Petit commerce ou grande surface, un problème de société

16 octobre 1975
04m 31s
Réf. 00254

Notice

Résumé :

Le marché de la consommation entraîne la disparition des petits commerces aux profits des grandes surfaces. C'est un problème de société qui tend à la suppression des relations humaines entre le client et le vendeur.

Date de diffusion :
16 octobre 1975
Source :
Lieux :

Éclairage

La France est entrée tardivement dans une « révolution commerciale » à partir des années 1960. L'essor des grandes surfaces est un marqueur du développement de la société de consommation dont la définition se cherche encore, au moment où est réalisé le reportage de FR3 Rhône-Alpes, le 16 octobre 1975. La distribution en apparence égalitaire des interviews entre partisans du petit commerce (Gérard Nicoud et une vendeuse très blonde et très maquillée) et partisans de la grande distribution (Jacques Borel et un responsable de grande surface) est en partie contredite par le commentaire qui fait la part belle aux relations sociales entretenues par le petit commerce face à la « dépersonnalisation » de la fonction commerciale incarnée par les grandes surfaces, touchées par ailleurs par la « baisse de la qualité des produits ». On peut noter qu'il n'est pas question ici des supermarchés (1957) et hypermarchés construits en périphérie qui existent depuis l'ouverture du premier hyper à Sainte-Geneviève-des Bois en 1963 (Carrefour en a ouvert 24 entre 1963 et 1970). Seul l'exemple du centre commercial de la Part-Dieu, où coexistent dans la galerie marchande petits commerces et grandes surfaces, est évoqué comme exemple-type irénique de la coexistence pacifique entre les deux formes de la distribution. Prévu pour faire 50 000 m², plus grand centre commercial d'Europe à sa création en 1975, la Part-Dieu reste le plus important de France avec ses boutiques de prêt-à-porter, maroquinerie, équipement de la maison, produits culturels, équipement sportif, ainsi que des grandes surfaces et des restaurants (tous appartenant en 1975 à la société de Jacques Borel).

Malgré la protection législative dont bénéficie le petit commerce, le nombre des petits commerçants diminue : il passe de 1 253 000 en 1954 à 913 000 en 1975. D'où le succès de l'organisation de Gérard Nicoud, la Confédération intersyndicale de défense et d'union nationale des travailleurs indépendants (CID UNATI) créée en 1969 : c'est la dépendance vis à vis de l'État, « une société étatisée » contre laquelle s'insurge Gérard Nicoud. Cafetier à La Bâtie-Mongascon dans l'Isère, il a pris la tête d'un mouvement – parfois violent — contre l'État et contre « les gros ». Pourtant des lois restrictives ont longtemps protégé le petit commerce comme la loi Royer évoquée dans le reportage. Dans la continuité de plusieurs circulaires (1961, 1969), la loi Royer du 27 décembre 1973 encadre l'urbanisme commercial ; elle a pour but de sauver le petit commerce en limitant la croissance des grandes surfaces, par la mise en place d'une procédure d'autorisation d'ordre économique. Cette loi vise théoriquement à garantir un développement harmonieux entre les différentes formes de commerce, à éviter une croissance désordonnée des formes nouvelles de distribution et à contribuer au rééquilibrage des agglomérations par le développement des activités de centre-ville. En 1975, on constate un ralentissement de la croissance des grandes surfaces dû à une concurrence entre elles et à une baisse de la consommation (crise économique et crise de l'emploi, mouvements d'anti-consommateurs). C'est seulement dans les deux dernières décennies du XXe siècle que les groupes familiaux de la grande distribution, implantés en périphérie des villes, prendront le pas sur le commerce de proximité. Depuis le début du XXIe siècle, face à la concurrence, les grandes surfaces réintègrent avec de plus petites unités, les centres-villes.

Bibliographie :

- Jean-Claude Daumas (dir.), Dictionnaire historique des patrons français, Paris, Fammarion, 2010.

- Jean-Claude Daumas, « Consommation de masse et grande distribution. Une révolution permanente (1957-2005) », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, n° 91, juillet-septembre 2006, p. 57-76.

