Les églises fortifiées de Thiérache

26 juillet 1989
03m 54s
Réf. 00437

Notice

Résumé :

Au XVIe siècle, des églises fortifiées furent construites pour protéger les paysans des bandes espagnoles venues du Nord. Ce reportage permet de découvrir ces édifices religieux à Beaurain, Parfondeval, Wimy... L' abbé Verschaeren montre à Wimy le dispositif de défense de ces églises en cas d'attaque.

Type de média :
Date de diffusion :
26 juillet 1989
Source :
FR3 (Collection: Estivales )
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Thèmes :

Éclairage

La Thiérache voit son territoire, marquée par des invasions et des migrations de peuple depuis le haut Moyen Âge jusqu'à la fin de la Renaissance. Située au nord-est de l'actuel département de l'Aisne, elle fut le théâtre au VIe et VIIe siècles principalement, des conflits qui opposèrent les royaumes de Neustrie et d'Austrasie. La Thiérache fut à nouveau victime du déchirement de l'empire carolingien au Xe siècle. Après une phase de paix relative et de prospérité, la guerre de Cent ans marqua le retour des pillages et des ravages des abbayes et des églises paroissiales laissant la population et l'économie thiérachiennes exsangues. Depuis 843 et le traité de Verdun qui partage l'empire de Charlemagne, jusqu'en 1659 et le traité des Pyrénées qui entame l'installation de la monarchie absolue, la Thiérache demeure la frontière historique fondamentale entre la France et le Hainaut, soit le point de passage obligé sur la route d'invasion qui ouvre la voie vers Paris, entre Sambre et Meuse.

Terre de batailles et d'invasions, la Thiérache est également terre de foi et d'églises. A partir du XIIe siècle, seconde période d'évangélisation, l'élan monastique prend son essor dans ce territoire avec l'apparition des monastères de Boheries, Bucilly, Clairfontaine, Fesmy, Foigny, Saint-Michel, Thenailles ou de Val-Saint-Pierre. La plupart des églises furent érigées dès cette époque. Elles feront l'objet de campagnes de fortifications plus tard au début de l'époque moderne. La Thiérache compte quelques soixante-et-onze églises fortifiées qui constituent un ensemble patrimonial unique, fruit d'une architecture religieuse alliant nécessité de la défense militaire. Elles forment un corpus architectural identitaire et original de ce territoire. Contrairement aux vieilles églises fortifiées du Midi de la France, qui ont été réalisées en un seul tenant par des architectes aguerris, les églises fortifiées de Thiérache l'ont été progressivement par les seules communautés d'habitants qui en avaient la charge administrative. Il faut donc distinguer la partie spécifiquement religieuse de l'église à savoir le chœur et la nef, datant des XIIe-XIVe siècles, de la partie défensive des édifices, érigée pour l'essentiel des XVIe-XVIIe siècles.

L'exemple de l'église de Saint-Martin de Wimy présentée par l'abbé Pol Verschaeren dans ce film est représentative des 33 églises fortifiées recensées en Thiérache, disposant d'un "donjon". Les 38 églises restantes qui en sont dépourvues, disposent d'autres éléments de fortification tels que tourelles, clochers-porche, mâchicoulis, bretèches, meurtrières ou encore d'échauguettes. L'église de Wimy possède en façade une véritable forteresse constituée d'une tour carrée surmontée d'un toit à deux pans et flanquée de deux tours circulaires massives de cinq mètres de diamètre, le tout en brique, à l'exception de son soubassement réalisé en grès. La plupart des églises ont été percées de meurtrières, dans le but d'offrir au défenseur un poste de tir à couvert. A la base des murailles de la nef, du transept ou du chœur, ces meurtrières, placées à hauteur d'homme, présentent généralement une fente étroite et haute, élargie à la base pour aider à l'insertion puis à l'orientation de l'arme à feu de type arquebuse. Cette fortification date de la fin du XVIe ou du tout début du XVIIe siècle. Contrairement à une idée reçue, l'essentiel de la fortification des églises de Thiérache ne datent pas de la guerre de Cent ans à l'exception de l'église de Chaourse fortifiée dès 1370. Jean-Paul Meuret dans son ouvrage sur lequel nous nous appuyons ici, propose de scinder en cinq phases ce vaste mouvement de fortifications, initié par des communautés rurales.

La première campagne de fortification de 1521 à 1559 est marquée par les guerres ouvertes entre l'empereur Charles Quint et le roi François Ier, auquel succède son fils Henri II en 1547. Le passage des armées en Thiérache et les assauts des troupes déciment la population rurale. Sur le modèle des places fortes comme Guise, La Capelle ou Le Catelet, la population, aidée parfois par le clergé ou des seigneurs laïques, s'efforce de constituer des refuges dans les églises ou les bâtiments communaux préexistants. De cette période datent notamment les églises fortifiées de La Bouteille et de Montcornet (1546-1547).

La deuxième campagne de fortification de 1570 à 1598 s'inscrit après la ratification de paix du Cateau-Cambrésis (1559) où les affrontements entre ligueurs et calvinistes se multiplient dans les campagnes à partir de 1570. Les troupes des deux partis occupant villes et châteaux, se livrent régulièrement aux pillages, rançonnages et autres représailles. De nouveaux travaux de fortifications s'observent à Agnicourt-et-Séchelles, Esquéhéries, Sorbais, Landouzy-la-Cour, Englancourt, Behaines.

