La grève de la faim d'ouvriers tunisiens à Valence

26 décembre 1972
03m 09s
Réf. 00247

Notice

Résumé :

Démunis de carte de travail, des ouvriers tunisiens devaient être expulsés. Ils ont obtenu gain de cause, hier soir, après 11 jours de grève de la faim dans les locaux de la cure de l'église Notre-Dame à Valence.

Date de diffusion :
26 décembre 1972
Source :

Éclairage

La résistance aux premières mesures d'expulsion prises à l'automne 1972 avec l'application des circulaires du ministre de l'Intérieur Raymond Marcellin et du ministre du Travail, de l'Emploi et de la Population, Joseph Fontanet, prend la forme de grèves de la faim qui se multiplient avec un important retentissement. Cette forme d'action avait été employée pendant la Guerre d'Algérie par des nationalistes algériens pour obtenir le statut de détenu politique (qu'ils ont fini par avoir). En juin 1962, un vieux militant de 74 ans anarchiste et pacifiste, Louis Lecoin, lance une grève de la faim pour obtenir le droit de refuser de porter les armes : un statut des objecteurs de conscience est discuté au Parlement et une loi voit le jour le 21 décembre 1963. Dans les années 68, le mode d'action est repris par des étrangers : en avril 1971, plus de 200 étudiants sénégalais protestent par une grève de la faim contre la répression sanglante dans leur pays. Ce répertoire d'action se répand ensuite auprès des « travailleurs immigrés » (expression de l'époque) pour revendiquer la carte de travail : les grèves de la faim se déroulent souvent dans les églises ou les locaux paroissiaux. Pour la première fois à l'automne 1972, dans la Drôme à Valence, un jeûne est entrepris contre l'expulsion d'un tunisien pour « atteinte à la neutralité politique » : c'est le thème du reportage de la télévision régionale présenté ici. « La grève de la faim c'est tout ce qui nous reste » disent-ils. C'est l'arme – non-violente - de ceux qui n'ont pas d'autre moyen de se faire entendre. Une discussion a lieu entre les représentants de la CFDT et du ministre du Travail social, Edgar Faure : le reportage montre bien comment l'accord est conclu sur la régularisation de 22 travailleurs tunisiens (pour les papiers) après des tergiversations sur le nombre.

Ultérieurement, au premier trimestre 1973, à Paris et à Mulhouse, des travailleurs tunisiens, menacés d'expulsion, s'engagent dans ce type d'action. Certains - un ouvrier spécialisé (OS) portugais de Billancourt, un mineur marocain du Nord et un maçon tunisien de Valence - forment un recours en Conseil d'État pour l'annulation des circulaires Marcellin-Fontanet. En mars 1973, des dizaines d'immigrés protestent par leur jeûne contre ces circulaires à Lille, Montpellier, Marseille, Nîmes, Perpignan, Toulouse, Nice, Lyon, Toulon. Le mouvement s'élargit avec la participation de Français : une grève de la faim pour l'abrogation des circulaires, pour l'obtention d'une carte de travail dès l'embauche et pour la liberté d'expression et d'association. Ils sont soutenus aussi par la CFDT qui rappelle, avec le mot d'ordre « Travailleurs français et immigrés, même patron, même combat », l'universalisme de la condition ouvrière. Les résultats concrets de ces grèves de la faim sont très variables selon les départements — de la délivrance des cartes de séjour au refus de négocier — en fonction de l'attitude des préfets et de l'importance du soutien local (en particulier des autorités religieuses, des syndicats et des partis politiques).

Michelle Zancarini

Transcription

Journaliste
Les 22 ouvriers tunisiens qui observaient depuis le 14 décembre une grève de la faim dans les locaux de la cure de l’église Notre Dame à Valence ont cessé hier soir leur action, ayant obtenu satisfaction. Monsieur Edgar Faure, Ministre des Affaires Sociales a en effet décidé de rapporter la décision de refoulement prise à leur encontre après une opération de police qui avait révélé qu’ils étaient démunis de cartes de travail. Des responsables français et tunisiens du comité de soutien qui s’était formé spontanément à Valence nous ont précisé ce que les grévistes désiraient, et ce qu’ils ont obtenu.
Intervenant 1
Ces camarades tunisiens avaient travaillé en France, des patrons les avaient employé, certains les ont même volé, certains leur ont même confisqué leurs papiers si on peut dire, et leur demande à eux était le droit à avoir leur carte de travail, leur carte de séjour, et aussi un métier en France.
Journaliste
Et alors, qu’ont-ils obtenu maintenant ?
Intervenant 1
Ils ont obtenu leurs papiers, ce qui est beaucoup. Mais il faut dire quand même que, il y a eu beaucoup de discussions hier avec les pouvoirs publics. Première fois, le représentant des pouvoirs publics est venu en nous disant, Monsieur Edgar Faure est d’accord pour 19 cas. Mais nous avons étudié la proposition, que nous avons refusée, parce que dans les 19 cas, il y en avait qui étaient déjà partis. Euh, je ne sais pas comment ça s’est passé mais Monsieur Edgar Faure a été mis au courant et a donné, nous nous avions fait une proposition de 22 camarades tunisiens. Et vers 10 heures et demie du soir, nous avons pu annoncer aux camarades tunisiens qui étaient depuis 11 jours en grève de la faim, et bien que la lutte qu’ils ont menée avec tous les Valentinois qui sont venus les, par solidarité, et bien la lutte était gagnée. Ils ont leur carte de travail, ils ont leur carte de séjour.
Journaliste
Monsieur, que pensez-vous des résultats que vous avez obtenus ?
Intervenant 2
On a pensé, on a réussi la carte de travail et la carte de séjour mais on a réussi pas des autres choses comme, comme on n’a pas entré en formation professionnelle.
Intervenant 3
Maintenant, on va s’occuper d’eux, au point de vue conditions de travail, logements, et puis la formation professionnelle. Or, il est nécessaire que ces gars apprennent un métier pour que dans un an, lorsqu’ils se représentent à la main d’œuvre pour renouveler leur carte, ils seront pas refusés. Ces travailleurs participent directement ou indirectement au développement économique de la France. Donc il est nécessaire que l’Etat s’occupe, s’en occupe de ces gars qui sont venus en France, soit par l’intermédiaire de l’Office de l’emploi, soit euh, avec un passeport pour chercher du travail. Parce qu’il y a une relation avec la France, vous savez sans doute que la France nous a appris sa civilisation, ses coutumes, son histoire, sa langue, donc y a, y a une relation très profonde entre la France et les tunisiens eux-mêmes.