Michelle Zancarini

Transcription

Journaliste
Les boutiques grignotées par les mètres carrées des hypermarchés qui ceinturent toutes les grandes villes, c’est d’abord une rivalité pour dominer un marché prodigieux, une affaire de gros sous. En effet, le commerce permet à 350000 personnes de vivre, c’est la première industrie régionale. Actuellement, la distribution accomplit une révolution lente. Même freinée par la loi Royer, les grandes surfaces continuent à se développer, elles représentent déjà 30% de la distribution et cette évolution paraît irréversible. Les grandes surfaces s’appuient sur 3 atouts. La rationalisation, les prix et la puissance des sociétés multinationales. Mais conséquence de cette mutation, de cette rivalité entre les géants de la distribution et le petit commerce, la disparition lente d’un des derniers piliers de la vie traditionnelle. En effet, plus qu’on ne l’imagine, le petit commerce offre une des dernières possibilités de dialogue dans une société qui perd chaque jour un peu plus de sa dimension humaine. La boutique ou l’hypermarché, c’est en définitive un choix de société.
Intervenant 1
Je crois qu’il ne faut pas être obnubilé par la grande surface, il faut voir que c’est un problème de société. Si on veut une société étatisée, monopolisée, c’est même plus la peine de discuter, qu’on nous donne une indemnité pour nos commerces et nous irons nous faire fonctionnaires. Ça en fera 1500000 de plus. Si l’on veut une société libérale, avec un visage humain, une société agréable, dans laquelle il fait bon vivre, nous sommes indispensables. Nous sommes une courroie de transmission. Alors à partir de ce moment-là, nous devons refuser le gigantisme, il faut trouver un équilibre entre la grande surface et entre les commerces traditionnels.
(Musique)
Journaliste
Les petits commerçants ont l’impression de défendre l’humain contre le gigantisme. Chez eux, on peut prendre son temps, être conseillé, et acheter reste un plaisir. Ce n’est pas encore devenu cette sorte de fonction banalisée créée par la société de consommation. Bref, pour eux, l’acte d’acheter reste une occasion privilégiée de dialogue.
(Musique)
Intervenante
Les clientes qui viennent ici, c’est parce qu’il y a un certain contact, et puis enfin, il y a un certain décor, on essaie de, justement de faire des vitrines assez agréables. De…
Journaliste
De vous mettre en question quand même souvent ?
Intervenante
Voilà, c’est ça oui.
Journaliste
A Lyon, un centre commercial comme La Part-Dieu apparaît comme une heureuse synthèse entre les besoins contradictoires de dialogue et la modernisation nécessaire de l’appareil de distribution. Ici, les boutiques et les grands magasins cohabitent. Mais signe des temps, avec la concentration de toutes les formes de commerces et de services, les centres commerciaux n’échappent pas aux phénomènes de distribution de masse. Un exemple marginal, les restaurants. Pour le moment, il y en a 8 à La Part-Dieu, ils appartiennent tous à Jacques Borel, la diversité est illusion.
Jacques Borel
Je n’ai absolument pas honte de notre image de marque, nous ne mettons pas la marque Jacques Borel dans les centres commerciaux de propos délibéré. La marque Jacques Borel est mise sur les autoroutes, les aéroports, les hôtels. Et la restauration de centres commerciaux n’a rien à voir avec une restauration d’autoroute, n’a rien à voir avec une restauration de centre de ville, ce sont des problèmes tout à fait différents. Quand vous allez dans le restaurants gastronomique du Ciel d’Azur à l’aéroport de Nice, ou dans le restaurant La Bourgogne qui se trouve sur l’autoroute à Saint Albin, et où la note moyenne par client est de 95 à 100 francs, ce n’est pas les mêmes produits et ce n’est pas la même cuisine que dans un restaurant à 15 francs. Ça ne peut pas être la même chose.
Journaliste
Autre problème de société, les premiers ratés apparaissent dans la belle entente entre les grandes surfaces et les industriels qui les fournissent. Les industriels sont de plus en plus réticents pour accorder des remises mirifiques aux grandes surfaces, de leur côté, elles n’en sont pas responsables, les grandes surfaces constatent une baisse de qualité de la production. C’est sans doute un des abus de la société de consommation.
Intervenant 2
Il est bien évident que dans certaines catégories d’articles, notamment en électroménager, en photo, en ciné, en son, la qualité a tendance à baisser. Nous sommes obligés d’intervenir beaucoup plus souvent qu’on ne le faisait il y a 5 ans an arrière sur ce même type d’appareils.
Journaliste
Et quels sont vos moyens d’action ?
Intervenant 2
Actuellement, assez réduits, il faut bien le dire.
Journaliste
Boutique ou grande surface, échelle humaine ou dépersonnalisation de la fonction commerciale, qui reste pourtant la dynamique fondamentale de notre système économique. Cette rivalité entre les grandes surfaces et le commerce traditionnel va modeler la société de demain. Reste à savoir qui décidera, le consommateur ou les multinationales.