La forêt domaniale de Vauclair une forêt marquée par la Grande Guerre

06 juillet 1998
03m 07s
Réf. 00512

Notice

Résumé :

Balade en compagnie de deux guides de l'ONF sur le circuit Saint Victor qui traverse la forêt domaniale de Vauclair. Cette forêt a été marquée par le conflit de la Grande Guerre. On passe ainsi sur le chemin des Dames, on rencontre des étangs et l'arboretum de l'ancien village de Craonne.

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Date de diffusion :
06 juillet 1998
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Éclairage

La forêt domaniale de Vauclair s'étend sur les plateaux situés entre l'Ailette et l'Aisne, à l'extrémité orientale du Chemin des Dames. La partie la plus ancienne de cette forêt était jadis la propriété des moines de l'abbaye de Vauclair. Cette abbaye, fille de Clairvaux, s'était établie en 1134 au cœur d'une solitude boisée. En 1789, ses biens avaient été confisqués et sa forêt intégrée au domaine de l'Etat. A la veille du premier conflit mondial, la forêt de Vauclair totalisait seulement 317 ha. Elle était principalement constituée de peuplements feuillus (majoritairement chênes et hêtres), en cours de conversion du taillis sous futaie à la futaie. Les plateaux situés plus au Sud, qui ont pris ensuite le nom de "Plateau de Californie" en raison du nom d'une guinguette établie à leur extrémité, étaient alors encore cultivés.

Dans ce secteur, les combats de la Première Guerre mondiale ont été aussi intenses qu'à Verdun. Après la bataille de la Marne (6-12 septembre 1914), les troupes allemandes ont reculé jusqu'au nord de la vallée de l'Aisne, et pris position sur les plateaux. Ils se sont installés durablement sur les crêtes, d'où ils dominaient d'une centaine de mètres les troupes françaises. Ce secteur a fait l'objet d'intenses combats à partir de l'offensive Nivelle (16 avril 1917). Lors de cette opération, l'armée française alignait sur la ligne de front une pièce d'artillerie tous les 22 m. Il était tombé en quatre jours plus de 530 obus par hectare, soit un obus pour 20 m². Cette offensive ayant conduit à une cuisante défaite, ce secteur n'a été reconquis par les troupes alliées qu'au prix de combats longs et acharnés, des batailles de mai-juillet 1917 à celle de la Malmaison (23-25 octobre 1917). Il n'a été abandonné par les troupes qu'à partir de la rupture du front de mai 1918.

A la fin du conflit, le paysage était donc totalement lunaire. Les champs et les bois étaient creusés en tous sens par les tranchées, labourés par les obus. Les sols, pollués par les munitions, encombrés de ferrailles, décapés par l'érosion, étaient impropres à toute culture. Classés en zone rouge, 717 ha de terres agricoles du plateau de Californie ont été expropriés, et remis en 1927 aux services des Eaux et Forêts, pour être incorporés à l'ancienne forêt domaniale.

Les paysages forestiers visibles aujourd'hui sont l'œuvre de toute une génération, pour reconstituer une forêt mutilée et faire naître des boisements sur des terres rendues stériles par les combats. Devant l'impossibilité de combler l'ensemble des réseaux de tranchée et les trous d'obus, les forestiers se sont contentés de créer un réseau de laies, en utilisant au besoin les pierres de l'abbaye et des villages alentour. Dans l'ancienne forêt feuillue, les arbres ont été totalement broyés. Six arbres seulement, criblés de mitraille, étaient encore debout dans les années 1920. Un seul a été conservé, pour témoigner de la qualité des peuplements d'avant-guerre. Il porte aujourd'hui le nom de l'ingénieur des Eaux et Forêts à la tête du service de l'époque, Emile Cuif. Le choix a été de couper à blanc ces parcelles feuillues, pour profiter des rejets de souche. Dans les parcelles les plus décapitalisées, des regarnis ont été effectués, par la plantation d'arbres produits en pépinière.

La situation était très différente sur le plateau, qui n'était pas boisé avant-guerre. Il a été décidé d'y planter des conifères, principalement du pin noir d'Autriche, en association avec des feuillus. L'objectif était alors de privilégier des essences peu exigeantes, capables de s'adapter à un environnement contraignant. Elles étaient destinées à apporter une ambiance forestière favorable à l'installation et à la régénération des essences feuillues, notamment du hêtre (1).

