Les manifestations de Creys Malville

01 août 1977
04m 33s
Réf. 00258

Notice

Résumé :

Une manifestation s'est tenue à Creys Malville contre le réacteur Superphénix. Il y a eu plusieurs blessés et un mort, Vital Michalon. L'attitude hostile de certains riverains face aux jeunes allemands venus manifester, n'entame pas les résolutions des manifestants.

Date de diffusion :
01 août 1977
Source :
Personnalité(s) :

Éclairage

Depuis qu'en 1960 le général de Gaulle a bravé la communauté internationale en décidant de lancer la première expérimentation française au Sahara, alors que les pays occidentaux et l'URSS observaient un moratoire, le nucléaire est considéré comme garant de l'indépendance nationale. La grande majorité des Français a toujours soutenu le gouvernement dans sa politique et l'EDF, qui gérait ce secteur, était le fleuron du service public à la française.

La première manifestation antinucléaire organisée par l'association régionale pour la protection de la nature a lieu à Fessenheim, en Haute Alsace, en 1971, et rassemble quelques milliers de manifestants. Ils sont dix fois plus l'année suivante. Les travaux du surgénérateur Superphénix à Creys-Malville en Isère avaient démarré le 8 novembre 1974. En juillet 1976, les écologistes - dont quelques dizaines d'Allemands et de Suisses - décident une occupation pacifique du site, vite délogés par les CRS. Un an plus tard, les Comités Malville de la région Rhône-Alpes appellent à une « marche offensive, mais pacifique » vers le site, le 31 juillet 1977. 140 élus de la région appellent à y participer pacifiquement avec « les couleurs de la République » (c'est-à-dire leur écharpe tricolore d'élus). La manifestation est interdite par la préfecture de l'Isère : la CFDT dénonce alors les « risques de provocation » et refuse d'appeler à la marche ; la CGT rejette le 19 juillet le « nihilisme rétrograde » et défend le productivisme énergétique national ; le parti socialiste appelle seulement à un rassemblement devant une mairie proche ; le parti communiste, dénonce la provocation de la marche. Les seuls qui soutiennent la marche préparée dans un climat tendu sont le PSU, des groupes d'extrême gauche et l'association écologiste Les Amis de la Terre. Le Progrès titre le 30 juillet 1977 : « Creys Malville, la mobilisation n'est pas la guerre, mais elle crée les conditions du conflit ».

Plusieurs dizaines de milliers de manifestants - 60 000 selon les organisateurs, 40 000 selon la presse - se rassemblent néanmoins pour une marche en direction de la centrale. Les forces de l'ordre les laissent se regrouper puis chargent les manifestants dans les champs à l'aide de grenades lacrymogènes et offensives, ce que montrent les images du reportage. Le bilan est lourd : des dizaines de blessés, trois mutilés (deux parmi les manifestants, un Allemand qui a eu la main arrachée et un Français la jambe déchiquetée, un CRS sa grenade lui ayant explosé dans la main) et un mort - Vital Michalon, un professeur de physique de la Drôme âgé de 31 ans qui a reçu une grenade offensive dans la poitrine. Le préfet de l'Isère, René Janin, annonce le décès en disant qu'un Allemand est mort d'une crise cardiaque : la responsabilité des forces de l'ordre est ainsi niée et la figure de « l'ennemi héréditaire » est réactivée ; la xénophobie anti-allemande se donne alors libre cours.

La manifestation est suivie très vite par un procès le 6 août : sept Allemands, trois Français et deux Suisses arrêtés plusieurs heures après les faits comparaissent en flagrant délit. Plusieurs condamnations à trois mois de prison ferme sont prononcées et confirmées ensuite en appel. À Creys-Malville, l'État a choisi l'affrontement, aidé par l'isolement politique des écologistes. Sur place, le manque d'organisation et de coordination des manifestants dispersés dans les champs a fait le reste. Le combat anti-nucléaire s'est heurté à la certitude, largement partagée, selon laquelle lutter contre le nucléaire, c'est lutter contre l'indépendance de la nation. Ceci explique la faiblesse et l'isolement des contestataires sur cette question et la violence des réactions de l'État à Creys-Malville, quand le « tout nucléaire » était attaqué.

