La langue picarde : situation après la signature de la Charte des langues régionales

18 mai 1999
03m
Réf. 00007

Notice

Résumé :

La France a signé la Charte européenne qui reconnaît les langues régionales. La Charte prévoit une réhabilitation des langues régionales qui laisse présager d'une promotion du picard. Mais un rapport demande la compétence du Conseil régional en la matière, ce que refuse le conteur Laurent Devime qui souligne l'image négative qu'ont les institutions de la langue régionale. S'il est difficile d'évaluer le nombre de personnes qui parlent le picard dans l'ensemble du domaine linguistique, J M Eloy explique que ce qui fait la richesse d'une langue, c'est aussi sa littérature, et l'attachement des habitants. A suivre à l'Assemblée nationale, avec un débat sur les langues qui seront effectivement concernées.

Date de diffusion :
18 mai 1999
Source :

Éclairage

Adoptée par la convention européenne de 1992 - sous les auspices du Conseil de l'Europe -, la "Charte européenne des langues régionales ou minoritaires" a été proposée pour protéger et promouvoir le pan du patrimoine culturel européen que représentent les langues régionales et les langues des minorités.

Ce reportage qui date de 1999 évoque la question de la ratification de cette charte par la France, alors que de nombreux pays européens comme l'Allemagne, l'Espagne, les Pays-Bas ou encore la Suisse l'ont déjà fait.

Alors qu'elle l'a signée le 7 mai 1999 et qu'elle s'est engagée à soumettre à la ratification 39 dispositions sur les 98 que compte la Charte, la France n'a, à ce jour, toujours pas ratifié celle-ci, visiblement en raison des nombreux enjeux soulevés par son adoption.

La ratification de cette charte doit en effet s'accompagner d'un certain nombre d'engagements et de mesures au rang desquels figurent une action de promotion explicite de chacune de ces langues – notamment d'un point de vue financier –, la mise en place de moyens appropriés pour garantir un enseignement à tous les niveaux dans ces variétés, ou encore l'utilisation et la représentation possible de ces langues dans les différents services publics.

En contradiction avec le principe d'une République "une et indivisible", la ratification de cette charte apparaît même, d'après le Conseil constitutionnel, comme contraire au deuxième article de la Constitution, lequel affirme que "la langue de la République est le français".

Promesse de campagne du Président François Hollande, le processus de ratification est engagé depuis le 28 janvier 2014 par un vote de l'Assemblée nationale (361 voix pour et 149 contre), mais il faudra un projet de loi constitutionnelle pour permettre son adoption par le Congrès et modifier ainsi la Constitution. Ce qui ne semble pas d'actualité aujourd'hui (1).

Jean-Michel Eloy, professeur de linguistique à l'Université de Picardie Jules Verne et directeur du Centre d'Etudes picardes, pointe dans ce reportage la problématique de la reconnaissance de la langue régionale. Face à une approche dominante de patrimonialisation qui figerait dans l'ambre la langue, l'universitaire plebiscite une réintroduction du picard dans les usages courants qui permettrait en plus de sa transmission, son enrichissement.

Cette actualisation qui maintient la langue picarde en mouvement est notammant assurée par les nombreux auteurs et conteurs comme Laurent Devîme, qui assurent publications, créations et ateliers pédagogiques.

En dépit de cette situation de blocage, la sauvegarde et la promotion de la langue et de la culture picardes continuent de bénéficier de l'activité de nombreux acteurs institutionnels (Conseil régional de Picardie, Agence pour le picard, Centre d'Études Picardes – notamment en charge de l'édition et de la diffusion d'ouvrages sur la langue et la littérature picarde, les activités de ce centre ont été confiées à Jean-Michel Eloy, Professeur de Linguistique à l'Université de Picardie Jules Verne –) et associatifs (Ch'Lanchron, Insanne, Tertous, etc.), démontrant ainsi l'attachement de toute une région à des valeurs qui peut-être seront un jour reconnues lors de la ratification de cette fameuse charte.

(1) Rédigé le 10 avril 2014. Voir le dossier de l'Assemblée (31/01/2014) : http://www.assemblee-nationale.fr/14/dossiers/ratifier_charte_langues_regionales_minoritaires.asp

Christophe Rey

Transcription

Laurent Quembre
Le picard sera-t-il bientôt considéré comme une langue régionale au même titre que le basque ou le breton ? Le parlement français doit bientôt rendre définitive la liste officielle des langues régionales. En Picardie, on espère bien sûr que sera reconnue cette spécificité culturelle de notre région. Jean Forneris et Hervé Bruat.
Forneris§Jean
Si le parlement devait ratifier la charte, Doullens pourrait tout aussi bien s’écrire [Dourlens], Amiens [Anmiens], Abbeville [Addeville], en bon picard. Le 7 mai dernier, la France a retenu 39 engagements de l’accès dans les langues régionales aux lois les plus importantes à l’utilisation de ces langues en maternelle, en primaire, si un certain nombre de familles le souhaite. Un ensemble de mesures qui va dans le sens d’une réhabilitation de la langue régionale.
Eloy§Jean-Michel
Il y a des millions de citoyens à qui on a fermé le bec pendant des siècles en leur disant que ce n’était pas beau. Mais l’humiliation, c’est une force sociale. Et il y a quelque chose à faire actuellement, me semble-t-il, à propos des langues sur ce plan-là.
Devime§Laurent
Qui ech' qui connot des geins qui s'appel't Duflot ? Duflot, ça veut dire, en français, de la mer.
Forneris§Jean
La future charte devra donc encourager la promotion du picard. Les associations culturelles qui valorisent le parlé régional ont déjà compris ce qu’elles pouvaient attendre de cette charte : plus de soutien financier, plus d’initiatives en leur faveur. Un rapport remis en octobre dernier au Premier ministre propose d’ailleurs que la région devienne la collectivité compétente en matière de langue et de culture. Une perspective qui inquiète actuellement les défenseurs du picard.
Devime§Laurent
On sent quand même que pour le picard, c’est comme si c’était une culture de deuxième classe, de deuxième ordre. On le voit bien, quand on a des relations avec le conseil régional, avec l' OCRP. Au lieu de penser épanouissement, on pense patrimoine. Alors c’est quand même un petit peu vexant pour les gens qui sont plutôt sur une base de créativité, d’imagination. Déjà qu’on aide ça. Et puis aussi, une partie sauvée, tout simplement, parfois. Il faut savoir sauver des pratiques, quoi.
Forneris§Jean
Le domaine linguistique picard s’étend historiquement bien au-delà de la Picardie actuelle, jusqu'en Belgique. Un bassin de 6 millions d’habitants. Un dernier sondage indique que 500 000 à 2 millions de personnes pratiquent le picard, mais rien de vraiment précis. Pour autant, selon le centre d’étude picard de la faculté de lettres d’Amiens, le parlé n’est pas le seul élément pris en compte pour la reconnaissance d’une langue régionale.
Eloy§Jean-Michel
On a une littérature en picard, ancienne et actuelle très vivace. Il y a des centaines de personnes qui écrivent et qui publient en picard. Bon, il y a un attachement très grand de très nombreuses personnes dans une vaste région. Evidemment que le picard mérite d’être reconnu comme langue régionale.
Forneris§Jean
La ratification de la charte prendra la forme d’un projet de loi assorti d’une liste précise de langues régionales à reconnaître. Le débat devrait s’ouvrir avant la fin de l’année. De quoi nourrir les réflexions d’un certain Lafleur.