Situé au pied du plateau, le village de Craonne a aussi été incorporé dans la zone rouge. Sur l'ordre du préfet, les habitants ont dû reconstruire leur village plusieurs centaines de mètre en contrebas. Remis à l'administration des Eaux et Forêts en 1931, le site a ensuite été transformé en arboretum. Le but de cette plantation était de maintenir une certaine forme de vie, dans un village à jamais détruit.

Sur le Chemin des Dames, les traces de la guerre ont été volontairement effacées pour remettre les terres en culture. Mais la forêt domaniale de Vauclair fossilise encore pour des siècles les reliefs hérités des combats.

(1) Jérôme Buridant, "Effacer la guerre : la reconstitution forestière de la zone rouge", Forêt carrefour, forêt frontière : la forêt dans l'Aisne, Langres : Guéniot, 2007, p. 153-164.

Jérôme Buridant

Transcription

Eric Maillebiau
Les plus sites se trouvent souvent juste à côté de chez vous. Exemple ici, dans la forêt de Vauclair, dans l’Aisne. Au programme, de la botanique, un petit peu d’histoire, et surtout une superbe balade pour se changer les idées. Le sentier Saint-Victor est l’un des trois circuits de randonnée qui sillonnent la forêt domaniale de Vauclair. Balisé par un petit point bleu, il prend son départ à deux pas de l’abbaye du même nom. Le parcours s’étend sur une dizaine de kilomètres pour environ 3 heures de marche. Les superbes points de vue y sont nombreux avec, par exemple, cette première étape à l’étang de Bonne Fontaine. Le petit plan d’eau d’un demi-hectare est une bénédiction pour les pêcheurs. Gardons, rotengles ou brèmes ne sont que quelques-unes des espèces qu’il abrite.
Jean-Marc Holzer
Les plus intéressantes parce que ce sont les plus spectaculaires, il y a du [bouton], du brochet. Vous avez de très belles carpes. Je me souviens avoir vu et mis dans cet étang des carpes qui faisaient entre 10, 11 et 12 kilos à peu près, quoi. Ce sont de très belles carpes communes.
Eric Maillebiau
Les marcheurs laisseront ensuite les pêcheurs à leurs cannes pour s’enfoncer plus avant dans la forêt. Au sommet du plateau de Californie qui doit son nom à l’ancienne présence d’une guinguette, le sentier débouche sur le célèbre Chemin des Dames. Il fut nommé ainsi parce que les filles de Louis XV l’empruntaient jadis pour rendre visite à leur gouvernante. La crête qui le longe forme la dernière barrière naturelle avant Paris. César puis Napoléon se sont battus ici. Mais le Chemin des Dames est surtout resté dans les mémoires comme l’une des tragédies les plus sanglantes de la première Guerre mondiale.
Jean-Marc Holzer
On est précisément là sur les anciennes positions allemandes. Les Allemands, malheureusement, par rapport aux Français, avaient les crêtes. Et les valeureux soldats français occupaient toute cette position de la plaine qui est juste en-dessous de nous, là.
Eric Maillebiau
600 000 soldats ont trouvé la mort dans ces terribles combats. Un peu moins d’un siècle plus tard, il ne reste de ce carnage qu’une immense forêt de résineux.
Jean-Marc Holzer
Juste avant la grande offensive du général Nivelle, il y a eu un bombardement incessant, une pluie d’obus, d’obus de 75 ou 155 qui s'est abattue donc sur les positions allemandes où nous sommes. Et là, c’est un plateau calcaire. Et tout a été complètement remué. La force de pénétration d’un obus est très impressionnante. Il pénètre de plusieurs mètres dans le sol avant d’exploser. Ça fait que nous avons eu des tonnes et des tonnes de terre qui ont été retournées. Et malheureusement, la végétation, pendant les quelques années après la fin de la guerre, a posé des problèmes. Et les pins, donc, on été les seuls végétaux qui ont pu reprendre d’une façon naturelle.
Eric Maillebiau
Autre témoignage de cette folie destructrice : l’ancien village de Craonne aux pieds de la crête. Le site est entouré d’un arboretum où pousse une trentaine d’essences forestières différentes. A l’époque, les habitants avaient refusé de rebâtir leur village au même endroit.
Jean-Marc Holzer
L’arbre, c’est un peu le symbole de la continuité de la durée dans le temps, tout simplement. Je pense que c’était un peu l’esprit des gens qui vivaient sur ce village, qui ont voulu peut-être donner une sorte d’immortalité à l’ancien village.
Eric Maillebiau
Une immortalité qui fait, aujourd'hui, tout le charme de la forêt de Vauclair et du sentier Saint-Victor qui la traverse.