La marche pour l'égalité et contre le racisme

03 décembre 1983
02m 41s
Réf. 00271

Notice

Résumé :

L'idée d'organiser une marche pour l'égalité est née dans le quartier des Minguettes à Vénissieux. Parti de Marseille en petit nombre , le mouvement va prendre de l'ampleur jusqu'à regrouper 100 000 personnes à Paris, lieu de leur arrivée.

Date de diffusion :
03 décembre 1983
Source :

Éclairage

En mai 1981, dirigé par Pierre Mauroy, le gouvernement du nouveau président élu François Mitterrand, décide de suspendre les expulsions des jeunes étrangers. Du coup, la police considère que le territoire de certaines banlieues urbaines n'est plus sous contrôle parce que de « jeunes suspects » réussissent à échapper à la police parfois avec la complicité d'habitants. Cette situation débouche aux Minguettes à Vénissieux sur la succession d'incidents qui dégénèrent au cours de l'été 1981, puis au début de l'année 1983.

Réunis dans une association - SOS Avenir Minguettes - constituée avec des militants, des jeunes des cités choisissent alors d'arrêter les actions violentes. La plupart des membres de l'association partagent des trajectoires sociales communes : jeunes garçons nés dans les années 1960, de nationalité algérienne ou française (pour les enfants de parents français ou de rapatriés d'Algérie), père ouvrier, mère au foyer, sortie prématurée du système scolaire ; certains ont un CAP ou un BEP de tourneur, carreleur, plombier ; la plupart sont au chômage en 1983. Ils sont le produit du processus de désouvriérisation des classes populaires, en ce sens qu'ils ne sont pas passés par les institutions de socialisation ouvrière (syndicats, partis politiques, associations sportives etc.).

La décision de mettre fin aux affrontements est le résultat d'une analyse pragmatique du contexte - l'inégalité du rapport de force entre les jeunes et la police - et aussi de l'alliance avec des militants chrétiens non-violents - Christian Delorme et Jean Costil - tous deux permanents de la Cimade) : pour ces derniers, l'action non-violente relève non seulement d'une stratégie politique mais aussi d'un principe éthique et religieux, dimension étrangère à la démarche des jeunes des Minguettes. Cela les conduit cependant à faire une grève de la faim (en mars 1983), puis une marche pour l'égalité (à l'automne 1983). Une pétition des grévistes de la faim est envoyée au Premier ministre Pierre Mauroy, le 1er avril 1983, « pour que de nouvelles relations s'instaurent entre la police, la justice et les jeunes d'origine immigrée » en instaurant une « commission d'enquête » ; qu'il prenne « l'initiative d'un grand chantier de réhabilitation du quartier Monmousseau » ; et qu'il reconnaisse « le droit au logement pour tous » en créant de nouveaux logements sociaux.

Le processus ayant abouti à l'organisation de cette Marche plonge donc ses racines dans les fortes tensions sociales internes au quartier des Minguettes à Vénissieux (Rhône), théâtre d'affrontements entre les « jeunes des cités » et les forces de police. Après ces actes de rébellions urbaines, la prise de conscience de la réalité des banlieues devient visible dans le soutien affiché par certains socialistes français à la Marche pour l'égalité de 1983. Inquiet, le gouvernement soutient discrètement l'initiative. Des soutiens aussi se retrouvent dans les cabinets ministériels (dont celui de la secrétaire d'État à la Population et aux Travailleurs immigrés Georgina Dufoix qui rejoindra la marche à Strasbourg).

La Marche pour l'égalité et contre le racisme partie de Marseille le 15 octobre dans l'indifférence générale, arrive à Paris le 5 décembre 1983. Ce jour là, la marche rassemblera des dizaines de milliers de manifestants et bénéficiera du soutien presque unanime des partis politiques, des associations, des intellectuels et des représentants religieux. Seule l'extrême droite s'y opposera publiquement, tandis que la droite parlementaire se montrera très discrète (à l'exception d'Olivier Stirn et de Bernard Stasi). La marche constitue un événement important dans l'histoire de l'immigration en France parce qu'elle déboulonne le fameux « mythe de retour » des immigrés dans leur pays d'origine et qu'elle est l'« événement fondateur » de l'apparition des jeunes enfants d'immigrés (nommés ensuite Beurs, arabes en verlan) dans l'espace public.

Michelle Zancarini