Le comptage des cervidés en forêt de Laigue

08 mars 2002
04m 15s
Réf. 00515

Notice

Résumé :

Le recensement des cervidés en forêt de Laigue est une opération nécessaire. Alain Vermersch (ONF) montre les dégâts sur les arbres frottés ou mangés. Le peuplement des cervidés, qui ont doublé en trois ans, se heurte à la nécessité de renouveler la forêt. On les recense de nuit. Chasseurs et défenseurs de la nature prêtent main forte à l'ONF pour ce comptage nocturne. C'est l'occasion de découvrir des chevreuils, des cerfs et même quelques sangliers dans les halos de lumière. Même si, Gérard Caplin de l'association Oise nature, pense que l'équilibre est atteint et si, Gérard Poiret pour les chasseurs, estime subir les plans de chasse, tous sont convaincus que les plans de chasse passés ont été trop importants.

Type de média :
Date de diffusion :
08 mars 2002
Source :

Éclairage

S'étendant sur 3.827 ha à la confluence de l'Aisne et de l'Oise, la forêt domaniale de Laigue fait le lien entre le massif de Compiègne et la forêt d'Ourscamp-Carlepont. Du règne de Louis XIV à 1791, puis durant la Restauration et la Monarchie de Juillet, cette forêt royale a été donnée en apanage à la maison d'Orléans. Comme Compiègne, la forêt de Laigue a été aménagée depuis des siècles pour la chasse, notamment pour la vénerie, c'est-à-dire la chasse à courre du cerf. On doit notamment à ces aménagements le réseau rayonnant de chemins forestiers, autour du carrefour du Puits d'Orléans, percé à la fin du Premier Empire.

Depuis les années 1980, on constate dans toutes les forêts picardes un accroissement important des dégâts de gibier. Les dégâts du cerf se marquent principalement par des abroutissements sur les bourgeons des jeunes arbres. Ils se caractérisent aussi par des frayoirs, qui sont les traces que fait l'animal en frottant ses bois sur les arbres. Les dégâts de chevreuils sont souvent plus diffus dans l'espace. Ils se caractérisent surtout par des frottis et des écorçages. Les sangliers font quant à eux surtout des boutis, en creusant le sol pour chercher des racines et des glands. Souvent concentrés, ces dégâts peuvent réduire à néant toute régénération, en condamnant à terme le renouvellement de la forêt.

La recrudescence des dégâts de gibier a des causes multiples (1). Comme dans de nombreuses forêts, les effectifs de grands ongulés ont dépassé les densités supportables dans les années 1980-1990, passant par exemple le seuil de 2, 5 à 3 têtes par hectare pour les cervidés (cerf élaphe et chevreuil). Les effectifs de sangliers ont augmenté dans des proportions encore plus importantes. L'animal, qui était resté longtemps rare en forêt domaniale, est aujourd'hui extrêmement abondant. L'augmentation des cheptels est liée à la fois aux quotas de chasse, à la gestion prudente des adjudicataires, à la faible rigueur des hivers, mais aussi à la plus grande abondance de la nourriture, causée par l'agrainage et l'amélioration des biotopes. L'évolution de la gestion forestière comme les tempêtes de 1990 et 1999 ont, notamment, conduit à l'ouverture des couverts et à l'augmentation des disponibilités alimentaires.

Dans les forêts très fréquentées par le public, comme celles de Compiègne et Laigue, les dégâts peuvent être renforcés par le dérangement du gibier, qui perturbe son rythme alimentaire.

Face à ces dégâts, le forestier est contraint à défendre ses plants par des protections individuelles (filets plastiques, spirales de protection) ou par l'engrillagement temporaire des parcelles, solutions qui présentent des coûts importants. Il peut aussi chercher à minimiser les dégâts en maintenant autour des arbres d'avenir une "souille" de taillis où à contenir les dégâts dans certains secteurs en cultivant de petites parcelles de prairies ou de cultures à gibier.

La prévention des dommages repose sur le maintien de l'équilibre sylvo-cynégétique, c'est-à-dire l'adéquation entre les disponibilités du milieu et le gibier. Cette nécessité conduit à réviser les plans de chasse régulièrement. En fin de saison de chasse, des comptages sont opérés de jour ou de nuit selon plusieurs méthodes selon les espèces. Pour le cerf, les comptages se font en début de nuit, aux phares, sur des parcours identiques chaque année, avec des observateurs embarqués. Cette méthode ne permet pas de connaître le nombre d'animaux avec une précision mathématique, mais elle indique une tendance permettant de comprendre l'évolution des cheptels. Ces comptages permettent de définir les attributions aux adjudicataires. La chasse à courre des cerfs mâles et des chevreuils perdure toujours en forêt de Laigue, avec un équipage commun à celle de Compiègne. Les cerfs, biches et chevreuils sont aussi chassés à l'approche et à l'affût, et le sanglier en battue.

La question des plans de chasse et celle, sous-jacente, du niveau acceptable de grands animaux dans les massifs forestiers, sont soumises à des appréciations divergentes qui divisent les scientifiques, les forestiers, les chasseurs et les défenseurs de l'environnement. Elle peut, localement, générer de réels conflits d'acteurs (2). En septembre 2002, par exemple, le plan de chasse grands cervidés en forêt de Laigue-Ourscamp a été annulé en justice, suite à une plainte d'une association de protection de l'environnement.

