Bernard Clavel et le Rhône

05 décembre 1992
04m 42s
Réf. 00286

Notice

Résumé :

A travers ses romans, Bernard Clavel a souvent évoqué le Rhône. Ce fleuve fait partie intégrante de son univers mais également de celui des gens de la région dont un pan de l'activité était liée au Rhône.

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Date de diffusion :
05 décembre 1992
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Éclairage

L'émission « Mémoires » de FR3 présente en 1992 le romancier et conteur Bernard Clavel (prix Goncourt en 1968). L'extrait présenté ici évoque sa vie dans une commune située le long du Rhône au sud de Lyon. Né en mai 1923 à Dôle dans le Jura, Bernard Clavel se marie après la guerre et s'installe jusqu'en 1954 à Vernaison (le lieu est indiqué dans l'émission par la plaque de la gare). À la Libération, raconte Clavel, les riverains avaient soif de vie, de liberté et de joie et de nombreuses fêtes étaient organisées au bord du Rhône. Les gens que côtoie l'écrivain dans cette commune de pêcheurs, de mariniers, de paysans, de cheminots et de lavandières lui inspirent près de treize romans dont – entre autres - Pirates du Rhône (Vorgine), en 1957, Le Seigneur du fleuve en 1972, La Guinguette en 1997. Le fleuve recèle pour lui une force vitale : il l'a d'abord peint, puis a décrit la vie des gens du fleuve qui vivaient du trafic sur le fleuve (les mariniers), de la pêche, au temps où les eaux se purifiaient à la sortie de la ville, ou l'on pouvait se baigner et boire l'eau du fleuve qui cependant se mettait régulièrement en colère. Les riverains avaient l'habitude de vivre au rythme de ses crues : Clavel décrit le forgeron du village montant régulièrement, sans se plaindre, ses meubles au premier étage et sa femme nettoyant la boue après la décrue des eaux ; ou encore le chasseur d'occasion qui se « mettait aux lapins », car les lapins de garenne réfugiés sur le haut des saules les seuls à dépasser du fleuve en crue, devenaient des proies faciles à récupérer en barque.

Véritable défenseur de la nature, Bernard Clavel s'insurge contre ce que l'on a fait du Rhône : « j'ai fui avant le massacre du Rhône » (c'est-à-dire avant l'installation au sud de Lyon des raffineries et usines chimiques et des barrages – celui de Pierre Bénite est achevé en 1966). L'écrivain quitte Vernaison en 1954 et s'installe à Lyon.

Aujourd'hui le développement de l'écologie, l'intérêt pour la nature et la préservation des espèces végétales et animales rendent actuel le combat de Bernard Clavel. Les crues du fleuve et les eaux génèrent des milieux écologiques originaux que l'on souhaite maintenant protéger. Les plans d'eau, les landes, la forêt alluviale forment des milieux propices à la survie d'une faune et d'une flore très variées. En aval du confluent de la Saône et du Rhône après la Mulatière, la vallée du Rhône large de 2 kms est parsemée d'îles couvertes d'arbres qui sont autant de haltes pour les oiseaux migratoires. On trouve encore des poissons très divers, même si, à la date du reportage, il ne restait plus qu'un seul pêcheur professionnel.

Michelle Zancarini

Transcription

Journaliste
D’ailleurs ce train ça vous rappelle les périodes de vache enragée, parce que c’est un peu ici la vache enragée.
Bernard Clavel
Oui mais le train n’a plus rien à voir avec ce qu’il était à l’époque. C’était encore un train à vapeur. Et c’est vrai que j’ai beaucoup mangé de vache enragée ici mais c’est quand même une période dont je garde un souvenir ému et je pense qu’elle fait partie des périodes les plus enrichissantes de ma vie de romancier. Parce que j’ai rencontré ici des personnages, un pays, un fleuve qui ont été pour moi une mine d’or. Ça a été quelque chose d’extraordinaire. Aujourd’hui encore il m’arrive de puiser dans cette réserve d’humanité, de force qu’était le fleuve et la vie du fleuve.
Journaliste
Vous avez peint le Rhône ?
Bernard Clavel
Ah j’ai beaucoup peint, oui. J’ai commencé comme ça. J’ai commencé par le peindre et c’est peut-être parce que je n’arrivais pas à tout dire avec la peinture que je me suis mis à écrire. Parce que j’avais l’impression que je me limitais à des instants avec la peinture. Et même si c’étaient des instants très forts qui me provoquaient des émotions extraordinaires, c’était quand même limité. Alors que ce que j’avais envie de faire vraiment, c’était de raconter le fleuve. C’était de le percevoir dans le temps dans une espèce de prolongation du temps en remontant très loin jusqu’à l’époque des mariniers, des bateliers. Et aussi en essayant puisque le premier livre, premier roman que je lui ai consacré c’était Vorgine qui était devenu Pirates du Rhône et qui en fin de compte racontait la canalisation du Rhône avant qu’elle ne soit commencée. C’était presque de la science-fiction.
Journaliste
A chaque fois qu’on vous parle de peinture vous répondez littérature. Je voudrais qu'on revienne un tout petit peu à la peinture.
Bernard Clavel
Ah bon, je ne sais pas. Je n’ai pas fait attention.
Journaliste
Aujourd’hui vos tableaux, il en reste ? Vous en avez détruit ? Vous avez tous gardé ?
Bernard Clavel
Ah non j’en ai encore. Bien sûr. Et puis je continue à peindre. Mais de cette époque-là, je n’ai pas grand-chose.
Journaliste
Vous avez détruit les tableaux.
Bernard Clavel
Ah oui. Ça j’en ai brûlé des quantités. Il faut détruire.
(Bruit)
Bernard Clavel
J’ai fui, j’ai fui. Si j’ai quitté Vernaison, c’est pour partir avant qu’on ne commence le massacre du Rhône. J’aurais été trop malheureux et j’ai préféré me sauver avant. Je ne suis pas allé loin. Je suis allé à Lyon.
(Bruit)
Bernard Clavel
Et je n’ai jamais entendu un riverain se plaindre d’une crue, jamais. Cette visite du Rhône chez eux était, je ne sais pas… il y avait quelque chose de magique dans tout ça. C’était un peu comme si ça avait été une bénédiction que le fleuve leur apporte. D’ailleurs vous savez il y avait cette vénération du Rhône quand les bateliers, alors je parle avant la navigation à vapeur. Quand les bateliers quittaient Lyon et passaient à Pierre Bénite c’est pour ça que ça s’appelle Pierre Bénite d’ailleurs, il y avait un endroit où ils se signaient toujours en prenant l’eau dans le Rhône et disaient au Rhône et à la Vierge… enfin ils se confiaient à la Vierge et partaient au fil du Rhône mais ils ne le faisaient jamais sans s’être signés avec l’eau du fleuve et on baptisait les enfants avec l’eau du fleuve.
(Bruit)
Bernard Clavel
Vous savez c’était les années tout de suite après la libération, après l’occupation. On avait soif de vie, on avait soif de liberté. Les fêtes par exemple au bord du Rhône. Des vieux de l’époque me disaient je me souviens de très peu de fêtes aussi animées que celles qu’on a connues à cette époque-là. Parce que les gens avaient tellement été privés de tout ça pendant toute l’occupation et toute la guerre, qu’ils étaient heureux de retrouver le fleuve, de retrouver ce qu’il leur apportait de meilleur c'est-à-dire vraiment la joie. Il y avait une joie de fleuve.
(Bruit)