Roger Planchon et la décentralisation

12 mai 2007
03m 13s
Réf. 00215

Notice

Résumé :

Roger Planchon, créateur du théâtre de la Comédie à Lyon et directeur du Théâtre national populaire (TNP) de Villeurbanne est un pionnier du monde du théâtre. Il s'exprime sur la décentralisation, son origine, les efforts qui ont été faits et ceux qui restent à faire.

Date de diffusion :
12 mai 2007
Source :
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Thèmes :

Éclairage

L'acteur, metteur en scène, auteur Roger Planchon (1931-2009), dresse au journal télévisé de la mi-journée le bilan de la décentralisation théâtrale, dont il fut un des principaux acteurs - précise t-il – en compagnie de Jean Dasté (1904-1994) à Saint-Etienne et Hubert Gignoux (1915-2008) à Rennes. En fait, entre 1946 et 1952, il y eut cinq centres dramatiques nationaux reconnus en province (Strasbourg, Rennes, Saint-Etienne, Toulouse, Aix-en-Provence). Leur mission a été de présenter un répertoire de qualité dans des villes qui étaient privées de théâtre et de former un public aux classiques, Molière et Shakespeare comme Pirandello et Tchekhov. Planchon fait de cette décentralisation théâtrale et culturelle le levier de la décentralisation administrative et socio-économique, car, dit-il, le pouvoir est avant tout « jacobin », même si de Gaulle et Malraux ont lancé un « défi incroyable » pour changer la diffusion de la culture.

Roger Planchon assoit sa démonstration sur le récit, maintes fois énoncé, de son parcours personnel, preuve de la force de transformation du théâtre. Né dans une famille modeste originaire de l'Ardèche, il est initié à la culture artistique par l'un de ses professeurs. Planchon fait ses premières armes dans une troupe de théâtre amateur qui devient rapidement professionnelle. Il revient sur ses débuts dans une salle lyonnaise installée rue des marronniers, à la place d'une ancienne serrurerie, dans une métropole qui n'avait alors qu'un seul théâtre, celui des Célestins recevant les troupes parisiennes en tournée. Le théâtre de la Comédie, animé par Planchon, est soutenu par une subvention du maire de Lyon, Édouard Herriot. En 1957, le successeur de ce dernier, Louis Pradel, qui n'aime pas les « saltimbanques », suspend la subvention. Le maire de Villeurbanne, Étienne Gagnaire, offre alors à Planchon le théâtre de la Cité, une salle de plus de 1000 places dans le Palais du travail et un lieu pour montrer ce qui plait au public – tels Les Trois mousquetaires d'après Alexandre Dumas plébiscités lors de la première, le 12 mai 1958 -, mais aussi pour faire découvrir des auteurs classiques – Molière ou Shakespeare - ou peu connus alors, comme Brecht ou Kleist. Planchon trouve là un espace à sa mesure. Il veut s'adresser à un public populaire par l'intermédiaire des syndicats, des associations et des comités d'entreprise en multipliant les interventions directes devant les portes des usines et des bureaux (c'est le rôle de l'acteur Jean Bouise).

La question du financement des troupes théâtrales, non abordée dans ce document, est cependant cruciale. Le théâtre coûte cher ; la gestion est complexe entre recherche des subventions - locales comme nationales (celle des Affaires culturelles) - et d'un public. Pour ce faire, un des outils a été la création d'abonnements à prix réduit pour les collectivités et les CE à partir de la saison 1960-1961. Le contrat de Roger Planchon à Villeurbanne prévoit l'organisation d'un spectacle tous les deux jours (créations et compagnies invitées) et une polyvalence artistique (théâtre mais aussi danse, ballets folkloriques, chansons, musique classique). Ainsi en 1963, le théâtre de la Cité de Villeurbanne avec 173 représentations a reçu 132 861 spectateurs. Une question fondamentale est celle des relations avec les municipalités. Roger Planchon le dit crûment dans une intervention au festival d'Avignon devant la fédération nationale des centres culturels communaux, le 28 juillet 1967 : « On nous parle sans arrêt de collaboration entre les municipalités et les créateurs. Tout cela est fini. Nous voulons le pouvoir. Pas de collaboration ; le pouvoir, c'est très simple ». Cette position tient aux débats interminables sur la direction des nouvelles maisons de la culture. En mai-juin 1968, c'est au théâtre de la Cité qu'est enterrée, par les directeurs des troupes de théâtre réunis ici à huis clos, la décentralisation première manière, celle qu'évoque Planchon dans son interview : le manifeste adopté le 25 mai 68 remet en cause un théâtre populaire qui veut élargir sans cesse son public et avance que les créateurs doivent jouer un rôle politique. Ces débats ouvrent en fait à une personnalisation parfois narcissique des hommes de théâtre. C'est sans doute la raison du mutisme (dans l'interview de 2007) de Roger Planchon sur ce nouveau paysage culturel ouvert après 1968. En 1972, le théâtre de la Cité de Villeurbanne devient le Théâtre national populaire.

