Il y a 20 ans, le conflit des prostituées de Saint-Nizier
Notice
Il y a 20 ans, les prostituées se révoltaient et occupaient l'église Saint-Nizier à Lyon. L'association Le Nid a organisé une conférence pour soulever les problèmes d'exclusion dont elles sont victimes encore aujourd'hui.
- Rhône-Alpes > Rhône > Lyon
Éclairage
L'encadrement social de la prostitution s'est mis en place au début des années 1960 lorsque la France s'est ralliée aux thèses abolitionnistes en acceptant de ratifier la convention de l'ONU de 1949 « pour la répression et l'abolition de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui ». Redéfinie juridiquement, la sexualité vénale devient une activité privée et seul le racolage est poursuivi. Les prostituées sont considérées comme des victimes, souffrant de « handicaps socio-culturels » et sont prises en charge par les travailleurs sociaux. Des associations privées, dont l'association Le Nid fondée dans la mouvance des catholiques sociaux au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, s'occupent du traitement social de la prostitution. C'est à l'occasion d'une conférence de presse de cette association, le 19 juin 1995, qu'est réalisé, au cours des Actualités Rhône-Alpes, le reportage sur le mouvement en 1975 de plusieurs centaines de prostituées lyonnaises et la situation de la prostitution vingt ans plus tard.
Le mouvement de 1975 est survenu dans un contexte spécifique de déstabilisation du milieu prostitutionnel après la mise à jour de divers scandales politico-financiers entre policiers et proxénètes lyonnais et par la poursuite plus sévère des prostituées par la police, la justice et le fisc. Verbalisées sans cesse, elles avaient été également menacées de peines de prison ferme en cas de récidive dans le délit de racolage, ce qui exposait celles qui étaient mères de famille à perdre la garde de leurs enfants. L'église Saint-Nizier, sise dans la presqu'île lyonnaise, est investie en mai 1975. Les prostituées sont soutenues par les catholiques du Nid et par des féministes qui font le parallèle entre mariage et prostitution (pour elles la prostitution est le paradigme de l'oppression d'un sexe sur l'autre). Refusant de répondre aux demandes de négociation - la secrétaire d'État à la Condition féminine Françoise Giroud, s'étant déclarée « incompétente » (on voit un article de Libération sur le sujet) -, le gouvernement avait mis fin à l'occupation de l'église par une évacuation violente le matin du 10 juin par la police. Le mouvement des prostituées lyonnaises avait également fait tâche d'huile auprès de prostituées d'autres villes (Paris, Grenoble et Marseille, notamment) qui avaient elles aussi occupé des édifices religieux. Deux de leurs porte-parole sont passées à la postérité : on a vu leurs deux leaders - Ulla et Barbara - sur les écrans, on les a entendues à la radio et lues dans les journaux. Mais incapables de se doter d'une organisation durable, affaiblies par des dissensions internes, les prostituées subirent également le contrecoup de la défection d'Ulla et de Barbara qui préférèrent écrire leur autobiographie et quitter la prostitution. Peu de temps après, Ulla avait en effet publié Amour amer, livre qui relatait son rôle dans le mouvement des prostituées de 1975. En 1982, Dans L'Humiliation, Ulla revient sur son rapport avec « son » proxénète, une des questions à la fois tue, et pourtant toujours présente dans le mouvement. En 1995, elle témoigne sous son nom, Marie-Claude Peyronnet, et rappelle la discrimination sociale que subissaient et subissent toujours les prostituées.
Après la fin de l'occupation en juin 1975, le mouvement s'est essoufflé même si la prostitution a été mise à l'agenda politique du gouvernement. Critiqué pour son indifférence au sort des prostituées, le gouvernement confia une mission d'information sur la prostitution à un magistrat, Guy Pinot. Son rapport fut remis au gouvernement en janvier 1976 ; mais Le Livre blanc sur la prostitution fut bien vite « enterré ».
Vingt ans après, les territoires urbains et les caractéristiques de la prostitution ont changé, même si les discriminations perdurent. Les prostitué-e-s (30% selon le reportage d'hommes et de transsexuels) ont à faire face à la toxicomanie et au SIDA. Elles sont à la fois plus âgées et plus jeunes selon une représentante de la direction des Affaires sanitaires et sociales. L'association Le Nid, toujours présente à leurs côtés, soulignent la pérennité de l'exclusion.