Mai 68 : le bilan du mouvement social dans la région
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Résumé
Quinze jours après le début du mouvement social, le reportage fait le bilan des grèves et des occupations des lieux de travail à Marseille, La Ciotat et Toulon. Le mouvement continue de s'étendre. Les stations-service sont prises d'assaut et des consommateurs inquiets font provision des denrées de base dans les grandes surfaces. Pourtant le ravitaillement en fruits et légumes reste bien assuré par le marché de gros de Châteaurenard.
Date de diffusion :
21 mai 1968
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Les historiens des évènements de Mai 1968 distinguent plusieurs phases dans le déroulement de cette commotion aussi inattendue qu'extraordinaire. La première, commencée au début du mois à Paris et aussitôt étendue aux autres villes universitaires, est estudiantine. Les syndicats ont manifesté leur solidarité contre la répression et, plus largement, contre la politique du gouvernement, en participant aux manifestations et meetings alors organisés, en particulier le 13 mai. La grève a commencé chez les enseignants du supérieur, mais, à partir du moment où elle se répand dans le monde ouvrier et chez les fonctionnaires, commence la deuxième phase, sociale et syndicale, des évènements. Celle-ci durera, dans sa phase la plus aiguë, jusqu'au début juin. Mais alors s'est ouverte, à partir de la dissolution de l'Assemblée Nationale le 30 mai par le Général de Gaulle, la troisième phase, toute politique, qui clôt l'épisode.
Le mouvement de grève de mai-juin 68 est le plus important mouvement social du XXe siècle. S'il prend pour référence les grèves de juin 1936 avec les occupations des lieux de travail et l'extension des grèves aux employés du tertiaire, il est d'une toute autre ampleur. Son originalité vient de son caractère spontané, débordant les directions des confédérations syndicales, et aussi de ses origines provinciales puisqu'il se répand comme un feu de paille à partir de l'usine Sud-Aviation à Nantes, où il a démarré le 14.
Dans une région comme la Provence, où la CGT est très largement dominante, les premiers arrêts de travail sont signalés dès le lendemain à Sud-Aviation Cannes. Mais c'est surtout l'entrée en action massive des cheminots, à partir de Marseille-Blancarde, qui change la donne, puisque l'on passe avec eux, très vite, à un mot d'ordre de grève illimitée, aussitôt suivi par les autres centres SNCF de la région, Avignon notamment. Dans la foulée, d'autres entreprises bougent, ainsi les chantiers navals de La Seyne dès le 17, tandis que, le lendemain, commence l'occupation des locaux à Air France-Marignane. Après les Chèques postaux de Marseille, la grève s'étend au port où sept navires sont immobilisés le 19 (ils seront trente-huit le 21), puis aux diverses régies de transport (Marseille,Toulon, Aix), à EDF-GDF, aux BTP et aux grands établissements industriels (SESCO, SEITA, etc.), ainsi qu'au CEA de Cadarache. Le 20 est vraiment le jour de la généralisation du mouvement. Le reportage, qui date du lendemain, décrit donc la situation à ce moment d'expansion du conflit, l'apogée du mouvement étant atteint les 24 et 25. On comptera alors plus de 300 000 grévistes dans les Bouches-du-Rhône. À Marseille comme à Toulon, il n'y a plus alors ni bus, ni trolley, ni train, ni courrier. Les dockers bloquent le port de Marseille. Les Chantiers navals sont paralysés, tout comme l'Arsenal de Toulon. Dans cette ville, les employés communaux ont cessé eux aussi le travail. Le secteur bancaire est affecté. La grève est suivie à 98 % parmi les mineurs de fond du bassin de Gardanne. Comme en 1936, des secteurs peu familiers des conflits sociaux, et souvent très féminisés, sont entrés aussi en grève, notamment celui des grands magasins de Marseille, celui des hospitaliers, les fonctionnaires de Justice, etc. À Aix, on relèvera avec étonnement le 24 que la grève s'est étendue aux commerces, aux cafés, au secteur artisanal, aux taxis. La parution des quotidiens est suspendue. La plupart des établissements scolaires ferment leurs portes. Toute la fonction publique est touchée. Le mot d'ordre de grève illimitée est repris aux PTT, à Cadarache, parmi les enseignants... Les manifestations se succèdent. On compte plus de 25 000 manifestants le matin du 22 à Toulon et plusieurs milliers de salariés de l'arsenal défileront en ville encore le 27, le 29 et le 30. Le 29, on comptera 100 000 personnes dans la rue, sur la Canebière, à Marseille. Il y en aura plus de 10 000 à Avignon le lendemain. Depuis le 20, l'essence se raréfie et de longues queues se forment devant les stations services. À Nice, trente d'entre elles sont réquisitionnées. Les magasins sont pris d'assaut par ceux qui, dans un réflexe de peur, font provision des denrées de première nécessité. Bientôt, comme à Marseille le 24, certains commerces ferment leurs portes (sauf ceux de première nécessité). Bientôt, l'armée va être requise pour ramasser les ordures qui s'entassent dans les rues. À partir du 25, les communistes essaient de canaliser le mouvement en lui donnant un débouché politique qui serait la formation d'un "gouvernement populaire d'union démocratique". Comme de nombreuses municipalités, le Conseil général des Bouches-du-Rhône affirmera sa solidarité avec les grévistes dans une séance extraordinaire, tandis qu'à Paris, François Mitterrand tente de prendre la tête de la contestation politique en proposant, après le meeting de Charléty, la formation d'un gouvernement provisoire. Chacun comprend qu'il vaut donner un débouché à un mouvement qui risque de devenir incontrôlable.
La signature des Accords de Grenelle, le 27 mai, ne mettra pas fin aussitôt aux grèves et aux manifestations, en dépit des avantages obtenus (hausse de 10 % des salaires et de 35 % du SMIC, réduction d'une heure de la durée hebdomadaire du travail, reconnaissance des syndicats dans l'entreprise, etc.). Les assemblées générales sont parfois agitées. En fait la reprise ne s'affirmera qu'à partir du 2 juin et s'accélèrera après le 5 seulement. Parfois, comme dans les mines, le travail reprend avec un sentiment d'amertume. L'allocution du général de Gaulle à la télévision le 30 mai, avec la réaffirmation d'une autorité que l'on pouvait croire ébranlée, marque incontestablement un tournant. Dès le lendemain, d'importantes manifestations de soutien au pouvoir ont lieu dans les grandes villes. Celle de Paris, aux Champs-Elysées, tend à masquer les autres et notamment celle qui, à Marseille, à l'appel des Comités de défense de la République (dont l'encadrement vient du SAC), rassemble des milliers de personnes de la Canebière au monument à la Libération, au pied du Fort Saint-Nicolas. Les élections législatives des 23 et 30 juin dissiperont bien des illusions en donnant au pouvoir, grâce à la "majorité silencieuse", une majorité inespérée. La région, où la gauche reste dominante, n'en est pas moins touchée par la vague gaulliste. Sur ses vingt-huit députés, la droite obtient quinze sièges contre cinq auparavant (dont dix gaullistes au lieu de deux) et la gauche passe de vingt-trois à treize (dont six socialistes au lieu de onze et cinq communistes au lieu de huit).
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