Rassemblement interreligieux à Lyon suite aux propos de Jean-Marie Le Pen

12 novembre 1987
01m 52s
Réf. 00073

Notice

Résumé :

Un rassemblement interreligieux s'est déroulé à Lyon après les propos tenus par Jean-Marie Le Pen, qualifiant de "détail de l'histoire" les chambres à gaz. Bien que le rassemblement ait été moins important que prévu, l'événement a rassemblé les personnalités de toutes les religions.

Date de diffusion :
12 novembre 1987
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Éclairage

Ce rassemblement interreligieux, et non œcuménique (terme réservé aux relations entre les Églises chrétiennes), a pour objet de dénoncer les provocations antisémites calculées de Jean-Marie Le Pen et de manifester la solidarité des Églises chrétiennes avec la communauté juive déjà durement touchée au début des années 1980 par les attentats de la rue Copernic (1980) et de la rue des Rosiers (1982).

Le 13 septembre 1987, lors de l'émission le Grand Jury RTL-Le Monde, le président du Front national répond à une question du journaliste Olivier Mazerolle, directeur de l'information à RTL, sur les thèses niant l'existence des chambres à gaz : « Je suis passionné par l'histoire de la Seconde Guerre mondiale. Je me pose un certain nombre de questions. Je ne dis pas que les chambres à gaz n'ont pas existé. Je n'ai pas pu moi-même en voir. Je n'ai pas étudié spécialement la question. Mais je crois que c'est un point de détail de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale. » Le journaliste Paul-Jacques Truffaut objecte : « Ce n'est pas un point de détail. » Le Pen répond : « Si, c'est un point de détail de la guerre. Voulez-vous me dire que c'est une vérité révélée à laquelle tout le monde doit croire, que c'est une obligation morale ? » Olivier Mazerolle insiste : « Vous-même, monsieur Le Pen, considérez-vous qu'il y a eu génocide juif par les chambres à gaz ? » Réponse : « Il y a eu beaucoup de morts, des centaines de milliers, peut-être des millions de morts juifs et aussi des gens qui n'étaient pas juifs. Je suis étonné de devoir, à chaque émission de télévision et de radio, répondre à des questions qui prennent une forme inquisitoriale. » Les efforts déployés ensuite par Le Pen pour minimiser l'affirmation de départ dans un contexte où les débats autour du négationnisme sont intenses, sont impuissants à dissiper l'opinion générale selon laquelle la formule trahit la pensée profonde du chef de l'extrême droite.

Le 7 octobre, un communiqué est publié par la Fédération protestante de France : « Pour manifester leur solidarité avec la communauté juive de France, des Églises chrétiennes sur l'initiative de la Fédération protestante de France, ont souhaité être accueillies pour un temps de rencontre et de recueillement dans la grande synagogue de Lyon, le 11 novembre prochain. Tous les fidèles des différentes confessions sont invités à participer à cette réunion au cours de laquelle sera diffusée une partie du film Shoah et seront lus et priés quelques psaumes bibliques. Y participeront notamment : le cardinal Decourtray, archevêque catholique de Lyon, le grand rabbin Sirat et le pasteur Jacques Stewart, président de la Fédération protestante de France ».

Mais la mise en œuvre de cet engagement se heurte à d'importantes difficultés. A priori le choix de Lyon est judicieux. La région Rhône-Alpes connaît une montée des manifestations d'antisémitisme. Son archevêque, le cardinal Decourtray, est le nouveau président de la Conférence des évêques de France. Il s'est distingué à plusieurs reprises par ses prises de position contre les thèses du Front national et a acquis une audience nationale avec l'émission de la deuxième chaîne publique « L'heure de vérité » le 18 mars 1985. Mais depuis plusieurs mois un conflit oppose juifs et catholiques autour du projet de religieuses polonaises d'ouvrir à Auschwitz un Carmel. Profondément engagé dans le dialogue avec les Juifs, Mgr Decourtray dirige avec Théo Klein un groupe de contact mis sur pied en 1986 pour régler le différend et se trouve dans une position inconfortable. La communauté juive manifeste une irritation croissante face au refus de transiger du cardinal Glemp, archevêque de Varsovie (Auschwitz est dans son diocèse) qui semble jouir de l'appui du pape. Le climat n'est pas aux démonstrations de solidarité. Le rassemblement interreligieux à la synagogue se transforme finalement en réunion banalisée, « à la sauvette » dit le commentaire, avec de courtes prises de parole du pasteur Jacques Stewart, président de la Fédération protestante fraîchement élu, du cardinal Decourtray et du grand rabbin René Samuel Sirat. La présence silencieuse d'un représentant de l'islam et un de l'Église orthodoxe ajoute au malaise laissé par cette réunion.

Bibliographie :

- Martine Aubry et Olivier Duhamel, Petit dictionnaire pour lutter contre l'extrême droite, Paris, Éditions du Seuil,1995.

Claude Prudhomme

Transcription

Journaliste
Après que Jean-Marie Le Pen a qualifié les chambres de gaz de points de détail, les plus hautes autorités religieuses françaises avaient décidé d’organiser un rassemblement à Lyon. C’était hier avec beaucoup moins d’ampleur et de solennité que prévu.
Jacques Stewart
La mémoire de sa promesse sur l’Histoire nous presse de crier notre refus de tout ce qui insidieusement ou brutalement cherche à banaliser la mémoire de l’Histoire que nous avons traversée, à banaliser l’intolérable.
Journaliste
Cérémonie autour de l’exigence biblique de la mémoire. Certes, la mémoire sans laquelle il n’y aurait pas d’alliance entre Dieu et son peuple, mais cérémonie à la sauvette. Que s’est-il donc passé entre le 5 octobre, jour où la fédération protestante annonce un service à la grande synagogue à la suite des propos outrageux de Jean-Marie Le Pen et ce 11 novembre.
Albert Decourtray
Qu’ensemble, ils rougissent de honte ceux qui cherchent à m’ôter la vie, qu’ils reculent déshonorés ceux qui désirent mon malheur.
Journaliste
Certes, le président des évêques de France, le grand rabbin, le président de la fédération protestante se sont bien réunis en présence du grand mufti de Lyon et du représentant de l’église orthodoxe, mais la synagogue s’est transformée en salle de quartier. Le spectaculaire est devenu confidentiel. Le cardinal et le grand rabbin se sont sentis tellement impliqués qu’ils en ont oublié d’ôter leurs manteaux.
René-Samuel Sirat
[Incompris]
Journaliste
Alors, que s’est-il passé ? Menace, a-t-on dit contre la synagogue, ou bien encore retraite prudente des autorités catholiques, échaudées après l’affaire Waldheim devant un risque de politisation.