Le fromage de Beaufort

16 octobre 1970
07m 04s
Réf. 00242

Notice

Résumé :

Le fromage de Beaufort, variante du gruyère, ne se porte pas si bien. L'exode rural entraîne une diminution de sa production, or cette dernière ne peux se faire que dans un territoire très précis et avec une race de vache indigène.

Type de média :
Date de diffusion :
16 octobre 1970
Source :

Éclairage

En avril 1968, le beaufort obtient la précieuse AOC. L'appellation protège sa forme caractéristique (talon concave qui résulte de son moulage dans un cercle de hêtre) et sa zone de production (vallées du Beaufortain, de Maurienne, de Tarentaise et une partie du Val d'Arly) ; elle définit aussi le cheptel (essentiellement des tarines, vaches laitières indigènes particulièrement adaptées aux régions de montagne, mais aussi des abondances).

Ce fromage au lait cru fait partie de la famille des gruyères, un type de fromage mis au point, sans doute au Moyen Âge, en Suisse, dans la localité du même nom. Dans les zones de montagne, où les pelouses alpines ont été mises en valeur par les ordres monastiques, c'est le déplacement des troupeaux vers l'alpage, dès la fonte des neiges, qui oblige à la production sur place de fromages de garde et de grande taille, à pâte pressée cuite. Les premières traces de fromages en grandes roues, à Beaufort, remontent à 1630. Au XVIIIe siècle, on fait venir des maîtres-fruitiers helvétiques pour parfaire les techniques de fabrication. Au XIXe siècle, alors que le gruyère s'est répandu partout en Savoie, le beaufort, au célèbre goût de noisette, se voit qualifier de « Prince des gruyères » par Brillat-Savarin dans son célèbre traité Physiologie du goût.

Dans les années 1960, le Beaufortain connaît une période de profonds bouleversements socio-économiques. La construction des trois ouvrages hydroélectriques par EDF depuis l'après-guerre (la Girotte, achevé en 1949 ; Roselend construit de 1956 à 1961 ; La Gittaz, terminé en 1967) a entraîné la perte de quelques-uns des meilleurs alpages. L'arrêt du dernier chantier EDF vient de priver les agriculteurs d'un emploi complémentaire pendant l'hiver – le paysan du reportage est, lui, également « fonctionnaire des PTT », ce qui lui permet de continuer son activité de « cultivateur ouvrier paysan ». L'agriculture de montagne n'attire plus les jeunes, le pays Beaufortain connaît un exode rural massif. Et comme le dit le commentaire en voix off du reportage « sans paysan, plus de troupeaux, sans vache, plus de beaufort ».

Pour enrayer ce dépeuplement, on lance une station de sports d'hiver communale : la station du Planay. Mais cela entraîne du même coup une nouvelle réduction des alpages. Et les sports d'hiver n'offrent pas encore une deuxième source de revenu régulière aux agriculteurs.

La production de beaufort a beaucoup chuté : il ne reste alors que 10 des 200 ateliers de production d'avant-guerre, on produit moins de 500 tonnes par an. Pour faire face à ce déclin, certains agriculteurs réfléchissent à une nouvelle organisation pour sauver leurs exploitations. Deux sortes d'économie régissaient déjà les alpages beaufortains : l'alpage individuel et les « fruits communs » (mise en commun des animaux sur des alpages exploités de façon coopérative). Une politique de coopération (création d'ateliers qui assurent la fabrication, l'affinage et la commercialisation) est mise en place sous l'égide de l'Union des producteurs de beaufort et une coopérative laitière est créée dans laquelle sont introduites les techniques modernes (traite mécanique par exemple). En 1975, le Syndicat de défense du beaufort voit le jour : il regroupe l'ensemble des ateliers et des producteurs de lait et est chargé de la promotion collective et de la gestion de l'AOC.

Cette politique, associée à la politique agricole nationale de la montagne (instauration de l'ISM, l'indemnité spéciale montagne, en 1974, et la loi montagne en 2005), a permis à l'agriculture de subsister et à la production de beaufort d'atteindre près de 4 330 tonnes (chiffres 2007). Et l'on compte désormais 520 exploitations qui assurent la production du lait à Beaufort.

