Saint Frères dans la vallée de la Nièvre

23 janvier 1988
02m 09s
Réf. 00325

Notice

Résumé :

Extrait d'un magazine consacré à l'histoire de la Vallée de la Nièvre. Entre Amiens et Abbeville, le long de la Nièvre, dans les cantons de Domart en Ponthieu, Flixecourt et Picquigny, l'industrie textile a fait vivre la population pendant deux siècles. L'empire Saint Frères fondé au XIXe siècle par les frères Saint était installé essentiellement à Flixecourt. Ils dirigeaient et géraient de leurs châteaux, 20 usines basées sur la mono industrie du jute, des milliers de salariés ainsi que des infrastructures collectives et des habitations, illustrations du paternalisme social.

Type de média :
Date de diffusion :
23 janvier 1988
Source :
FR3 (Collection: Zoom 3 )

Éclairage

Les vallées ont occupé un rôle déterminant dans l'essor industriel de la Picardie. Qu'on songe à la " vallée du sucre", dans l'Aisne, marquée par la culture intensive de la betterave et sa transformation industrielle ; ou encore celle de l'Oise, couloir économique majeur, considéré un temps par certains comme une "petite Ruhr" grâce à ses activités productives spécialisées dans les domaines de la métallurgie et de la chimie. Celle de la Bresle aussi, autour du verre et du flaconnage.

C'est à une autre vallée à laquelle il faut songer ici, celle de la Nièvre, modeste affluent qui se jette dans la Somme entre Abbeville et Amiens. Ce petit ruban fluvial a été, en effet, le berceau d'une des expériences industrielles les plus fascinantes de l'histoire économique de la Picardie, au point que d'aucuns la qualifiaient de "vallée du textile" (1).

Un nom et un empire industriel lui sont étroitement associés pour avoir façonné en profondeur le paysage, l'histoire et la vie de ce territoire : ceux d'une dynastie d'entrepreneurs, la fratrie Saint, des marchands tisserands originaires du coin (Beauval), qui se lancèrent en 1814 dans la production et la vente de toiles d'emballage en étoupes de chanvre et de lin cultivés localement.

En 1857, leur histoire prend une autre tournure lorsqu'ils firent l'acquisition de leur première usine à Flixecourt. Les frères Saint y mécanisèrent le tissage du jute, fibre végétale bon marché importée des Indes appréciée pour ses qualités de robustesse, qui va progressivement supplanter les matières premières locales. C'est le point de départ d'une formidable réussite industrielle aux ramifications mondiales alimentée notamment par le progrès technique.

Parallèlement à leur prospérité fulgurante, les frères Saint mettent en place une politique intégrale de "paternalisme social" à travers la mise à disposition de tout le nécessaire à la vie des travailleurs : "emploi à vie", logements (cités ouvrières), magasins coopératifs (Prévoyance), services sociaux (crèche, maternité), vacances et loisirs...etc. Les troubles sociaux du début du XXe siècle - de graves incidents éclatèrent en 1910 dans les ateliers d'Harondel et Saint-Ouen - ont révélé les limites de ces mesures de contrôle social des ouvriers qui cherchaient à s'émanciper de la tutelle patronale via le syndicalisme révolutionnaire.

Ayant survécu à la crise des années 1930, c'est l'autre crise des années 1970, celle qui a mis fin à la période faste des "Trente glorieuses" (Jean Fourastié), qui provoqua le déclin de l'entreprise Saint Frères. La mondialisation et la financiarisation de l'économie finiront de l'achever (2). De cette expérience, il ne reste aujourd'hui que de nombreux bâtiments (friches industrielles) témoins d'une grandiose époque révolue qui a profondément marqué la mémoire ouvrière et l'identité collective d'un territoire en proie aujourd'hui à la désindustrialisation, à la recherche d'une reconversion (3).

(1) Pour être précis, les parties situées en amont et en aval à toute proximité du point de confluence entre la Somme et la Nièvre ont étés aussi concernées par l'activité intensive en textile (Saint-Ouen, Pont Rémy, L'Etoile, Hallencourt, Condé-Folie, une unité de production à Amiens ayant aussi appartenu au frères Saint).

(2) Le groupe a disparu mais le nom de l'entreprise subsiste encore ("Saint Frères Confection", "Saint Frères Enduction" et "RKW Saint Frères Emballage"), les repreneurs souhaitant bénéficier d'une marque de renommée mondiale.

(3) En dépit des modifications apportées par l'auteur, les lecteurs de En famille (1893) d'Hector Mallot, reconnaîtront Saint Frères et les usines du Val de la Nièvre comme principaux protagonistes et lieux du roman.

Slim Thabet

Transcription

Didier Cagny
A Ailly-sur-Somme, dans les anciennes cités ouvrières toujours propriétés de Boussac-Saint-Frères, ils sont des dizaines comme Dominique Boquet. Chez les plus jeunes, les allocations familiales assurent l’essentiel du revenu. Pour les autres dont les enfants sont majeurs, la situation est parfois plus dramatique encore. Difficile de reparler reconversion à des hommes et des femmes qui ont quitté l’école à 14 ans. A Ailly, c’est l’héritage Carmichaël. Une entreprise familiale absorbée par Boussac-Saint-Frères en 1979 et fermée 6 ans plus tard. Nous sommes, ici, dans la vallée textile de Picardie. Entre Amiens et Abbeville, au bord de la Somme et de son petit affluent, la Nièvre. Trois cantons : Domart, Flixecourt, Picquigny dominés depuis près de deux siècles par l’industrie textile. Essentiellement 6 communes : Beauval au nord, Bertaucourt-les-Dames, Saint Ouen, Flixecourt, l’Etoile et Ailly-sur-Somme au sud. C’est, à l’exception d’Ailly, l’empire Saint-Frères, capitale Flixecourt, où se concentrait l’essentiel des activités de ce groupe fondé au début du XIXe siècle par 3 hommes : les frères Saint originaires de Beauval. Du haut de ses châteaux, la famille Saint a dominé la vallée pendant 150 ans. A son apogée, avant 1940, 5 contrats, 20 usines, 12 000 salariés, une centrale électrique, une voie de chemin de fer, plusieurs milliers de maisons ouvrières. Une entreprise, une vallée basée sur une industrie, celle du jute. Le jute, une fibre végétale importée du Bengale, une fibre grossière mais solide et résistante pour la convection des cordages et des sacs. Saint, c’était donc le seul pourvoyeur d’emploi de la vallée mais aussi l’unique prestataire de service. Illustration parfaite du paternalisme social.
(Musique)