La grève des universités à Lyon

24 novembre 1986
02m 48s
Réf. 00276

Notice

Résumé :

Les étudiants de l'université Bron Lyon 2 se sont mis en grève. Ils refusent le projet de loi Devaquet visant à instaurer une sélection à l'entrée de l'université et la hausse des droits d'inscriptions.

Date de diffusion :
24 novembre 1986
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Éclairage

En mars 1986, la défaite de la gauche aux législatives après cinq ans de gouvernement socialiste ouvre la première « cohabitation », celle du président de la République, François Mitterrand, et d'un gouvernement de droite dirigé par Jacques Chirac. La réforme de l'enseignement supérieur est l'un des objectifs de ce nouveau gouvernement, qui nomme René Monory (UDF) au ministère de l'Éducation, et Alain Devaquet (RPR), ministre délégué chargé de la Recherche et de l'Enseignement supérieur. Un groupe de diverses personnalités de la droite universitaire rédigent une proposition de loi déposée par Jean Foyer. Le projet prônait l'autonomie des universités, ouvrait la porte aux diplômes locaux, à la variabilité des droits d'inscription selon les universités, recomposait les représentations dans les conseils au profit des professeurs de rang A au détriment des autres composantes (maîtres de conférence, personnels, étudiants) et permettait d'instaurer une sélection à l'entrée de l'université. Jacques Chirac demande à son ministre Alain Devaquet, de modifier la loi Savary de 1984 en mettant en place l'autonomie des universités et la sélection. C'est ce dernier point qui a représenté un chiffon rouge pour les syndicats étudiants (en particulier les deux branches de l'UNEF).

À la rentrée universitaire 1986-1987, l'Unef-ID (proche des socialistes) lance une campagne d'information sur la réforme projetée. L'Unef-SE (proche du parti communiste) se concentre, quant à elle, sur la sécurité sociale étudiante et passe ainsi à côté de ce qui devient la plus forte mobilisation étudiante depuis 1968. Des comités contre la réforme Devaquet, associant étudiants non-syndiqués et syndiqués se constituent un peu partout dans les universités et appellent à une manifestation le 21 octobre et à des états généraux le 22 novembre à Paris. Après l'université de Dijon, c'est celle de Villetaneuse (93) qui est à la pointe de la mobilisation autour d'Isabelle Thomas : c'est là qu'est forgé le slogan « génération Mitterrand ». L'appel à la grève générale y est adopté, ainsi que celui pour une journée de manifestations prévue le jeudi 27 novembre. Le reportage télévisé du 24 novembre 1986 qui interviewe, contradictoirement, des étudiants de l'université Lyon2 opposés « au projet antidémocratique de Devaquet » et à la sélection, dans un meeting sur le site de Bron et des militants de la corpo de droite de l'université Lyon3 approuvant la sélection qui, selon eux, pourrait revaloriser les diplômes.

La manifestation du 27 novembre sera une surprise non seulement par une participation record des étudiants, mais aussi par la présence massive de lycéen-ne-s directement concernés, puisque la sélection doit commencer dès l'entrée à l'université. Suivent des manifestations importantes dans toute la France le 4 décembre ; à Paris, des affrontements ont lieu sur l'esplanade des Invalides à la suite d'une intervention brutale de la police. Autre manifestation marquante, celle du 6 décembre : au Quartier latin, Malik Oussékine, étudiant à l'université de Dauphine, non manifestant, est tué par des « voltigeurs » (policiers en moto avec matraques). Jacques Chirac veut éviter une extension du mouvement aux entreprises - une grève alors des cheminots démarre au même moment - (c'est le fantôme de 1968) et il annonce le 8 décembre le retrait du projet Devaquet. Le ministre démissionne. La dernière manifestation, le 10 décembre, se transforme ainsi en cortège silencieux de victoire et de deuil. La grève s'arrête. Elle aura duré trois semaines. Ce fut la dernière tentative d'instaurer une sélection officielle à l'entrée de l'université, jusqu'à ce que l'idée ressurgisse récemment. La loi sur l'autonomie des universités a été mise en œuvre et ce que craignaient les étudiants en 1986 – la hiérarchie et la concurrence entre universités – sont aujourd'hui d'actualité. Plus généralement, ce mouvement a été l'occasion d'un divorce entre une partie de la jeunesse et la droite et a donc contribué à la réélection en 1988 de François Mitterrand.

Michelle Zancarini

Transcription

(Bruit)
Journaliste
Sur le campus de Bron, le mouvement de grève contre le projet de loi Devaquet a débuté ce matin ralliant la majorité des étudiants. Distributions de tracts et assemblées générales pour lutter contre un projet jugé réactionnaire et antidémocratique. La sélection à l’entrée de l’université et la hausse des droits d’inscription sont les points les plus violemment critiqués.
(Bruit)
Inconnu
Je trouve ça absolument scandaleux.
Journaliste
Pourquoi ?
Inconnu 1
Parce qu’à partir du moment où on libéralise les prix de la fac, tout le monde ne pourra plus y aller donc déjà, ça c’est scandaleux. En plus, l’histoire d’instaurer un concours entre le DEUG et la licence, ça va encre faire des, des inégaux quoi.
Inconnue 1
Ça me dérange énormément parce qu’il y a le principe de la fac qui est révolu. L’entrée pour tous est plus vraie, elle devient fausse.
Inconnue 2
Ben moi je trouve que c’est dégueulasse, que bon, de sélectionner par l’argent, c’est-à dire des étudiants qui ont pas les moyens de, ça, ça c’est suffisamment cher comme ça, l'inscription à la fac.
Inconnu 2
C’est con, parce que les, ceux qui ont pas Bron, ils vont être obligés de se retrouver dans des, dans des facs nulles.
Journaliste
Le mot d’ordre de grève a d’abord été lancé par des étudiants non syndiqués. Il a été vite suivi par les syndicats de gauche, majoritaires dans l’université Lyon 2.
Intervenant
Pour nous, dans le cadre d’un enseignement laïc et public, il est pas question que la grande partie de l’enseignement soit financée par les étudiants, donc on est contre l’augmentation des droits. On est pour que l’Etat continue à s’engager dans le financement de manière à assurer l’indépendance de l’enseignement public universitaire. Et à côté de ça, on est prêt à, oui à réfléchir sur d’autres formes de financement. Notamment peut-être des financements privés.
Journaliste
Sur les quais du Rhône, l’université Jean Moulin semble bien assoupie en comparaison. Ici, le projet de loi Devaquet n’émeut guère les étudiants. La Corpo, syndicat majoritaire de Lyon 3 approuve la sélection nécessaire pour revaloriser la fac.
Intervenante
Il y a de plus en plus de gens qui ont le bac, de plus en plus de bacheliers, et que si on veut arriver à revaloriser les diplômes dans les facultés, il faut absolument une sélection à l’entrée et bon ben, bien sûr beaucoup de gens penseront que c’est plus la fac parce que c’est plus tellement démocratique effectivement s’il y a une sélection à l’entrée. Mais de toute façon, la sélection à la faculté, elle se fait, parce qu’il y a énormément de première année, il y a des effectifs qui sont complètement faramineux et euh, la sélection se fait, soit en fin de première année, soit en fin de deuxième année.
Journaliste
Mais en fin d’après-midi, l’agitation gagnait même les jardins de l’université Jean Moulin. Sous les regards parfois indifférents d’étudiants pensant d’abord à leur concours de fin d’année.
(Bruit)