Chés Cabotans et Lafleur

22 janvier 1991
04m 53s
Réf. 00024

Notice

Résumé :

Présentation de Chés Cabotans d'Amiens, troupe de théâtre de marionnettes fondée en 1933. Jacques Auvet, définit le personnage de "Lafleur", né fin du XVIIIe début XIXe siècle, dont la devise est bien manger, bien boire, et ne rien faire". Ce théâtre de marionnettes est un théâtre populaire dans lequel transperce des revendications sociales.

Type de média :
Date de diffusion :
22 janvier 1991
Source :
FR3 (Collection: Pour mémoire )
Personnalité(s) :
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Éclairage

Qu'ils mettent en scène des marionnettes à manche, à doigts, à fils, à tringles, ou encore à baguettes, les spectacles de marionnettes se sont développés en France à partir du XVIIIe siècle et se sont imposés en tant que véritable tradition théâtrale. Deux personnages constituent les emblèmes de ce genre : Guignol, le lyonnais et Lafleur, l'amiénois.

En Picardie et spécifiquement dans l'amiénois, les théâtres de marionnettes se développent de façon rapide durant le XIXe siècle et constituent une des formes dominantes de la culture populaire d'alors. Les histoires racontées, transmisent la plus part du temps, par l'oralité, remplissent plusieurs rôles. Tout d'abord, peu chers et de caractère comique, les spectacles de marionnettes sont un divertissement prisé par les habitants pauvres des différents quartier amienois. Ensuite, le ton critique et l'esprit anarchiste des pièces jouent un rôle d'exutoire pour une classe sociale dominée par la bourgeoise.L'avènement du cinématographe, puis la Première Guerre mondiale afflaibliront l'audience de cette forme de spectacle.

En fondant en 1933 le théâtre Chés Cabotans d'Amiens, Maurice Domon s'inscrit dans la continuité de cette tradition populaire et impulse un nouveau souffle salutaire à cette dernière. Il choisit alors de faire du personnage de Lafleur, la "tête d'affiche"de son théâtre.

Traditionnellement habillé en costume de velours rouge comme les laquais du XVIIIe, d'une chemise à jabot et de bas rayés rouge et blanc et portant un chapeau tricorne, Lafleur est accompagné de Sandrine – sa femme –, de Tchot Blaise – son inséparable compagnon – ou encore de personnages comme Popaul Calicot ou Papa Tchutchu.

Mis à l'honneur dans de nombreuses œuvres littéraires lui ayant été consacrées – notamment par Edouard David, Léon Gaudefroy, ou encore Maurice Domon –, la marionnette de Lafleur a connu plusieurs apparences avec ses sculpteurs successifs mais a conservé une identité forte, caractérisée par un franc parler, un esprit de fronde et de moquerie et des démêlés réguliers avec l'autorité.

Ce personnage s'exprimant en picard est à la fois un des représentants des traditions picardes, mais aussi le symbole des aspirations de toute une société à une vie meilleure. La devise de ce libertaire, défenseur des plus faibles est ainsi : bien manger, bien boire, et ne rien faire.

À travers ses activités nombreuses (pièces de répertoire, créations, ateliers pédagogiques, expositions...), la compagnie Chés Cabotans d'Amiens, est depuis plus de quatre-vingts ans non seulement un acteur essentiel de la vie culturelle amiénoise mais aussi un des promoteurs de la culture et de la langue de toute une région.

Chés Cabotans d’Amiens, parfois en rupture avec ses aînés, interroge et redéfinit le rôle de la marionnette comme objet de création artistique. Ce théâtre de recherche, a été initié en région par la compagnie Chés Panses Vertes, fondée en 1979 et devenue en 2009 Pôle des Arts de la marionnette en région Picardie sous le nom de "Tas de Sable – Ches Panses Vertes".