Michelle Zancarini

Transcription

Journaliste
Arrivés par milliers dans la matinée de samedi, les manifestants se sont regroupés dans les villages bordant le périmètre interdit. Déjà, le manque de coordination et la présence d’éléments venus avec la ferme intention de se battre laissaient présager le pire. Vers 17 heures, un incident se produit à Morestel, des manifestants brisent les vitres de la mairie, un gendarme sera légèrement blessé. Hier comme prévu, à 8 heures, les opposants au nucléaire se regroupent à Morestel, Montalieu, et Courtenay. Ils forment 3 colonnes qui convergent vers le site de Superphénix. Sans rencontrer de résistance, ils pénètrent dans la zone interdite, car les forces de l’ordre se sont repliées vers l’intérieur. Lorsque les manifestants rencontrent les premiers barrages, ils ne les affrontent pas, mais essaient de les contourner. Vers midi, tous se retrouvent à Faverges. Faverges, où tout a commencé et où Vital Michalon a trouvé la mort. Plusieurs dizaines de manifestants appartenant au noyau dur des contestataires se heurtent aux gendarmes mobiles. Jets de pierres et de boulons d’un côté, tirs de grenades lacrymogènes ou offensives de l’autre. C’est un scénario qui se reproduira à plusieurs reprises dans l’après-midi, et à 21 heures hier soir, on se battait encore aux abords de Morestel. A aucun moment, Superphénix n’a été menacé, l’objectif de René Jannin, le préfet de l’Isère était atteint, mais le bilan est lourd, un mort, 5 blessés graves et une centaine de blessés légers. L’autopsie du corps de la victime dira dans quelle condition la mort est intervenue, car sur ce point, les témoignages restent assez flous.
(Silence)
Intervenant 1
J’accuse aussi certains écologistes de ne pas avoir été capables, je le renouvelle, de contrôler à 50000, 150 personnes, et c’était bien organisé. Alors ça, je pense que la population, où que ce soit en France, sera capable un jour d’être maître chez elle, et de pouvoir manifester les causes que l’on aime défendre sans avoir à être mêlé à ces gens-là. D’ailleurs, j’ai subi 5 ans emprisonné chez les Allemands. On vient encore m’emmerder chez moi, ce n'est pas un mot bien français, mais il veut dire ce qu’il veut dire, vous comprenez, j’en ai assez. Je suis resté 14 ans par la faute des Allemands, et ils viennent encore chez moi. Non, c’est terminé.
Intervenant 2
Nous regrettons beaucoup le premier mort dans le mouvement contre l’énergie nucléaire. Les pratiques policières brutales contre les manifestants étaient révélées quelques jours avant par une attaque contre le camp allemand à Morestel. Les blessés grièvement dont parle la presse n’ont pas été causés en premier lieu par les manifestants agressifs, comme dit la presse, mais par la tactique brutale des forces de l’ordre ; qui ont usé des grenades et du gaz lacrymogène.
Journaliste
Monsieur, après les évènements d’hier, les dégâts sont-ils importants ?
Intervenant 3
Ils sont très importants et je pense qu’ils ont été créés des deux côtés ; aussi bien du côté des manifestants qui comprenait certains éléments qui pouvaient être considérés comme incontrôlables ; aussi bien de la part des forces de l’ordre qui ont envahi après pour dégager le terrain. Pour faire du ratissage systématique quoi, on peut constater les dégâts partout. On trouve des caisses et des boîtes, il y en a ici, vous pouvez en voir. On voit des traces de rangers comme on trouve aussi des cocktails Molotov, comme on trouve tout un tas de choses dans les terrains. Les dégâts sont certainement très importants.
(Silence)
Intervenant 4
Alors dans un premier temps, ils ont rédigé une pétition. Pétition, qui a pour but direct de vouloir faire sortir ces personnes dans la mesure du possible. D’autre part, d’utiliser au maximum, et c’est ça qui est important, le délai de 3 jours qui sera accordé aux inculpés pour préparer leur défense. Alors cette pétition, notre but est de la faire parvenir à toutes les couches de la population pour qu’ils soient bien conscients du problème qui est posé, le problème nucléaire avant tout. Ensuite, dans un but bien particulier de défense si vous voulez, essayer que ces personnes soient libérées, ou ne soient pas si vous voulez les victimes, les boucs émissaires de cette situation.