Manufrance

10 septembre 1980
03m 09s
Réf. 00458

Notice

Résumé :

Manufrance se meurt. Blaise de Saint Just, le dernier patron, a démissionné et les tensions avec les travailleurs sont de plus en plus fortes. Le dépôt de bilan semble inévitable.

Date de diffusion :
10 septembre 1980
Source :
TF1 (Collection: IT1 20H )
Personnalité(s) :

Éclairage

En 1980, date du reportage, l'entreprise Manufrance est en grave difficulté économique malgré le soutien affiché de la municipalité dirigée par le communiste Joseph Sanguedolce (1977-1983). Le surnom donné à l'entreprise s'explique par son histoire quasi centenaire. La Manufacture d'armes et cycles de Saint-Étienne (MFAC) est fondée juridiquement en 1887 à partir d'une entreprise en nom collectif (qui fabrique des armes et des cycles) créée en 1885 par Pierre Blachon et Étienne Mimard ; ils s'installent quelques années plus tard sur un boulevard huppé de la ville industrielle qu'est alors Saint-Étienne, le cours Fauriel. Le premier associé meurt avant la Première Guerre mondiale et Étienne Mimard, qui a transformé l'entreprise en société anonyme, reste le seul maître à bord jusqu'à sa mort à 82 ans en 1944 ; le nom de Manufrance est alors adopté quelques années après le décès du fondateur. Ce dernier a créé le premier en France la vente de produits par correspondance et un tarif-album, « Le catalogue » diffusé à 800 000 exemplaires en 1913. La MFAC est spécialisée dans la production des fusils de chasse et des bicyclettes (sous la marque Hirondelle), des machines à coudre et à écrire. La plupart des produits vendus par correspondance étaient fabriqués à l'extérieur puis étiquetés avec le sigle MFAC et vendus au détail grâce au catalogue. En phase avec l'idéologie de la Troisième République, Étienne Mimard installe une direction centralisée et bureaucratique et une gestion de la main-d'œuvre qui vise par le contrôle et le paternalisme, à faire intégrer aux salariés les objectifs de l'entreprise – intégration en apparence réussie, jusqu'à la grande grève de 1937 dite « grève des cent jours » : le patron licencie tout son personnel et n'en réembauche qu'une partie, refusant de reprendre certains syndicalistes. L'histoire de cette longue grève perdure dans les mémoires stéphanoises, d'autant plus qu'après la Libération (qui coïncide avec la mort d'Étienne Mimard), les syndicats occupent une place de plus en plus importante ce qui aura pour conséquence de faire augmenter à la fois le nombre de salariés (plus de 3000 en 1960) et leurs salaires, mais aussi de creuser les déficits avec la crise du cycle et l'effondrement du marché colonial.

À partir de 1979, une série de directeurs tentent de redresser la situation financière en proposant une restructuration et des centaines de licenciements que refusent les salariés soutenus par la municipalité (qui est actionnaire de l'entreprise à la suite du legs d'Étienne Mimard). À l'imitation des salariés de l'entreprise Lip qui avaient en 1973 constitué un « trésor de guerre », « les Manufrance » mettent sous leur protection un stock de fusils...plus difficiles à vendre que les montres Lip.

Le reportage de TF1 du 10 septembre 1980 annonçait « l'agonie de la vieille dame du cours Fauriel ». Elle va durer cinq ans. Un essai de redressement est tenté avec la création d'une coopérative de production qui regroupent les salariés ayant mis leurs indemnités de licenciement dans le capital de la Société de Coopérative Ouvrière de Production et Distribution (SCOPD), mais en vain malgré le soutien de la municipalité, de la population stéphanoise et des gouvernements de gauche à partir de 1981. La société est mise en liquidation judiciaire en 1985, cent ans après sa création.

Michelle Zancarini

Transcription

Présentateur
Manufrance, les choses s’accélèrent. On a comme un sentiment d’agonie pour la manufacture de Saint-Etienne. C’est comme un abcès qui serait en train de crever. Premier point, Manufrance n’a plus d’administrateur, le dernier, le dernier patron, monsieur De Saint-Just a démissionné pour, a-t-il expliqué, créer un vide juridique de nature à repousser l’échéance de dépôt de bilan ; quasiment inévitable ce dépôt de bilan. Deuxième point, des salariés de Manufrance ont déménagé le stock d’armes ; on fabrique des fusils à Manufrance ; entreposé en dehors de Saint-Etienne, pour le transporter, ce stock d’armes, au siège de Manufrance dans le centre de la ville. Nous mettons ces stocks sous la garde des travailleurs, ont annoncé les syndicats. Enfin, la délégation de la CGT a été reçue ce matin, par un chargé de mission de l’Elysée. Tandis d’ailleurs que se tenait dans une pièce à côté, le conseil des ministres et la CGT réclame sans délai et sans restriction les 150 millions de francs que le gouvernement s’était déclaré prêt à débloquer. Et alors, avant de faire le point sur le proche avenir de Manufrance avec Alain Vélaire ; je vous propose d’écouter le dernier patron de Manufrance monsieur De Saint-Just, commentant sa démission.
Blaise (de) Saint-Just
C’est avec une très grande tristesse que je constate que les pouvoirs publics et nos actionnaires nous ont abandonnés. Je pense que ni les uns ni les autres n’ont suffisamment considéré le problème des 2000 emplois de ces entreprises et des milliers d’autres qu’elle suppose par son existence. Restant seul et n’ayant plus de pouvoir réel, et par contre, courant des risques très importants, en poursuivant l’exploitation, j’ai décidé de remettre à monsieur Boutron, Président du Tribunal du commerce, ma démission.
(Silence)
Journaliste
Pour tous ces salariés de Manufrance, l’espoir reste bien mince. Le dépôt de bilan paraît désormais inévitable ; et avec lui la cessation d’activités et la liquidation avec leurs conséquences sociales. Ce sera alors ce que les syndicats ont appelé le démantèlement. Sauf coup de théâtre bien improbable, les différents éléments qui constituent la fameuse manu seront vendus séparément à des sociétés différentes. Sur ces images Manufrance, tel qu’elle ne sera plus ; avec les fabrications d’armes et de cycles, la vente par correspondance, les magasins, le Chasseur français. En fait, la division à laquelle on va vraisemblablement assister, ressemblera fort au plan que les pouvoirs publics n’ont pas réussi à imposer aux actionnaires de la société, ni au conseil d’administration qui ne voulait pas en prendre la responsabilité. Ce sont les futurs acquéreurs qui recevront alors des pouvoirs publics, les prêts nécessaires à la relance des activités viables. Tout cela au conditionnel bien sûr. Mais il y a-t-il une autre solution ? Ce matin, le Président du Tribunal de commerce a promis aux syndicats que l’administrateur judiciaire qu’il va nommer ne procèdera pas au dépôt de bilan avant le 25 septembre ; date prévue pour une assemblée générale des actionnaires. Mais on voit mal ces derniers faire ce qu’ils ont refusé jusqu’à présent, passer de nouveau à la caisse pour une entreprise qui perd 400 000 francs par jour.
Présentateur
Affaire à suivre.