Jean Dasté face aux propos de Michelet

09 décembre 1969
02m 45s
Réf. 00240

Notice

Résumé :

Jean Dasté réagit face aux propos d'Edmond Michelet. Il critique la méconnaissance du ministre chargé des affaires culturelles sur le théâtre. Selon lui le prix des places ne doit pas augmenter pour ne pas condamner le théâtre populaire.

Date de diffusion :
09 décembre 1969
Source :
Personnalité(s) :
Thèmes :

Éclairage

En décembre 1969, Jean Dasté, homme de théâtre et directeur de la Comédie de Saint-Etienne, interpelle le ministre des Affaires culturelles du gouvernement Chaban-Delmas depuis juin 1969, Edmond Michelet. Ce dernier avait, dans certaines déclarations, condamné, le théâtre populaire. En cela, il se situait, paradoxalement, dans la suite du manifeste des directeurs de théâtre adopté le 25 mai 1968 à Villeurbanne ; pour le ministre c'était un prétexte pour diminuer les subventions aux hommes de théâtre.

Jean Dasté (1904-1994) est né à Paris dans un milieu populaire. Poussé par sa mère, il suit très tôt des cours de théâtre dans son quartier d'abord, puis au Châtelet où il joue dès 1917 de tous petits rôles. Il découvre avec émerveillement Jacques Copeau installé au Vieux Colombier, avec un répertoire classique dans des décors sommaires. De 1925 à 1929, il suit Jacques Copeau en Bourgogne, avec sa troupe des « Copiaux ». Cette formation exigeante et cette production théâtrale en direction d'un public populaire le marque en profondeur et explique son rôle dans la politique de décentralisation après la Seconde Guerre mondiale. En 1933, Jean Dasté fait aussi ses débuts au cinéma dans Zéro de Conduite de Jean Vigo et interprète, en 1934 dans L'Atalante, le rôle du marin amoureux de Juliette. Il tourne ensuite avec Jean Renoir, Alain Resnais, François Truffaut ou Ariane Mnouchkine.

À la Libération, dans le cadre de la décentralisation théâtrale impulsée au ministère par Jeanne Laurent, on lui demande de créer à Grenoble une troupe professionnelle. Mais ni la municipalité, ni le conseil général de l'Isère ne soutiennent réellement l'action des comédiens. En 1947, la ville de Saint-Étienne lui propose d'accueillir la troupe qui devient Centre Dramatique National sous le nom de « Comédie de Saint-Étienne ». Jean Dasté en est le directeur jusqu'en 1971. À son actif, la construction d'une salle de spectacle, des tournées sous chapiteau dans les quartiers urbains et les bourgs de la région et, avec un répertoire audacieux et ambitieux, la fidélisation progressive d'un public populaire. Pour cela, il joue les classiques français, mais aussi Kleist, Brecht, Shakespeare ou le théâtre Nô. Les comités d'entreprises proposent des abonnements à prix modiques.

Dans ce document télévisé du 9 décembre 1969, Jean Dasté s'insurge solennellement contre les positions du ministre qui, selon lui, ne comprend pas ce qu'a été le mouvement de décentralisation depuis la Libération, le rôle des hommes de théâtre dans ce mouvement, le collectif que représente une troupe et des liens tressés avec le public. Dasté dit attendre de Michelet des moyens financiers pour continuer son œuvre. La direction du théâtre stéphanois s'achève pour Jean Dasté avec « l'affaire de la Maison de la Culture ». L'idée d'un bâtiment accueillant des activités artistiques multiples est lancée par André Malraux. Mais, très vite, Dasté s'aperçoit que la Comédie de Saint-Étienne ne jouera qu'un rôle secondaire en perdant sa liberté d'action et que la municipalité et l'État ne souhaitent pas lui confier la responsabilité de la nouvelle Maison de la Culture. Jean Dasté quittera donc la Comédie de Saint-Étienne en 1971. Il entreprendra ensuite de longues tournées où il tient seul la scène (parfois en lisant son texte). L'histoire de la Comédie de Saint-Étienne continuera avec d'autres directeurs, Jean Vial puis Daniel Benoin.

Michelle Zancarini

Transcription

Journaliste
Les propos tenus par Monsieur Michelet, Ministre chargé des Affaires Culturelles, dimanche à la télévision, propos en faveur d’un théâtre pauvre, qui ont consternés tous les animateurs culturels français, ont été ressentis un peu partout comme une condamnation du théâtre populaire. Quelle est la position des troupes décentralisées, Jean Dasté nous précise le sentiment de la Comédie de Saint Etienne.
Jean Dasté
A la Comédie de Saint Etienne, je crois que là-dessus la Comédie de Saint Etienne doit penser comme pensent les autres centres. Ce qui nous frappe le plus, ce qui nous a le plus déconcerté et étonné, c’est la méconnaissance du Ministre par rapport à un grand mouvement créé depuis la, depuis la Libération. Le Ministre parle des hommes de théâtre comme si c’étaient des êtres isolés, comme on parle d’un créateur peintre ou d’un créateur sculpteur et encore. Or les hommes de théâtre qui ont participé au grand mouvement de la décentralisation et les hommes de théâtre en général constituent une équipe. Il y a toute une collectivité de travailleurs autour de ces hommes de théâtre et surtout, et c’est le sens de la décentralisation, il y a un public. Que nous essayons de gagner, que nous essayons de conquérir, qui s’agrandit de plus en plus. C’est donc un ensemble que nous proposons et le fait essentiel pour nous est de pouvoir continuer et nous ne pouvons pas faire payer, c’est un détail mais il compte, nous ne pouvons pas faire payer des prix de places chers. Nous avons besoin pour pouvoir faire venir un public populaire, pour pouvoir entretenir une collectivité, une communauté humaine et pour pouvoir surtout faire vivre et développer le théâtre dans un pays où il était lettre morte il y a 20 ans, nous avons besoin de moyens. Par conséquent, la pauvreté dont parle le Ministre, nous la connaissons, nous l’avons toujours vécue, mais elle n’a rien à voir avec ce que nous, ce dont nous avons besoin pour qu’un grand mouvement se développe, comme celui de la décentralisation qui fait partie d’ailleurs d’un ensemble que Monsieur Malraux a approuvé, et un ensemble qui donne une place plus importante aux loisirs et à l’enrichissement humain en dehors du travail.
Journaliste
Quelle sera donc la réaction de, des directeurs de Centres Culturels sur le plan pratique ?
Jean Dasté
Sur le plan pratique, ils sont comme moi, ils sont consternés, ils attendent. Et si on leur donne une diminution euh, importante, ils ne pourront pas continuer.