La grève à l'entreprise Neyrpic

21 mai 1968
02m 16s
Réf. 00235

Notice

Résumé :

L'entreprise Neyrpic est en grève. Les travailleurs ont choisi des actions pour leurs revendications et ont voté la grève illimitée et l'usine occupée. Les syndicats des cadres ont appelé leurs adhérents à se joindre aux mouvements de grève.

Date de diffusion :
21 mai 1968
Source :

Éclairage

L'histoire du conflit chez Neyrpic est exemplaire tant pour la précocité du processus de restructuration industrielle dans une entreprise à haute technicité, que pour la tentative antérieure de transformer le mode de gestion et de commandement, par de nouvelles relations sociales fondées sur la négociation et les conventions collectives et non sur le conflit. Établissement pilote de la région grenobloise, vitrine de la ville dans le monde entier avec plusieurs oscars à l'exportation, le groupe Neyrpic était au début des années 1960 un modèle dans l'industrie pour les relations sociales. La direction familiale, proche de l'Action catholique, avait signé deux accords d'entreprises sur les rémunérations, sur l'abaissement de l'âge de la retraite, la réduction progressive de la durée du travail, une extension des congés payés, les plus anciens ouvriers de Neyrpic étant payés au mois. Enfin une Commission de l'Accord avait été créée pour éviter les conflits et la section syndicale d'entreprise reconnue. Mais des difficultés financières en 1962 (dues à la transformation des marchés à l'export après les indépendances africaines) conduisent à un changement de direction, prélude à une restructuration technique et financière accompagnée d'une nouvelle politique qui bouleverse l'équilibre social. La nouveauté du conflit est l'unité syndicale, mais aussi l'implication des ingénieurs et d'un comité universitaire de solidarité et de soutien. De septembre 1963 à juin 1964, un « dégraissage » (terme utilisé par le nouveau directeur) des effectifs est mis en œuvre avec recours à la sous-traitance et à la fabrication dans les pays où l'entreprise exporte au coût de main d'oeuvre plus bas. On passe de 4000 à 2500 salariés. Le modernisme réformiste s'était heurté à des blocages certains, au sein de l'État et du CNPF par peur de la contagion. Face à l'autoritarisme patronal, les salariés ont réagi avec un répertoire d'actions habituel (grèves, débrayages etc.) ; la nouveauté c'est la participation des cadres et des universitaires à ce conflit. À tous les niveaux, l'autorité absolue du chef d'entreprise n'est plus supportée.

Cet historique des relations sociales dans l'entreprise explique la précocité et la spécificité de la grève chez Neyrpic évoquée dans le reportage télévisé du 21 mai 1968 : la grève illimitée a été déclarée par les syndicats unis et l'usine immédiatement occupée, y compris par les ingénieurs et cadres, catégories sociales peu habituées à ce mode d'action. À côté des revendications syndicales classiques - augmentation des salaires et abrogation des ordonnances adoptées par le gouvernement Pompidou au cours de l'été 1967 sur la sécurité sociale (modification de la gestion des caisses et baisse des remboursements) – la participation active des ingénieurs et des cadres porte sur des revendications plus qualitatives et structurelles énoncées doctement à l'écran : révision des classifications et formation permanente. Les mouvements sociaux antérieurs du milieu des années 1960 ont sans doute préparé l'unité d'action immédiate entre ouvriers et cadres dans la grève générale de mai-juin 1968.

Michelle Zancarini

Transcription

Intervenant 1
Hier matin, les travailleurs de Neyrpic ont pris place dans la lutte qui se développe à l’échelon national. Il y a eu dans l’entreprise un arrêt de travail à 9 heures, une réunion d’information qui a rassemblé l’ensemble du personnel, ouvriers mensuels, ingénieurs et cadres. Les revendications essentielles sont l’abrogation des ordonnances contre la Sécurité Sociale, l’augmentation générale des salaires. En ce qui concerne Neyrpic, avec un salaire minimum garanti de 90000 anciens francs et une augmentation minimum des salaires de 20000 anciens francs. Les travailleurs ont ensuite décidé des formes d’actions pour faire aboutir ses revendications. Ils ont décidé à l’unanimité la grève illimitée et se sont prononcés par vote sur l’occupation de l’entreprise.
Intervenant 2
La position du comité de grève en ce qui concerne les ingénieurs et cadres, c’est de laisser se déterminer les ingénieurs et cadres de la façon dont ils l’entendent. Nos trois organisations syndicales, CGT, CFDT et Force ouvrière, les trois organisations syndicales de cadres ont en effet appelé hier matin à participer au mouvement. Aussitôt après la réunion d’appel, les ingénieurs et cadres se sont réunis dans cette salle et ils ont décidé de créer des commissions de travail qui permettent d’examiner les différents problèmes qui se posent à nous, ingénieurs et cadres dans notre travail dans la société. Ils ont en particulier examiné les questions de classification, les questions de formation permanente, l’un des problèmes qui préoccupe vivement les ingénieurs et cadres, et d’autres problèmes également. Ce matin, une autre réunion générale s’est tenue également dans cette même salle et un débat a eu lieu pour voir ce que nous pensions de la grève et de l’occupation d’usine. Et je dois dire que une majorité d’ingénieurs et cadres de la société s’est dégagée pour approuver le principe de la grève à laquelle nous les avions appelé à participer et la CGC s’associant d’ailleurs à nos revendications.