Le tournage de la "Belle et la Bête" au château de Raray

11 octobre 2003
02m 15s
Réf. 00735

Notice

Résumé :

Jean Cocteau découvrit en 1945 le château de Raray dans l'Oise, il y tourna toutes les scènes extérieures de La Belle et la Bête. Rencontre avec Yves de La Bédoyère qui, à l'époque, était un petit garçon qui vivait dans le château, et qui se souvient des conditions exceptionnelles de ce tournage.

Date de diffusion :
11 octobre 2003
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Éclairage

Ce reportage est diffusée le 11/10/2003, à l'occasion du 40ème anniversaire de la mort du poète.

La Belle et la Bête est le premier long-métrage "classique" de Jean Cocteau. Auparavant, il a réalisé en 1930 le film surréaliste Le Sang du poète. Puis il délaisse le cinéma au profit du théâtre et de la poésie pour y revenir pendant la guerre, en étant notamment scénariste de L'Eternel Retour de Jean Delannoy qui appartient à la même veine de films que La Belle et la Bête. En effet, le genre fantastique français se développe à partir de 1940 : c'est une façon pour les cinéastes de s'évader de la réalité de l'Occupation (Les Visiteurs du soir de Marcel Carné est emblématique de cette tendance).

Fait rare en France en 1945, La Belle et la Bête est en partie tourné en extérieur dans le manoir de Rochecorbon (en Vallée de la Loire, du 27 août au 12 septembre 1945) et dans le parc de Raray (près de Senlis, du 21 au 28 septembre 1945). Les intérieurs sont filmés dans les studios d'Epinay-sur-Seine et de Saint-Maurice, dans une période extrêmement difficile. Aux coupures d'électricité fréquentes, s'ajoute la maladie de Cocteau qui le contraint à une hospitalisation de trois semaines qui interrompt le tournage du film. Celui-ci sera achevé en janvier 1946.

A cette époque, l'Oise n'est pas encore la terre de tournage que l'on connaît aujourd'hui, tout simplement parce que les moyens techniques rendaient le tournage en extérieur difficile. Depuis, cette région est particulièrement appréciée pour les films historiques. A proximité des studios parisiens, il propose de nombreux châteaux et la ville de Senlis est particulièrement connue pour ses ruelles médiévales, places, monuments historiques et hôtels particuliers.

Pour revenir à l'histoire du film, il faut noter le rôle de Pagnol, associé au projet au moment où Gaumont envisageait de le produire (André Paulvé sera finalement le producteur du film). C'est lui qui convainc le cinéaste de ne pas représenter la Bête sous la forme d'un animal à cornes comme le relate Cocteau dans son journal : "La bête, dit-il, ne doit pas être un herbivore, mais un carnivore. Un cerf n'effraie personne. On le tue. Un lion, un tigre, peuvent effrayer le marchand et sa fille". C'est lui aussi qui propose à Cocteau que sa compagne, Josette Day (qui a tant impressionné le petit garçon Yves de la Bédoyère, au moment du tournage), interprète le rôle de la Belle.

Le journaliste explique bien ce qui séduit Cocteau à Raray : le château et le parc ont souffert de la guerre et ne sont plus entretenus : "Fantomatique, envoûtant, le réalisateur tient son château des mystères...". Cocteau l'écrit aussi dans son journal "A Raray la singularité des angles s'impose. C'est la Bête et c'est Raray, le parc le plus bizarre de France."

Les quelques jours de tournage seront difficiles. Là aussi, le journal témoigne : "J'ai tourné sous la pluie, sans lumières, avec des torches, du magnésium et les fumées anglaises. Raray est dans la boîte. Je me suis acharné contre des circonstances désastreuses et j'ai voulu, coûte que coûte, faire surgir cette beauté accidentelle que j'aime."

Le film est un succès. Classé 16ème du box-office en 1946 avec 3,8 millions d'entrées, il reçoit le prix Louis Delluc. Il continue de poursuivre sa carrière sur les écrans au gré de ses restaurations. En 1995, le travail de restauration est confié à Henri Alekan. Ce dernier était le remarquable chef opérateur du film. L'architecture d'ombres et de lumière qu'il a construite a su répondre aux attentes de Jean Cocteau, opposant le réel (la vie dure de la Belle sous l'influence visuelle du Vermeer) et le merveilleux (le château, sous l'influence visuelle de Gustave Doré), pour faire de ce film l'un des plus grands de l'histoire du cinéma. Plus récemment, en 2013, le film a fait l'objet d'un nouveau travail de restauration exceptionnel.

AvecPeau d'Âne également tourné en Picardie, Jacques Demy rendra un très bel hommage au travail de Jean Cocteau.

Bibliographie :

AZOURY Philippe et LALANNE Jean-Marc, Cocteau et le Cinéma. Désordres, Editions Cahiers du Cinéma / Editions Centre Pompidou, Paris, 2003.

COCTEAU Jean, La Belle et la Bête, journal d'un film, Edition du Rocher, Monaco, 1958.

Estelle Caron

Transcription

Dominique Patinec
Jean Marais, La Bête , terreur de nos nuits d’enfance mise en scène par Jean Cocteau. Cet ogre, ce croque mitaine, Yves de la Bédoyère ne l’a jamais craint. Car la bête fut son amie pendant quelques jours, le temps de tourner les plans extérieurs d’un film qui deviendrait un chef-d’oeuvre. De Cocteau, Yves de La Bédoyère ne se rappelle pas grand-chose. En cette fin d’été 1945, ses héros s’appellent Josette Day et Jean Marais. Souvenir d’un déjeuner avec le monstre.
Yves La Bédoyère (de)
La première action de Jean Marais, c’était de relever son masque autour de ses lèvres et puis de défaire les deux crocs puis de les installer à côté de son verre. Et puis on l’entendait toujours, avec sa merveilleuse voix. Et la conversation pouvait continuer.
(Musique)
Yves La Bédoyère (de)
Josette Day était une très très belle femme. Je ne dis pas que j’en pinçais pour elle puisque j’étais tellement jeune, mais quand même. Et elle fumait des cigarettes américaines que je découvrais aussi depuis peu, et elle fumait avec un grand cigare très long. Alors ça m’impressionnait beaucoup.
Dominique Patinec
Cocteau choisit Raray parce que le château a souffert de la guerre. Les extérieurs ne sont plus entretenus, les galeries cynégétiques, ces fameuses frises surmontées de chiens de chasse, sont cernées par les herbes folles. Fantomatique, envoutant, le réalisateur tient son château des mystères. Le petit Yves, lui, cède la place. L’équipe technique envahit son royaume.
(Musique)
Yves La Bédoyère (de)
J’ai prêté mon terrain de jeu. Les balustrades, c’était l’endroit où j’avais mes petites voitures. Et même sur la cour d’honneur, il y avait encore des trous de bombe. Et dans ces trous de bombe, j’avais mes garages à voitures, petites voitures. Je les rangeais à la maison mais quand même, j’avais mon terrain de prédilection à cet endroit-là. Cocteau ne parlait pas beaucoup. Mais quand il parlait, on exécutait ce qu’il demandait. Je veux dire en tout cas en ce qui concerne le tournage du film.
Dominique Patinec
Cocteau et son équipe passent 3 semaines à Raray. Yves de la Bédoyère découvrira le film enfin achevé en 1946, au cinéma. Une première fois suivie de beaucoup d’autres.
Yves La Bédoyère (de)
C’est beaucoup plus qu’un souvenir d’enfance. C’est une allégorie tellement exceptionnelle que je la savoure même encore quand je vois le film aujourd'hui.