession de la centaine d'ha des bords de mer au Conservatoire du littoral est aujourd'hui valorisée comme garant de l' "écovillage". Ainsi, la logique d'emplacement de l'équipement se rapproche au moins autant de celle des Center Parcs que des stations balnéaires.

Au-delà, le village est présenté par le reportage comme modèle contemporain de développement touristique picard. Appuyé sur la présence d'autres équipements valorisant la Nature comme le parc du Marquenterre ou, plus largement, la Baie de Somme, les personnalités interviewées vont toutes dans le même sens de l' "écotourisme". Pour soutenir le projet, le directeur du syndicat mixte de la Côte Picarde insiste sur les "limites de la planète". Implicitement, c'est le "tourisme de masse" qui est visé. Le président du syndicat d'aménagement de Fort-Mahon attire l'attention sur l'organisation de la circulation par des "parkings de dissuasion" favorisant les déplacements à pieds, ce que critique implicitement le représentant de Picardie-Nature. Ils mettraient en cause la végétation dunaire. Soulignons au passage qu'aucune voix de Pierre & Vacances, propriétaire du site de Belle Dune, n'intervient.

Croisés avec les images, ces discours réfléchissent les difficultés, les enjeux voire les contradictions du développement touristique contemporain du littoral picard, du moins tels qu'ils sont formulés par une partie des acteurs. D'un côté, se trouve la volonté de faire venir ces touristes qui alimentent la machine économique et l'importance de l'argument "naturel" pour cela. De l'autre, la volonté de ne pas (trop ?) transformer les lieux, processus ici qualifié de "consommation d'espace". Une autre interprétation est cependant possible, qui donne à l'ensemble sa cohérence : et si l'argument écologique favorisait la venue de touristes particulièrement sensibles à ce critère mais aussi capables d'y mettre le prix ? Peu de touristes et beaucoup de revenus ! Voilà une équation de développement que beaucoup d'acteurs rêvent de mettre en œuvre...

Olivier Lazzarotti

Transcription

Laïd Berritane
Dans deux mois maintenant début la saison touristique sur la côte picarde. Elle coïncidera avec la fin d’un chantier, celui du site touristique de Belle Dune, à Fort-Mahon. C’est dossier préparé par Eric Le Gen et Régis Dequeker.
Eric Le Guen
C’est l’achèvement d’un projet aux multiples péripéties. La naissance de Belle dune remonte au milieu des années 70, lorsque les collectivités locales prennent conscience que la côte picarde souffre d’un déficit de lits d’hébergement touristique. Elles décident alors de créer une station de toutes pièces dans les dunes, entre Fort-Mahon et Quend Plage Un terrain de 250 hectares est acquis. Mais dès le départ, une centaine est revendue au Conservatoire du littoral pour préserver le front de mer du bétonnage. Erreur commerciale. La mode est aux appartements les pieds dans l’eau. Les investisseurs boudent le site. Début des années 90, les mentalités changent. Le calme et la nature font recette. Belle Dune peut voir le jour. Un projet de 400 millions de francs et un dilemme : comment marier écologie et économie ?
Jean-Christian Cornette
Alors il faut savoir se fixer des limites . Je ne suis pas sûr que tout le monde ait, aujourd'hui, compris que nous vivions dans un monde fini où des limites ne peuvent pas être dépassées. J’ai quelques craintes. C’est vrai. Je crois qu’un surdimensionnement des infrastructures viendrait à l’encontre des concepts que nous avons mis en place. Il faut être confiant en l’avenir. Il faut cultiver le paradoxe. Le développement n’est pas synonyme de consommation d’espace. Je crois que c’est un message qu’il faut faire passer. Il y a encore beaucoup de progrès à faire dans ce domaine.
Eric Le Guen
Les limites de Belle Dune, ce sont, à terme, 1500 personnes sur 150 hectares. Une véritable station touristique complètement autonome. Son golf de 80 hectares est déjà, aujourd'hui, à saturation. Avec cette capacité d’accueil, le nouveau village va peser sur la fréquentation touristique du littoral. A titre de comparaison, il ne s’est construit que 100 lits d’hôtel ces 4 dernières années sur l’ensemble de la côte picarde. Belle dune risque d’enclencher un processus d’attraction. Les élus locaux estiment que les infrastructures sont inadaptées.
Daniel Boudeville
On n’a pas assez de place de stationnement. De fait que nous réfléchissons actuellement avec le Conseil Général et le syndicat mixte pour l'aménagement de la côte picarde, pour la réalisation de parkings de dissuasion. Encore faut-il que les gens prennent l’habitude de stationner un peu en-dehors disons de la partie plage et qu’ils prennent l’habitude d’aller à pieds. C’est ainsi qu’on déguste vraiment le paysage picard.
Eric Le Guen
C’est exactement la crainte des écologistes picards. Il y a 20 ans, leur connaissance du milieu dunaire était très partielle. Aujourd'hui, ils savent sa richesse, sa diversité et surtout sa fragilité.
Patrick Thiery
Le revêtement végétal particulier fixe un petit peu la dune. Et si vous laissez pénétrer des dizaines ou des centaines de personnes, à certains endroits, vous allez avoir des trous dans la dune. Le vent va mobiliser à nouveau le sable. Eventuellement des tonnes de sable vont se déplacer.
Eric Le Guen
Belle Dune résume à lui seul la difficulté à résoudre l’équation du développement touristique picard. Comment promotionner la nature tout en la respectant ? L’éco village, par son fonctionnement, nous dira dans quelques années si la solution existe.