Michelle Zancarini

Transcription

Journaliste
Le Beaufort est avec le Comté et l’Emmental, une des variétés de qualité du fromage de Gruyère. Sa renommée n’est plus à faire, ses débouchés s’élargissent constamment, son prix de vente est en hausse grâce aux efforts d’organisation des producteurs. Et pourtant, le Beaufort est menacé à terme car sa production est intimement liée à l’agriculture de quelques cantons savoyards en voie de dégradation en raison de l’exode rural. Son problème peut se résumer ainsi. Sans paysan, plus de troupeaux, sans vaches, plus de Beaufort. Pour bien comprendre ce problème, il nous faut situer techniquement le Beaufort. C’est un fromage qui ne peut être produit que dans une région précise, déterminée par décret du 4 avril 1968 qui comprend les Massifs du Beaufortain et les Hautes Vallées de Tarentaise et de Maurienne. Cependant, cette aire de production sur laquelle pousse une extraordinaire flore alimentaire n’est pas suffisante pour donner au Beaufort ses qualités. Le cheptel a également son importance comme nous le précise Monsieur Claude [Deslandes], Directeur de l’Union des Producteurs de Beaufort qui à ce titre, supervise l’ensemble des coopératives et des zones de production de ce fromage.
Intervenant 1
Le fromage de Beaufort est fabriqué à partir du lait de race tarine qui est une race indigène, adaptée à la région. C’est une vache de très petit format qui pèse environ 500 kilos de poids vif mais c’est une excellente laitière. Elle donne de 4000 à 5000 litres de lait pour les meilleures, annuels bien sûr. La moyenne se situant aux alentours de 2500 à 3000 litres. C’est une race fort bien adaptée à la région et qui supporte aussi bien les grands froids que les très grosses chaleurs, c’est pour cette raison qu’elles peuvent aller en alpage.
Journaliste
Y a-t-il une organisation collective ou bien chaque paysan monte-t-il son troupeau ?
Intervenant 1
Il y a deux sortes d’économies en ce qui concerne l’exploitation des alpages. Il y a d’une part les alpages individuels dont le troupeau appartient à un propriétaire particulier, et qui exploite ses propres alpages. Il y a une deuxième forme d’exploitation coopérative, ce sont les fruits communs où les animaux appartiennent aux habitants d’un même village mais où on crée pour la circonstance une espèce de société de fait, pour l’exploitation des alpages pendant la saison d’été qui se situe entre le 11 juin et le 14 septembre pour notre région de Moûtiers.
Journaliste
A votre avis, est-ce que la fabrication du Beaufort est la seule façon valable de rentabiliser les produits ?
Intervenant 1
Il y a évidemment plusieurs façons de rentabiliser le lait. D’une part, on peut très bien fournir ce lait pour la consommation, enfin disons qu’actuellement le prix, vous savez que le prix du lait est fixé par arrêté préfectoral, actuellement le lait se situe à 79 centimes le litre alors qu’avec le Beaufort, nous arrivons à le rentabiliser d’une façon brute et je le précise bien brute, à 80 centimes actuellement. Evidemment là-dessus il faudra enlever toutes les charges d’exploitation, mais à mon avis, c’est la forme la plus rationnelle et disons la plus économique que de rentabiliser le lait de nos tarines.
Journaliste
Si Monsieur [Deslandes] de révèle relativement optimiste quant à l’avenir du Beaufort, notre second interlocuteur, Monsieur Roger [Choulet], l’est en revanche beaucoup moins. Mais laissons-le tout d’abord se présenter.
Intervenant 2
Je suis cultivateur ouvrier paysan. Fonctionnaire aux PTT. J’exploite une propriété, une petite exploitation de 8 hectares donc 8 hectares de prés, 5 hectares de forêt. J’ai normalement 4 laitières, 5 ou 6 élèves qui sont destinées à l’exportation.
Journaliste
Vous êtes Secrétaire Général Trésorier de la Coopérative Laitière du Beaufort mais vous êtes surtout Président de l’Union de la Production du Beaufort. Pouvez-vous nous préciser l’importance de la production de ce fromage ?
Intervenant 2
La production du Beaufort, s’élève à l’heure actuelle environ à 1000 tonnes. 750 tonnes sont commercialisées par l’Union du Beaufort. L’union des Producteurs de Beaufort. Cette production avant guerre s’est échelonnée à environ sur 200 ateliers de fabrication, et en ce moment, nous sommes à environ à 10 ateliers de fabrication. En comptant les ateliers de fabrications d’alpage, qui existent encore malgré tout.
Journaliste
Comment envisagez-vous l’avenir ?
Intervenant 2
L’avenir, je l’envisage sous des jours plus ou moins heureux vu l’agriculture de montagne que nous avons. Pour ce qui est de la production, de la commercialisation, tout est à peu près parfait. Mais l’avenir est très grave parce que la production laitière risque de diminuer dans la zone du Beaufort. Nous sommes dans un pays très difficile et ce qu’il faut, c’est d’organiser les structures de la montagne et d’essayer de tenir les jeunes par des apports extérieurs, des aides extérieures.
Journaliste
L’avenir de la production du Beaufort semble donc être lié à l’évolution de l’agriculture de montagne. Evolution dans laquelle le Crédit Agricole joue un grand rôle comme le souligne Monsieur [Perrier], Directeur de la Caisse de Crédit Agricole de la Savoie.
Intervenant 3
Nous avons soutenu avec fermeté la création de l’Union des Producteurs de Beaufort qui constituait un élément fondamental pour l’économie agricole de cette région. Et nous avons aussi aidé les coopératives à s’organiser sur le plan de l’administration et de la gestion. En quelque sorte, nous leur avons permis d’acquérir une infrastructure satisfaisante. Aujourd’hui que tout va bien, que les coopératives ont atteint leur vitesse de croisière et que l’Union dispose des services nécessaires, nous n’intervenons plus qu’à titre de prêteur et de conseil.
Journaliste
Donc, selon vous, tout va bien alors que le Président de l’Union est plutôt pessimiste ?
Intervenant 3
A cet égard, il faut distinguer deux choses, d’une part l’organisation coopérative ou si vous préférez l’organisation des coopératives elles-mêmes qui ne soulèvent pas de difficultés particulières ainsi que je viens de le souligner, et l’avenir de l’agriculture qui est lui-même fonction de l’avenir de la production laitière et qui est un sujet particulièrement préoccupant. En effet, la valorisation du lait dans cette région, malgré la fabrication d’un fromage de très haute qualité, le Beaufort, ne permet pas à l’agriculteur en raison des coûts d’exploitation très élevés d’obtenir de sa production une rémunération suffisante. Et ce phénomène a comme vous pouvez le supposer pour conséquence une diminution très rapide du nombre d’agriculteurs qui cherchent à se reconvertir dans les autres secteurs de l’économie et de toute façon abandonnent leur profession, abandonnent la montagne.
Journaliste
Ainsi, le fromage de Beaufort à qui Brillat-Savarin décerna le titre de Prince des Gruyères, risque-t-il de disparaître, victime des traditions si des activités complémentaires ne sont pas rapidement trouvées et crées pour retenir les producteurs dans la région.