(1) Christophe Lorgnier du Mesnil, Chasse et forêt. L'équilibre forêt-gibier, Paris : Gerfaut, 2003.

(2) Voir l'article du Parisien du 4 juillet 2012 (consulté le 21 juillet 2013).

Jérôme Buridant

Transcription

Emmanuelle Lagarde
Bonsoir. Nous sommes dans la forêt de Laigue, au nord de la forêt de Compiègne. Dans quelques heures, il va faire nuit et nous allons partir recenser les cervidés. Ce recensement est devenu une nécessité au milieu des années 90, quand on s’est rendu compte que les biches et les cerfs se multipliaient à toute allure et qu’ils faisaient de gros dégâts sur la forêt. Alors le recensement permet, entre autres, de réévaluer le plan de chasse. Mais avant de vous montrer comment s’organise ce comptage nocturne, je vous propose de voir comment la forêt et les cervidés cohabitent au jour le jour. La forêt de Laigue, 3 fois plus petite que sa proche voisine de Compiègne. Plus discrète aussi, plus humide, plus sauvage. Mais les deux soeurs ont un problème en commun : les cervidés qui s’attaquent aux arbres en devenir.
(Bruit)
Alain Vermersch
Vous voyez ? Ici, ils ont trouvé le [inaudible] d’extraire la gaine… d’extraire le plan de la gaine. Et vous voyez ? Il a été frotté et il est mort. Et il a été brouté, il a été frotté par les chevreuils. Donc ça, c’est le comportement du chevreuil qui cherche à tout prix à frotter sur les essences qui ne sont pas ordinaires pour marquer son territoire. Ici, donc, nous avons un chêne qui a été planté il y a 5 ou 6 ans. Il a réussi à faire une petite tête. Et là, pas de chance, un cerf l’a encore une fois repéré et il s’est fait couper ici. Et donc, il repart sur une multitude de petites pousses. Il se transforme petit à petit en bonzaï. Je pense qu’il donnera difficilement un chêne de grande futaie.
Emmanuelle Lagarde
La cohabitation entre la forêt et les grands cervidés est devenue vraiment difficile après la tempête de 90. En tombant, les arbres créent de larges trouées. Au sol, les ronces et les graminées peuvent proliférer. Ils fournissent une nourriture de base abondante aux biches et aux cerfs. Le cheptel double en 3 ans et attaque la forêt.
Alain Vermersch
A terme, il n’allait pas mourir tout de suite mais on n’aurait pas pu renouveler les peuplements et on aurait perdu la capacité des peuplements à se régénérer naturellement. C'est-à-dire que les peuplements seraient devenus trop vieux au bout de 20 ou 30 ans, comme ça, nos peuplements seraient devenus trop vieux et nos semis auraient été dévorés, donc on n’aurait pas renouvelé la forêt en temps utile.
Emmanuelle Lagarde
Inquiet, l’ONF s’est donc lancé, il y a 7 ans, dans des opérations de recensement des cervidés pour revoir les plans de chasse à la hausse. Le comptage nocturne est l’une des méthodes employées. Chaque lundi de mars, les agents de l’ONF rejoignent des chasseurs et des défenseurs de la nature. Ensemble, ils vont sillonner la forêt.
Alain Vermersch
Deuxième équipe sous l’égide de monsieur Dupuis. C’est le grand barbu. [inaudible]
(Bruit)
Intervenant
Chevreuil.
(Bruit)
Intervenant 2
Broquarts !
Intervenant
Broquart. Non, c’est le même broquart, ça ?
(Bruit)
Intervenant
C’est le même brocart, ça.
Emmanuelle Lagarde
Beaucoup de chevreuils en ce début de parcours. Et parfois aussi, quelques surprises.
(Bruit)
Emmanuelle Lagarde
D’habitude, le sanglier fuit plutôt devant la lumière. Mais il faudra attendre l’arrivée dans les pâtures pour voir enfin une harde de cervidés.
(Bruit)
Intervenant
2,3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11.
Gérard Caplin
On est arrivé à un équilibre. Il y a une pression de chasse qui est importante, mais il y a un bon équilibre en ce moment. Mais il ne faudrait plus baisser. Parce que là, on est arrivé à un comptage d’animaux qui est, pour nous, bon.
Gérard Poiret
Nous, en tant que chasseurs, on nous impose les plans de chasse. Donc on est obligé de subir ce qu’on nous donne.
Emmanuelle Lagarde
Ce n’est pas de votre faute ?
Gérard Poiret
Ce n’est pas de notre faute. Nous, on a la pression sur le dos. On nous dit : « Voilà. Il faut payer tant et vous devez tuer tant ».
Emmanuelle Lagarde
Vous pouvez tuer moins ?
Gérard Poiret
On peut tuer moins. Mais quand vous avez payé… Sinon, vous payez dans le vide.
Emmanuelle Lagarde
Ecologistes et chasseurs sont, aujourd'hui, d’accord. Les derniers plans de chasse étaient trop élevés. Il n’aura fallu que 6 ans pour réduire la population de grands cervidés à un nombre acceptable pour la forêt. Mais si l’on va trop loin, la reconstitution du cheptel, elle, prendra des dizaines d’années.
(Bruit)