Christophe Rey

Transcription

Patrice Tedy Colleuille
Au Lyonnais, Guignol répond l’Amiénois Lafleur, et les deux villes rivalisent à l’envie pour tout ce qui touche à la tradition marionnettiste. Si la grande époque du théâtre de marionnettes dans l’Amiénois se situe entre le début du XIXe siècle et la Première Guerre mondiale, la renaissance, le renouveau de cette tradition remonte à 1933 avec la création de ces Cabotans d’Amiens, troupe qui, depuis lors, maintient contre vents et marées l’esprit de Lafleur et de son petit théâtre et fait perdurer le souffle ancestral.
Marionnette Sandrine
Lafleur, sit u n’m’ouves point l’peurte, ej m’in vos foaire un malheur, hein!... Oh, qué misère, em laisser toute seule din chés rues, el nuit d’Neuèl, avu tout ch’qu’o voét à l’télé, et pi tout ch’qu’o lit din « Détective » !... Oh, attinds min fiu, tu vos vir… Lafleur ! El comédie-lo al o assez duré ! Taint pis pour ti : i nn’est ch’qu’i nn’est ! Ej vos m’éjter din l’rivière ! T’auros m’mort su t’conchiènche, hé, lâche d’aller ! Tiens, viens m’quièr ! Achteure, éj vos moérir ! AHHH !
Marionnette Lafleur
Sandrine !... Mais ch’est pour du rire, hein !... Oh, mais nom des boés, quoè qu’j’ai coér foait, mi ?... Ch’est point possibe, cho !... Sandrine ! Mais rviens lo, hé, ch’étoait pour rire, quoè ! J’én té mettrai pu janmoais à l’peurte !Ej te dmande pèrdon !
Auvet§Jacques
Si on prend le cas de Lyon, bon, les personnages, d’abord ceux qui ont précédé Guignol et puis Guignol par la suite ont exprimé incontestablement la manière de vivre, le milieu ambiant, la révolte des Canuts donc ce des ouvriers qui étaient confrontés au problème du textile dans la région lyonnaise. Et il est très vraisemblable aussi que, en Picardie, c’est un peu un phénomène similaire. C’est aussi un personnage qui a été lapidé tout au cours des siècles, je dirais presque des millénaires, qui est un paysan qui a participé pratiquement à tous les conflits, à toutes les guerres parce que la Picardie est une terre d’invasions. Donc qui était maltraité, qui était malheureux et qui n’avait pas d’autre sort que celui d’être soldat ou valet. Quand on connaît la devise de Lafleur, on situe très bien le personnage. Sa devise, c’est : « Bien boère , bien matcher pis ne rien foaire. » Vous pensez que quand on ne comprend pas le picard, éventuellement, on peut dire : bien boire, bien manger et ne rien faire. Ce n’est pas simplement… Ce ne sont pas simplement des défauts. Encore que pour faire rire, on le sait très bien qu’au théâtre, on montre des défauts plutôt que des qualités et on les exacerbe, en quelque sorte, bien sûr, on les développe. Et c’est un petit peu pour ça qu’on a fait ce personnage un peu caricatural de Lafleur. Bien boire, bien manger, ne rien faire. Mais en réalité, il y a tout un fond de revendication sociale qui se cache derrière ça. Bien boire, c’est pouvoir avoir plus d’argent, c’est pouvoir aussi boire du champagne plutôt que du gros rouge. Bien manger, c’est pareil : c’est pouvoir avoir de la viande tous les jours, avoir de quoi dans son assiette. Bon, pour ça encore faut-il avoir une position sociale qui le permette, surtout lorsqu’on sait que Lafleur naît à la fin du XVIIIe siècle, au début du XIXe. Bon, donc dans des conditions difficiles. Et ne rien faire, eh bien, c’est aussi l’aspiration à un bien-être, à mieux être, au repos également, quand on sait que quand il est né, on travaillait tous les jours et on travaillait 14 heures ou 15 heures par jour.
Patrice Thedy Colleuille
Alors il est habillé un peu comme un valet de comédie ?
Auvet§Jacques
Oui, c’est un valet de comédie. D’ailleurs, le nom même de Lafleur est un nom qu’on retrouve dans beaucoup de comédies et il est le valet de comédie de la petite livrée, parce que certains, quelquefois, [inaudible] de l’habiller comme un prince, dans la livré de réception avec jabot et dentelles et bas blancs. En réalité, on sait très bien que Lafleur, normalement, comme il n’est pas très courageux, pas très travailleur, il est courageux pour se battre, nous y reviendrons, mais il n’est pas très courageux pour le travail donc il travaille très peu. Il est très peu vraisemblable que les seigneurs qui l’emploient lui confient une livré qui vaudrait cher avec de la dentelle, des jabots et tout ce qui s’ensuit.
Marionnette Le cadoreux
Gare à toi, tu pourrais bien finir un jour dans ma lunette !
Marionnette Conventionnell
Oh, Lafleur, débarrasse-moi de ce triste sire !
Marionnette Lafleur
Heuh !... T’es boin, ti, ej n’ai point l’invie d’finir comme Chaint-Firmin, avu m’tête din mes mans !
Marionnette Le cadoreux
J'travaille pas pour le plaisir moi, j'ai une famille à nourrir. Sors d'ici infâme, tu es encore couvert du sang de tes concitoyens, affameur !
Marionnette Lafleur
Ah, tu cminches à m’casser m’caboche avu tes diries, ch’canibale, hein ! Allez, tiens, spèce ed bindit ! Prinds cho din t’panche !