La création de la réserve ornithologique du Marquenterre

31 juillet 1993
03m 24s
Réf. 00528

Notice

Résumé :

Présentation de l'historique du domaine du parc du Marquenterre par Michel Jeanson son créateur. Il explique dans quelles circonstances ce domaine est devenu une réserve ornithologique.

Type de média :
Date de diffusion :
31 juillet 1993
Source :
FR3 (Collection: Pour mémoire )
Personnalité(s) :

Éclairage

La "nature" est-elle aussi "naturelle" qu'elle ne le paraît ? L'histoire que raconte l'un de ses principaux acteurs, Michel Jeanson, (petit-fils du journaliste écrivain Henri Jeanson), qui acquit le domaine en 1923 et fixa l'espace dunaire, est pourtant celle d'une combinaison continue de volontés affirmées, de décisions raisonnées – certaines n'auraient pu être mises en œuvre aujourd'hui – et d'opportunités saisies. De proche en proche, elle conduit au rachat achevé du site en 1986 par le Conservatoire du littoral, né quant à lui en 1975, puis à sa gestion en 2003 par le Syndicat Mixte Baie de Somme – Grand Littoral Picard. La reconnaissance de l'intérêt faunistique du lieu a donc son histoire. Et il fallut bien des péripéties, dont certaines dépassent largement la stricte échelle locale, pour valoriser l'exceptionnel biotope en partie créé par le polder. Invisibles dans les sables, on y croise pourtant les plus tragiques – la Guerre mondiale – comme les plus heureuses – L'Europe pacifiée et unie –. Plus tard, les scientifiques y reviendront au cœur de cette région zoologique du paléarctique occidental. Les oiseaux migrateurs, qui sillonnent la terre de la Sibérie à l'Afrique du Nord, y séjournent au cours de leurs migrations quand ils ne s'y reproduisent pas.

En outre, sur les 200 ha du parc, la nature est bien une construction. Ouvert au public en 1973, soit vingt ans avant la diffusion du reportage, le 31 juillet 1993, ses divers sentiers guident les visiteurs qui peuvent choisir autant la durée de leur boucle que les espèces d'oiseaux croisées : hérons, avocettes, spatules, tadornes et autres limicoles, etc. Une importante signalétique oriente les uns et initie les autres, moins informés, à ce qu'il convient de voir depuis des postes d'observation conçus à la manière des traditionnelles huttes de chasse qui parsèment aussi la baie de Somme. Les plantations d'arbres, faites après la Guerre, façonnent encore à leur manière les paysages traversés. Bref, au Marquenterre, la rencontre entre les 130 000 visiteurs et les oiseaux est tout, sauf fortuite.

Prolongeant le mouvement, la Réserve naturelle de la Baie de Somme est créée en 1994. Elle inclut désormais le parc dans un ensemble protégé de 3000 ha. L'oiseau, n'est plus seulement la bête à chasser. Il devient un emblème du site et un marqueur territorial pour toute la Baie, voire au-delà. Le festival annuel de l'oiseau et de la nature en cultive l'image. Le parc s'intègre ainsi à un ensemble d'équipements et d'animations touristiques qui complètent l'offre des stations déjà existantes. Les enjeux sont donc écologiques, certes, mais ils sont aussi économiques. En cultivant les singularités du littoral picard, ici le rapport à l'eau et à ses oiseaux, le Parc du Marquenterre fait partie d'une chaîne d'offre touristique qui vise à valoriser ce que le littoral picard et son dispositif phare, la Baie de Somme, peut présenter d'unique, autrement dit ce qui n'est pas délocalisable. Ainsi, le Parc du Marquenterre, tel qu'il existe aujourd'hui et bien que fondé sur l'argument de la "nature", interroge autrement : parce qu'il fait aussi partie d'une stratégie marketing et de communication, n'est-il pas aussi un équipement touristique, réussi en l'occurrence, un peu comme les autres ?

Olivier Lazzarotti

Transcription

Jean-Marc Huguenin
Cette production horticole qui se perpétue aujourd'hui a pourtant bien failli disparaître. En effet, Michel Jeanson avait, au lendemain de la guerre, un grand projet de culture sur le littoral. Il lui fallait pour cela construire une digue pour cultiver sur le bord de mer. Mais le lancement du marché commun le livre directement à la concurrence hollandaise et remet tout en question.
Michel Jeanson
L’événement nouveau, c’est le marché commun, c’est les perspectives des accords de Rome. Quand on a vu ça, on a dit : « On est foutu. On va se faire… » Alors on avait prévu de faire une grande culture. J’avais été trouver le préfet de la Somme au lendemain de la guerre, en 1948 ou 49. Je lui ai dit : « Monsieur le préfet, je voudrais cultiver la plage ». Il me regarde avec des yeux ronds. J’ai dit : « Oui. Moi, je veux donner du travail à mon personnel plus tous les gens qui sont… qui ont besoin de travailler dans le pays. Il y a 250 ouvriers qui doivent travailler sur la plage à faire des jacinthes et des tulipes ». Et alors, pour cultiver la plage, il faut faire une digue. Alors j’ai donc fait un dossier. C’était très long. Et puis ça a été très long parce qu’il y a eu 5 ministères qui ont donné leur avis. Alors il a fallu aller d’un ministère à l’autre pour s’assurer que tout était en ordre. Et puis en 55, j’ai eu la concession d’englober par une digue 200 hectares, 190 hectares exactement, entre l’embouchure de la mer et la pointe de Saint-Quentin. C’était le futur parc, mais je ne savais pas. A l’époque, c’était pour faire la culture des tulipes. Et quand on a vu le marché commun, on a dit : « Il faut trouver une autre solution ». Et puis alors il y a eu un événement alors là tout à fait inattendu, mais ça s’est passé à un mois près de cette idée, de cette décision que nous allions prendre ou pas la prendre. L’apparition… la visite d’un fonctionnaire du ministère qui vient me trouver en me disant : « Monsieur Jeanson, nous voudrions faire une petite réserve de 30 hectares. Mais alors c’est dans le plus grand secret. Il ne faut pas que vous en parliez. C’est absolument confidentiel. Parce que nous allons avoir la réaction des chasseurs. Ça va être le lever de bouclier ». Forcément la baie de Somme, c’est le pays des chasseurs. « Qu’est-ce que vous voulez me demander ? », « Nous voudrions faire une réserve de 30 hectares contre chez vous, contre votre digue que vous êtes en train de construire ». Vous vous rendez compte ? Je lui dis : « Ce n’est pas possible ! Vous ne me demandez pas ça ! » Et puis j’ai réfléchi, je lui ai répondu tac au tac. Je lui ai dit : « Monsieur, ce n’est pas 30 hectares que allez mettre en réserve. Parce que dans vos 30 hectares, les chasseurs, ils vont tout autour. Il n’y aura pas un oiseau dans vos 30 hectares. Il faut mettre 3000 hectares en réserve ». Et c’est parti de là.
Jean-Marc Huguenin
Cette zone de polder avec ses nombreux canaux devient alors un lieu privilégié pour les oiseaux qui viennent s’y reposer à marée haute ou sur leur parcours de migration. En 1973, 5 ans après la création de cette réserve de chasse au nord de la baie de Somme, un parc ornithologique géré par l’association Marquenterre nature s’ouvre au public, un parc qui draine aujourd'hui 100 000 visiteurs par an dont 35 000 scolaires.
(Bruit)