La chasse à la hutte

30 janvier 1986
05m 45s
Réf. 00126

Notice

Résumé :

Nous suivons Frédéric Coupelle qui chasse à la hutte dans les marais des monts de Mareuil-Caubert. A la tombée de la nuit, il part "mettre des implants" : il attache des cannes qui, par leurs cris, attirent d'autres gibiers. Suivent des heures d'attente, allongé entre terre et eau, la carabine à la main, prêt à tirer à la première alerte. Pour passer ces nuits de guet, chaque chasseur a aménagé une hutte sur le marais, créant ainsi toute une ambiance, ce que Frédéric Coupelle appelle "le plaisir de la chasse."

Type de média :
Date de diffusion :
30 janvier 1986
Source :
FR3 (Collection: Pour mémoire )
Personnalité(s) :

Éclairage

La France est, dans les années 1980, le pays d'Europe où l'activité chasse est la plus répandue (autour de 2 millions de pratiquants) même si celle-ci apparaît en déclin depuis 1975. Les titulaires d'un permis de chasse représentent alors près de 4% de la population nationale. La pratique cynégétique recouvre néanmoins des modalités très différentes. A côté des chasses traditionnelles (faisans, pigeons ramiers, lapins, grives, perdrix), certaines se distinguent par un très fort ancrage local. Si elle n'est pas exclusive, la chasse aux gibiers d'eau (colverts, canards plongeurs, sarcelles, bécassines...) est ainsi fortement prisée dans la Somme, département jalonné d'étangs, de marais et de cours d'eau et, par ailleurs, historiquement lié à l'activité chasse (le taux de pratiquants, supérieur à 5%, dépasse la moyenne nationale). Les oiseaux en voie de migration vers les territoires du sud, qui sont nombreux à faire étape dans les marais de Somme, constituent dès lors une ressource centrale, non seulement pour l'activité cynégétique mais aussi pour l'économie touristique.

Ce sont les "marins-pêcheurs-chasseurs" qui, à l'origine, pratiquaient la chasse aux gibiers d'eau à des fins alimentaires et économiques. Son existence en tant que pratique réglementée remonte à 1844. Elle n'a cessé dès lors de se développer. Ainsi, au tournant des années 2000, plus de la moitié des chasseurs du département (14 000) exercent leur activité dans les marais de Somme et plus d'un tiers d'entre eux (10 906) privilégient la chasse aux gibiers d'eau. S'ils s'intéressent aux mêmes proies, ces "sauvaginiers" n'utilisent par pour autant des moyens de chasse identiques. La forme la plus connue et la plus traditionnelle demeure la "chasse à la hutte". Se déroulant de nuit, elle consiste à tirer le gibier d'eau depuis un abri, la hutte, dont le nombre est évalué à plus de 2200 en Somme au tournant des années 2000. Seulement, cette pratique traditionnelle se révèle à la fois coûteuse en temps (notamment si le huttier a une vie de famille) et en argent (pour ceux qui ont la nécessité de louer des huttes). Aussi, certains adeptes du gibier d'eau préfèrent chasser "à la botte" (prospecter de jour les marais) voire "au hutteau" (aménager des abris provisoires à l'aide de toiles ou de boîtes à roulettes) en Baie de Somme. Ces chasses, qui nécessitent d'approcher au plus près les oiseaux, s'avèrent à la fois plus physiques et plus difficiles car le gibier peut facilement percevoir le guetteur.

Pourtant, quelle que soit la technique privilégiée, la chasse aux gibiers d'eau constitue un marqueur fort de la culture locale, ce dont rendent compte les chasseurs à la hutte (aperçus dans le reportage) qui pratiquent leur activité dans la zone des marais et monts de Mareuil-Caubert (située au sud d'Abbeville, elle est classée "Natura 2000" depuis 2008). L'apprentissage se fait par l'intermédiaire de proches ou d'anciens huttiers, qui initient le jeune chasseur au savoir-faire traditionnel: sélectionner les "implants"et les placer correctement, connaître les conditions météorologiques les plus favorables et les meilleures périodes de chasse, intégrer les périodes d'attente et d'observation. Cette forme de transmission permet ainsi de conserver un patrimoine, et donc de valoriser un ensemble d'usages cynégétiques propres au territoire samarien.