Michelle Zancarini

Transcription

Présentatrice
Alors avec nous sur ce plateau, l’une des grandes figures justement du théâtre décentralisé. Quand même, deux petites précisions concernant votre carrière, en 1950, vous créez le Théâtre de la Comédie à Lyon et puis vous avez longtemps dirigé le théâtre à Villeurbanne. Globalement, le pionnier que vous êtes est-il satisfait du résultat ?
Roger Planchon
C’est, quand on parle de la décentralisation théâtrale, il faut d’abord dire une évidence historique. Il faut savoir que dans les années 50, ceux qui parlent de la décentralisation de la France, ce sont des théâtreux, c’est Dasté, c’est Gignoux, ce sont des gens comme ça, j’appartiens au paquet; où ce sont les premiers qui disent, la France a besoin d’être décentralisée du point de vue de l’administration, du point de vue de l’industrie et du point de vue artistique. Et à ce moment-là, les politiques n’ont absolument pas conscience de ça. Tous sont Jacobins, veulent absolument que tout se passe par Paris. Donc évidemment il faut déjà dire que si la décentralisation générale de la France existe, on doit quelque chose aux piliers du théâtre.
Présentatrice
Aux théâtreux.
Roger Planchon
Aux Théâtreux
Présentatrice
Bon, mais 60 ans après alors, le bilan.
Roger Planchon
Ben le bilan c’est toujours,
Présentatrice
Positif ?
Roger Planchon
Oui, bien sûr. Il s’agit pas de dire autre chose que positif. Mais si vous voulez, c’est une chose en expansion, c’est-à dire, il y a besoin d’un nouveau plan, quoi, sur la décentralisation; il faut parler clair. Mais alors là, je suis en train de m’adresser au…
Présentatrice
A Nicolas Sarkozy.
Roger Planchon
A Nicolas Sarkozy, voilà. Très exactement.
Présentatrice
Oui.
Roger Planchon
Il y a besoin d’un vrai plan, sérieux qui relance quoi. Si vous voulez, Malraux et le Général de Gaulle ont lancé une espèce de défi incroyable. Evidemment, 60 ans après, bon il faut réviser les voitures, il faut regarder les choses autrement, il faut surtout changer le braquet, si vous aimez le vélo. Voilà.
Présentatrice
En 60 ans, est-ce que le théâtre a su vraiment renouveler, élargir son public ? Je m’adresse en plus, plus particulièrement à quelqu’un qui a des origines sociales ardéchoises, c’est ça ?
Roger Planchon
Oui, oui. Je suis né dans le trou du cul du monde ou à peu près donc ça va. Oui. Mais oui, si vous voulez. Quand j’ai commencé à faire du théâtre avec mes copains, à Lyon, c’est très simple, il n’y a pas de théâtre fixe. Il n’y a qu’un théâtre, les Célestins qui reçoit des tournées. Et ils font trois représentations, c’est tout. Or, si vous voulez, nous sommes arrivés à faire dans un grand théâtre de 1 000 places, 30, 40 représentations par spectacle. Et on a fait surtout que les Célestins, le théâtre, le théâtre fixe de Lyon, devienne un théâtre de création, chose qui n’existait pas du tout. La France était entièrement centralisée.
Présentatrice
Pour terminer très vite,
Roger Planchon
Allons-y.
Présentatrice
Le théâtre joue quel rôle dans la société ?
Roger Planchon
Ouh là là, ça c’est une question métaphysique. Moi je réponds à ça à 3 heures du matin si vous voulez. Bien sûr que c’est important. Les grandes œuvres du passé, les grandes œuvres si vous voulez, même les plus désespérées, c’est une main tendue aux démunis. Et ça c’est quand même très, très important, et c’est là où est la fonction du théâtre quoi. Et, on sait ça. Un livre, une pièce de théâtre peut bouleverser une vie.
Présentatrice
Merci beaucoup Roger Planchon. Merci. Et bonne soirée des Molières.