La troisième phase de fortification ou de réparations de 1598 à 1635 s'inscrit dans un contexte relativement apaisé par la politique de pacification du royaume conduit par Henri IV à la fin de son règne. En 1607, l'archidiacre de Thiérache Nicolas Desains apporte au bailliage de Vermandois un état des églises saccagées « afin d'aviser à leur rétablissement ». Sont concernées les églises de Landouzy-la-Ville (1600), de La Bouteille (1601), d'Origny-en-Thiérache (1607) de Montcornet (1609-1612) et de Wimy. Il s'agit de se protéger des coursiers espagnols qui continuent de passer la frontière. Entre 1631 et 1634, les églises d'Autreppes, de Lerzy, de Fontaine, de Marly et de Saint-Algis sont à leur tour fortifiées.

La déclaration de guerre à l'Espagne le 19 mai 1635 marque la quatrième phase qui s'achève en 1659. La Thiérache est alors inlassablement dévastée par les campagnes militaires, les passages de troupes irrégulières, les invasions espagnoles, les sièges, marches et contre-marches. Le début de la Fronde en 1648 apporte son lot de désolations. L'église constitue le seul retranchement pour les paysans pauvres et les habitants laissés à la merci des pillards. Ainsi le donjon de Rogny est construit en 1643, la tour-refuge de Cilly montée en 1644. Le traité des Pyrénées signé en 1659 achève quarante années de guerre avec l'ennemi espagnol.

La monarchie absolue, en repoussant les frontières du royaume plus au nord, met provisoirement la Thiérache à l'abri des opérations militaires. De 1670 à 1690, les communautés rurales mènent la dernière phase de réparations de leurs églises comme à Esquéhéries en 1670, Laigny en 1673, Saint-Pierre en 1676, Faty en 1676, Malzy en 1680 et Saint-Algis en 1685. Il faudra attendre la fin du siècle pour assister aux dernières fortifications des églises de Froidestrées (1696) et Archon (1699).

La singularité de ces églises fortifiées de Thiérache constitue désormais un patrimoine protégé et reconnu à part entière de la région de Picardie.

François Blary

Transcription

Christine Verlynde
Aujourd'hui, les églises sont exclusivement des lieux de culte. Mais autrefois, on y vivait et on s’y réfugiait aussi quand l’ennemi se pointait aux portes de la ville ou du village. Ça a donné lieu, en Thiérache, à la construction de curieuses églises fortifiées.
(Musique)
Isabelle Thomas
Nous ne sommes pas au XXe siècle mais au XVIe. Nous ne sommes pas tout à fait en France mais en Thiérache, moitié française, moitié espagnole. Et ces forteresses ne sont pas des châteaux-forts mais des églises fortifiées, le seul recours pour les paysans de se protéger des bandes espagnoles venues du nord.
Verschaeren
Ces incursions se faisaient… C’étaient des petits paysans. Ils venaient plutôt pour un brigandage c'est-à-dire prendre une brebis, prendre des denrées alimentaires. Mais si on n’accédait pas à leurs désirs, eh bien, ce n’était pas toujours bon pour la population.
(Musique)
Verschaeren
Alors ici, nous arrivons sur le premier étage. Et ce premier étage sert de défense. Car ici, en cas d’attaque, on mettait des poutres (vous voyez encore l’emplacement des poutres) sur lesquelles on mettait un plancher. Et tous les défenseurs étaient aux meurtrières. Et même temps, vous aviez, là-haut, au-dessus de la voute, les mêmes défenseurs qui étaient également placés en-dessous du toit. Il y avait environ, ici, une centaine de personnes qui pouvait se réfugier avec les enfants, bien sûr. Vous avez les meurtrières de défense, là, également, et le mur qui servait de pare-feu. Si jamais la partie liturgique, l’église proprement dite prenait feu, vous aviez un mur qui séparait la partie refuge de la partie église.
Isabelle Thomas
Un divin paradoxe que de faire couler le sang dans la maison de Dieu.
(Musique)
Isabelle Thomas
Quatre siècles plus tard, ces forteresses, témoins des guerres d’antan, sont toujours là, auréolées d’un mystère qui inspire respect et méfiance. Pourtant ces tours aveugles et ces donjons épais ont été sacrifiés sur l’autel de la mode gothique, jugées sans intérêt par la population jusqu'en 1945.
Intervenant 2
Je ne pense pas que ce soit un mépris. C’est plutôt une méconnaissance parce que les gens n’avaient pas l’habitude de voyager comme ils l’ont fait par la suite. Et en plus de ça, un certain nombre de personnes sont venues en Thiérache et ont admiré les édifices que les gens, les habitants avaient l’habitude de côtoyer sans s’apercevoir de leur intérêt.
(Musique)
Isabelle Thomas
Aujourd'hui, si la plupart des églises fortifiées sont classées, 37 seulement ont été restaurées. Quant aux autres, après avoir attendu quatre siècles un simple regard, elles attendront bien encore la miséricorde des hommes. Mais après tout, les souvenirs ont-ils seulement un prix ?
(Musique)