Sébastien Stumpp

Transcription

(Musique)
(Bruit)
Frédéric Coupelle
Les appellants se disposent selon le vent, c'est-à-dire qu’on attache le gibier face au vent.
(Bruit)
Frédéric Coupelle
Si on n’attache pas, toujours pareil. C'est-à-dire si le vent est à l’est, il faut attacher avec le vent d’est. Et si le vent est au nord, il faut attacher avec le vent du nord. Il faut… Il faut placer ses appellants de manière à ce que le gibier ne soit pas rebuté par les implants. C'est-à-dire si on passe un gibier… si on place un appellant contre le vent, le gibier arrive toujours pour se poser bec au vent. On appelle ça bec au vent. Et si on les place du mauvais sens, les gibiers sont rebutés par les appellants qui sont dans la mare et ils ne se posent pas.
(Bruit)
Patrice Thedy Colleuille
Qui vous a appris à poser ? Qui vous a appris à sélectionner ?
Frédéric Coupelle
A sélectionner ? J’ai appris, moi, personnellement, par un camarade qui est plus vieux que moi. Et j’ai commencé à la hutte avec lui. Je veux dire il y a 3 ou 4 ans, j’allais à la hutte avec lui. Il avait déjà été à la hutte. Il avait déjà ses canards. Et il m’en a donné quelques-uns. Et à force, j’ai réussi… A force de croisements, j’ai réussi à avoir de bons canards.
Patrice Thedy Colleuille
Alors ce qui est important, justement au niveau de la cane, c’est trouver une cane qui ait un chant parfait, un bon chant ?
Frédéric Coupelle
Qui a un très bon chant, un chant parfait, je ne sais pas si ça existe, mais qui a enfin un très bon chant et qui plait au gibier surtout. C'est-à-dire que le long cri, à force de son chant, intéresse le gibier et il vient tourner autour de la mare. Et on a aussi les demi-cris qui sont là pour forcer le gibier à rester auprès de la mare c'est-à-dire qu’ils chantent beaucoup plus fort tout d’un coup. Et enfin, le court cri, pour faire poser le gibier, c'est-à-dire au moment où le gibier arrive au-dessus de la mare, au-dessus des [inaudible], donner 3 coups brefs pour faire poser le gibier.
(Bruit)
Huttier
La plupart des huttiers, les vieux huttiers de Mareuil-Caubert sont des personnes qui, bien souvent, n’ont pas quitté leur terroir. Alors c’est quand même, si vous voulez, maintenant un peu moins chez les jeunes. Il faut être franc. Mais dans les familles des vieux huttiers, c’était vraiment quelque chose de fantastique d’attendre… cette attente, dire : « Tiens ? », regarder le ciel, « Les vents sont de quelle direction ? » Et il n’y a pas : « Tiens ? Il y a une volée [inaudible] qui est passé hier », « Tiens ? Une petite sarcelle qui se balade » Voyez-vous, il y a l’observation du temps. Et bien souvent, le vieil huttier fait beaucoup de météo. Alors c’est par la météo qu’on sait qu’il y aura une migration.
Patrice Thedy Colleuille
La bonne époque, le bon moment, c’est quand, alors ?
Huttier
On dit toujours qu’il y a le passage de Toussaint. Pour l’instant, vous voyez, aujourd'hui, c’est le calme plat. On est la semaine de Toussaint. On dit aussi le passage de Noël. Mais tout ça, c’est relatif parce qu’on peut avoir un passage qui dure… Moi, j’ai déjà vu puisque il y a une dizaine d’années, j’étais huttier. Sincèrement, j’y allais fréquemment), j’ai eu un passage dans un hiver qui était un très beau passage mais je suis arrivé une demi-heure en retard. J’ai quitté à 4 heures et le passage s’est fait à 4 heures et demi. Et à 5 heures, il n’y a plus eu de passage. Voyez-vous, ça peut être un laps de temps. Le gibier ne passe pas comme ça et reste. C’est un laps de temps. Parfois, il passe au-dessus de la vallée et puis il ne s’arrête pas.
(Bruit)