La bibliothèque du chapitre de Noyon

31 janvier 1987
04m 29s
Réf. 00730

Notice

Résumé :

L'historien Jean Goumart, explique comment les chanoines de Noyon, qui au début obéissant à l'ordre de Saint Augustin, vont petit à petit vivre individuellement en notables. Érudits, ils font construire une bibliothèque qui est aujourd'hui unique en France. Celle-ci contient de nombreux manuscrits des XVIe et XVIIe siècle dont des pièces richement décorées.

Type de média :
Date de diffusion :
31 janvier 1987
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Éclairage

C'est un véritable trésor de mémoire et d'architecture que cette bibliothèque du chapitre de Noyon. Seule bibliothèque en bois de ce type à son époque, semble-t-il, ce bâtiment alors appelé "librairie", (la langue anglaise a gardé le terme originel, "library" désignant encore aujourd'hui une bibliothèque) fut édifié en 1506, au sortir du Moyen Âge, à l'orée de la Renaissance. Dans la ville même où le réformiste Jean Calvin allait naître trois ans plus tard en 1509, à quelques pas seulement de la cathédrale, cette édification doit être interprétée non seulement comme un symbole mais comme une preuve réelle de modernité et d'attention accordée à la diffusion grandissante du livre d'imprimerie. Par comparaison, André Masson (1) parle des 19 ouvrages recensés au catalogue de 1220. L'une des originalités de cette bibliothèque, toujours perceptible au premier coup d'œil aujourd'hui, est sa construction sur piliers. Dix piliers soutiennent ce bâtiment de 23 mètres 50 de long sur 5 mètres de large lui conférant l'élégance d'un vaisseau du savoir. Pourquoi cette structure ? Peut-être par désir de protéger manuscrits et incunables de l'humidité. Pénétrer aujourd'hui (par permission spéciale) dans cette longue salle meublée de pupitres, chacun placé dans l'embrasure d'une fenêtre, provoque chez l'amateur de livres une véritable émotion. Il faut imaginer les pupitres d'alors en forme de lutrin, les livres étant enchaînés à leur base pour empêcher le vol. Contre les murs furent élevés au XVIIe-XVIIIee siècle des rayonnages accueillant successivement les 3000 exemplaires que comporte aujourd'hui la bibliothèque. Parmi eux figurent des traités de théologie thomiste, des éditions de Calvin, Montaigne et Pascal. Le trésor secret est constitué par l'évangéliaire de Morienval (abbaye bénédictine de femmes datant du XIe siècle, édifiée dans la vallée de l'Automne, près de Crépy-en-Valois), dont les enluminures remarquablement conservées sont protégées par une couverture en bois incrustée d'ivoire.

(1) Pour une information plus détaillée sur ce monument exceptionnel du patrimoine français on se reportera au Bulletin des Bibliothèques de France (BBF) en date de 1957, tome II n°2. L'article rédigé par André Masson, "La "librairie" du chapitre de Noyon et l'architecture des bibliothèques françaises à la fin du Moyen Âge", accessible sur Internet, y est remarquable de technicité et de précision.

Jacques Darras

Transcription

Thierry Bonte
Jusqu’au XIe siècle, les chanoines de Noyon forment une collectivité fermée sur elle-même et obéissant à la règle de Saint-Augustin. Ensuite, les prélats se séparent et s’installent dans des maisons particulières, vivant comme des notables, jouissant de privilèges liés à leur situation. Parmi eux, certains ont fonction d’érudits. Ils traduisent et étudient les oeuvres philosophiques et théologiques. Au début du XVIe siècle, ils se sont font construire une bibliothèque pour classer les livres qui s’amoncellent. Toujours en place, celle-ci a bénéficié d’une restauration qui en fait la seule bibliothèque publique de ce style en France.
(Musique)
Jean Goumart
Comme il y avait un lot qui s’accroissait par les donations depuis à peu près le IXe, Xe siècle, les chanoines eurent l’idée de les rassembler dans un lieu convenable et de faire ce qui se créait à cette époque-là : une librairie selon les normes de l’époque, à savoir des dimensions qui sont à peu près identiques partout, d’une longueur de 20 et quelques mètres, d’une largeur de 5 mètres, des pupitres devant chaque fenêtre. Où je suis, là, il y avait un pupitre qui était perpendiculaire à la fenêtre pour l’éclairage. Et les livres se trouvaient sous le pupitre, dans la partie inférieure. On les remontait sur le pupitre. Et ils étaient enchaînés eux aussi, n’est-ce pas, parce qu’ils risquaient d’être volés. Alors les chanoines travaillaient donc là, debout ou assis.
Thierry Bonte
Vous nous disiez qu’il y avait un fond documentaire qui avait été restauré aujourd'hui. Est-ce qu’il y a, dans ce fond documentaire, des ouvrages particulièrement intéressants ou singuliers ?
Jean Goumart
Il reste, dans cette bibliothèque, quelques manuscrits en volumes. Il reste des incunables. Et le fond principal est constitué par des livres du XVIe siècle et en moindre nombre, du XVIIe siècle. Ils concernent surtout la théologie, la philosophie religieuse thomiste en particulier. Et également des sciences de la vie comme l’art de la chasse, l’art de la cuisine. Des livres pratiques, vous voyez, qui intéressaient les chanoines.
Thierry Bonte
Le fond littéraire de cette bibliothèque comprend encore 3000 ouvrages parmi lesquels des livres rarissimes : oeuvres de Calvin, Pascal et Montaigne mais surtout quatre recueils de musique vocale datant des origines de l’imprimerie ainsi que l’évangéliaire de Morienval, manuscrit carolingien datant du IXe siècle.
(Musique)
Thierry Bonte
La couverture de ce manuscrit millénaire est en bois incrusté de motifs d’ivoire. Certaines miniatures sont des illustrations des fables du poète grec Esope, d’ailleurs reprises beaucoup plus tard par La Fontaine. Les couleurs primaires utilisées à l’époque, et notamment le bleu et le rouge, sont remarquablement conservées.
(Musique)