L'entreprise Brochier tisse le nez du Concorde

29 mars 1973
02m 10s
Réf. 00002

Notice

Résumé :

L'entreprise Brochier s'est spécialisée dans le tissu technique. L'une de ses activités est de tisser, grâce au métier Jacquard, les chaussettes des radômes des avions de combat et du Concorde.

Date de diffusion :
29 mars 1973
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Éclairage

Après la Seconde Guerre mondiale, la France vit une période d'expansion économique, connue sous le nom des "Trente Glorieuses". C'est l'époque des développements de l'aérospatiale, de l'industrie nucléaire civile et militaire, de l'électronique et des matières plastiques ; c'est aussi une époque de grands projets comme le paquebot France ou l'avion

supersonique civil Concorde.

L'entreprise lyonnaise J. Brochier industrie, constituée en 1973, est spécialisée dans le tissage technique par Joseph Brochier qui s'est séparé en 1969 de l'affaire familiale J. Brochier et fils, fondée en 1901 à Lyon pour la fabrication de soieries. Elle s'est intéressée au tissage de la fibre de verre dès 1948 et en a surmonté les difficultés techniques : contrairement à la plupart des autres fibres textiles, le verre n'est pas élastique, il casse. Par contre, ses propriétés ininflammables en ont fait un matériau de choix pour le renouvellement des revêtements muraux de l'ensemble des paquebots exploités à l'époque par la Compagnie Générale Transatlantique. C'est ainsi que l'entreprise Brochier a tissé plusieurs dizaines de milliers de mètres de revêtements muraux ignifuges.

Les développements de la chimie organique ont permis l'élaboration des résines époxy ; associées à la fibre de verre, elles donnent naissance aux matériaux composites dont les utilisations sont devenues multiples : parmi elles les radômes, enveloppe en matière transparente aux ondes radio-électriques destinée à protéger une antenne de radio ou de radar contre les intempéries. Si les revêtements muraux sont des tissus plats, pour les radômes, l'entreprise Brochier a dû appliquer le tissage tubulaire (la "chaussette"), connu depuis longtemps, à la fibre de verre. Pour réaliser la forme conique des nez radômes des avions, le tissage tubulaire ordinaire devient un tissage tubulaire à diamètre variable ; ce type de tissage n'est pas courant et il n'existe pas de machine dédiée sur le marché. Le reportage montre bien comment l'entreprise a surmonté ces difficultés à partir de matériels existants : un métier à navette de grande largeur, une mécanique double de type Jacquard (de marque Verdol) sur charpente et un cantre (râtelier supportant de petites bobines) habituellement utilisé à la préparation de la chaîne. La majeure partie du savoir-faire de l'entreprise réside dans l'idée de cet assemblage d'éléments provenant de diverses machines textiles.

Pour le radôme du supersonique Concorde, il était nécessaire de conserver les performances optimales du radar à la vitesse de Mach 2, à des températures de -50 ° C à +190 ° C et avec une durée de vie minimale opérationnelle de 5.000 heures. Combinaison d'éléments de fibre de verre, le radôme a été fabriqué par BDS Industrial Fabrics Ltd à Leicester (Royaume-Uni) pour les parties tricotées et par l'entreprise Brochier pour les parties tissées. Comme le rappelle le reportage, Brochier fournissait la société des avions Marcel Dassault pour les radômes d'avions militaires qu'elle construisait en coopération avec Sud-Aviation, collaboration qui a été poursuivie pour la fabrication du Concorde. Lors du tournage du reportage, en mars 1973, seuls deux prototypes du Concorde avaient été fabriqués (le projet a démarré en 1962, les premiers essais ont eu lieu en 1969). Vingt exemplaires seulement ont été construits, l'exploitation commerciale débutée en 1976 s'est arrêtée en 2003. Sa collaboration avec Sud-Aviation et la British Aircraft Corporation a permis à l'entreprise Brochier de se renforcer sur le marché du tissage pluridimensionnel en cône : entre 1970 et 1991, elle passe de 42 à 100 salariés et décuple son chiffre d'affaires avant d'entrer en 1980 dans le groupe chimique suisse Ciba-Geigy. Avec Verester, Porcher, Hexcel-Genin, Chomarat... l'entreprise Brochier illustre la réussite de la reconversion de la soierie lyonnaise dans le textile à haute valeur technologique ; aujourd'hui, la région Rhône-Alpes est leader national pour les textiles techniques en générant 70 % du chiffre d'affaires national et plus de 300.000 tonnes de production.

Florence Charpigny

Transcription

Journaliste
Cette usine de la banlieue lyonnaise est spécialisée dans le tissage des fibres de verre. Parmi ses fabrications est à signaler celle de tissus en forme que l’on appelle chaussettes et qu’une fois imprégnées de résine deviennent des radômes, c’est-à-dire la partie des avions supersoniques dans laquelle est placé le radar. Ainsi, c’est ici que sont tissées les bases du nez des Mirages, des Etendards et tout récemment, du Concorde. Et pourquoi utilise-t-on la fibre de verre, le directeur de l’usine, Monsieur Brochier, nous le précise.
Monsieur Brochier
La fibre de verre est extrêmement diélectrique. Elle laisse passer les ondes. Elle a une transparence diélectrique très satisfaisante.
Journaliste
Comment sont tissées ces chaussettes ? Selon de vieilles méthodes je crois.
Monsieur Brochier
Ces chaussettes sont tissées selon de vieilles méthodes. Vous avez pu voir, ou vous allez voir, le métier Jacquard qui sert à les fabriquer, et on utilise encore les vieilles méthodes, c’est-à-dire les programmes Jacquard qui déterminent la position des fils les uns par rapport aux autres dans le tissu et forment le radôme.
Journaliste
On n’a rien trouvé de mieux jusqu’à maintenant ?
Monsieur Brochier
Et bien, en matière de croisement de fils, c’est encore le tissage la seule méthode qui permet de conserver au fil toute son… dans toute son intégrité, sa résistance à la traction et sa résistance aux chocs.
Journaliste
Et il faut dire tout de même que ces métiers sont adaptés.
Monsieur Brochier
Naturellement, il nous a fallu de très nombreuses transformations pour permettre de tisser dans d’aussi grandes largeurs et avec la régularité voulue puisqu’il s’agit de faire des pièces qui sont fiables à quelques millimètres près.
Journaliste
Jusqu’à présent, le nez de Concorde n’était pas en fibre de verre ?
Monsieur Brochier
Le nez de Concorde était en fibre de verre mais il était fait de pièces découpées et rapportées. Ce qui ne permettait pas d’obtenir dans le radôme une grande homogénéité.
Journaliste
Il faut environ 20 chaussettes pour réaliser un radome de Concorde. L’usine de Villeurbanne doit fabriquer celles des 22 Concordes en chantier, ce qui représente pour ce métier une année de travail. La suite dépend bien sûr de l’avenir commercial de l’avion supersonique franco-britannique.